Journée européenne des langues : une Europe multilingue, mais de plus en plus anglophone

, par Jérôme Flury, Théo Boucart

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Journée européenne des langues : une Europe multilingue, mais de plus en plus anglophone
Aujourd’hui, l’Anglais ne serait maîtrisé en langue maternelle ou secondaire que par 33% des citoyens de l’UE, d’après le GEM+, association prônant le multilinguisme. Photo : Pixabay / Free-Photos

Dans le cadre du Grand Format Européen, nous nous intéressons aux grands évènements culturels qui rythment l’année européenne. Focus dans cet article sur la journée européenne des langues, qui se tient le 26 septembre. Alors que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne sont marqués par un multilinguisme revendiqué, force est de constater que l’intégration européenne privilégie de plus en plus l’anglais.

Lingua, limbă, Sprache... Chaque année, le 26 septembre, l’Europe fête sa journée des langues. Instituée par le Conseil de l’Europe pour la première fois en 2001 pendant l’année européenne des langues, ce moment dédié à un marqueur si profond de l’identité régionale et nationale a été pensé comme une célébration du dépassement de celle-ci, en faisant du multilinguisme une richesse et un pont entre les cultures européennes. Un site internet dédié permet de découvrir activités et informations, en 37 langues différentes.

L’Europe se définit régulièrement comme le continent d’une diversité rayonnante, qui a inspiré la devise de l’Union européenne, “unis dans la diversité”. “Depuis l’adhésion de la Bulgarie en 2007, il y a 3 alphabets officiels dans l’Union européenne : l’alphabet cyrillique, l’alphabet latin et l’alphabet grec”, rappelle Ouest- France. 3 alphabets, 24 langues officielles et des milliers de dialectes sur le territoire. Parmi les objectifs affichés par le Conseil de l’Europe pour cette journée du 26 septembre, “une action de sensibilisation auprès du grand public sur l’importance de l’apprentissage des langues et de la sauvegarde du patrimoine linguistique.”

En France, c’est France Education International, anciennement le Centre international d’études pédagogiques (CIEP), qui fait office de relais pour l’événement. L’hexagone compte aussi un autre projet affichant des objectifs similaires, même si le public est cette fois plus scolaire, la semaine des langues vivantes, qui a connu sa cinquième édition en mai 2020.

L’Europe, le multilinguisme-roi ?

La question de l’enseignement et de la pratique d’autres langues est cruciale, et tout particulièrement dans le cas de l’Europe. « La langue de l’Europe, c’est la traduction », disait Umberto Eco.

Ce qui est certain, c’est que le continent est dans une situation singulière en ce qui concerne la diversité linguistique : d’une part, il s’agit du continent où la richesse linguistique est de loin la plus faible. Selon l’Université de Laval, au Québec, le vieux continent abritait 287 langues en 2016, contre 2296 en Asie, 2139 en Afrique, 1313 en Océanie et 1062 en Amérique. A titre de comparaison particulièrement éloquente, la Papouasie Nouvelle-Guinée comporte trois fois plus de langues que l’Europe, pour une population 100 fois moins importante.

D’autre part, l’arsenal législatif protégeant le multilinguisme en Europe est incomparable par rapport aux autres continents. La charte des langues régionales et minoritaires est le texte le plus important. Ce traité européen, proposé par le Conseil de l’Europe en 1992, n’est toutefois pas contraignant juridiquement, et seuls 25 Etats l’ont signée et ratifiée en 2017 (la France l’a signée mais ne l’a pas ratifiée, à l’instar de l’Italie et de la Russie, deux autres pays à la richesse linguistique remarquable). Du côté de l’Union européenne, le multilinguisme est mis en exergue grâce aux 24 langues officielles des institutions européennes : chaque texte de loi doit donc être traduit dans ces langues-là, même si les trois langues de travail principales restent l’anglais, le français et l’allemand, la première étant de plus en plus “archi-dominatrice” à Bruxelles.

Une anglicisation loin de faire l’unanimité

L’anglais domine les échanges au sein des institutions européennes. Le Brexit, qui a entraîné le départ du Royaume-Uni de l’UE, n’a pas bouleversé ces pratiques langagières. Serge Levenheck, traducteur pour le Parlement européen, estimait déjà en avril 2019 : “L’anglais britannique va perdre de la place mais restera langue officielle à Malte et en Irlande. L’anglais restera aussi très utilisée comme langue technique par les interprètes. Mais il n’y aura pas de changement brutal. Je pense que l’évolution la plus probable sera vers un multilinguisme plus véritable dans les langues de travail.

Près d’un an et demi plus tard, le 16 septembre 2020, le discours sur l’état de l’Union européenne prononcé par Ursula von der Leyen n’est pas passé inaperçu. Jean Quatremer, de Libération, s’en est offusqué, parlant de “triomphe de l’anglais”, alors que la prise de parole avait effectivement été réalisée quasiment intégralement dans cette langue “contre l’usage… et contre l’évidence”, pour le journaliste. “Si on se réfère au nombre de mots qu’a prononcés von der Leyen, 81 % de son discours était en anglais, 12 % en allemand et seulement 7 % en français”, rapportait de son côté Politico.

D’autres pays ont également réagi, Jean-Luc Laffineur, Président de GEM+, une association qui promeut le multilinguisme, s’exprimant dans les colonnes de la Libre Belgique. Le discours était “un très mauvais signal” selon lui.

Tant et si bien que la section française de l’Association des journalistes européens a souhaité écrire une lettre à la présidente de la Commission européenne pour alerter sur une utilisation trop exclusive de l’anglais dans certains travaux, comme lors de la récente communication sur le pacte pour les migrations et l’asile. “Faut-il rappeler que l’usage de plusieurs langues est non seulement une obligation juridique des Traités, mais a aussi une portée politique et pratique précieuse”, a notamment souligné l’association dans son courrier.

Au-delà des considérations politiques, les langues vivantes ont des apports concrets et pratiques. Une enquête menée par le Conseil de l’Europe a ainsi démontré que les trois premières réponses avancées par les Européens à la question “Pourquoi avez-vous décidé d’apprendre d’autres langues ?” étaient : Dans un objectif de carrière professionnel, pour découvrir une autre culture ou tout simplement pour se faire des amis. Il n’y a pas de bonne réponse à la question. Mais il existe de multiples raisons pour découvrir d’autres langues, et par là, d’autres cultures.

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