Très chère Mme Mogherini,
Très chers collaborateurs et collaboratrices de la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité,
J’appartiens à la première génération de familles de Gastarbeiter en Allemagne. Mes parents ont migré dans les années 1970 dans le cadre de l’accord entre la république fédérale d’Allemagne et la Yougoslavie à l’époque. Ainsi, j’ai des racines albano-kosovares. Depuis, ma famille s’est fortement enracinée dans la société allemande. Par conséquent, à côté de mes intérêts et engagements actifs dans les questions européennes et allemandes, j’ai eu le privilège de poursuivre mes études en Allemagne, aux Etats-Unis et en Grande Bretagne. Aujourd’hui, je prépare une thèse en mathématiques. Contrairement aux jeunes Kosovars d’aujourd’hui, j’ai eu l’occasion de rendre visite à des amis aux quatre coins du monde, de revoir des membres de ma famille et de poursuivre mes études en assouvissant ma soif de connaissances dans différentes universités de l’UE et en dehors. Cependant, je pense que ce dont je m’estime le plus heureux, c’est que, contrairement à la plupart des Kosovars, j’ai pu élargir mon horizon personnel et la richesse de mon expérience grâce à des contacts avec différentes cultures et personnes. Cet attachement à mes semblables et à mes amis éveille en moi une sorte d’identité européenne dans laquelle s’épanouit l’idée européenne sans frontière et de la démocratie en elle. C’est cette identité européenne qui me procure ce sentiment d’être libre de pratiquer ce qui me motive et me réjouit, de donner le meilleur à ma famille et, surtout, à la société qui m’a donné cette chance. À cet égard, l’idée européenne est quelque chose de très spécial pour moi, dans laquelle chacun apporte et reçoit sa contribution. Je reste fermement convaincu que chaque individu qui se déplace et vit au sein de l’Union européenne en tirera profit.
Malheureusement, cette idée européenne est inaccessible à beaucoup de Kosovars et cela m’attriste d’apprendre que de nombreux jeunes étudiants kosovars ne peuvent pas commencer leurs études à l’étranger parce que le visa a été délivré trop tard voire pas du tout. J’aimerais vous raconter une histoire très personnelle à ce sujet : ma famille et moi avions essayé il y a plusieurs années d’inviter ma grand-mère en Allemagne pour une courte visite. Toutefois, sa demande de visa a été régulièrement rejetée par le bureau des visas compétent de l’ambassade de Pristina au motif que « l’on craignait un éventuel retour au Kosovo ». Ma grand-mère avait 72 ans. Aujourd’hui, 19 ans plus tard, ma grand-mère est décédée depuis longtemps. Il ne reste plus que le souvenir de courtes vacances d’été passées avec elle au Kosovo. Pour la première fois, j’ai eu l’impression que ma famille et moi avions laissé l’Union européenne tranquille. Mais quand je considère que de tels scénarios sont des situations quotidiennes pour les Kosovars, je me demande où l’Union européenne est restée dans un petit pays comme le Kosovo.
Le Kosovo a déclaré son indépendance de la Serbie en février 2008. Cette déclaration a été soutenue par de nombreux pays occidentaux, notamment les États-Unis et la plupart des États membres de l’UE. Aujourd’hui, le Kosovo est reconnu comme un État indépendant par plus de 110 États membres des Nations Unies. Depuis lors, je suis heureux de voir les progrès accomplis dans le pays d’origine de mes parents. Certains d’entre eux ne sont peut-être pas visibles pour vous en tant que hauts représentants de l’Union européenne, mais ils sont importants pour ma famille et pour moi, parce que nous pouvons à nouveau parler albanais librement, reconnaître librement nos racines albanaises et, surtout, nous sentir en sécurité dans un jeune État qui nous protège de la discrimination arbitraire et du meurtre. Pour la première fois de ma vie, j’ai eu le sentiment que le vent européen avait atteint le Kosovo, qui avait été éclipsé par une guerre brutale et sanglante en 1998-1999, qui a coûté plus de 15000 vies, dont plus de 2500 dont on n’a jamais retrouvé les corps. On soupçonne qu’ils se trouvent dans des fosses communes en Serbie et que certains d’entre eux ont été utilisés comme matériau de remblai pour des routes bitumées en Serbie. L’Union européenne a imposé au gouvernement kosovar un catalogue de critères pour la libéralisation du régime des visas, un catalogue connu pour son nombre exceptionnellement élevé de critères. Après que le Kosovo a réussi à mettre en œuvre les mesures nécessaires et que la Commission européenne a donné le feu vert à la libéralisation du régime des visas pour les Kosovars, l’Union européenne continue d’hésiter à accepter la libéralisation des visas pour les Kosovars. Je me demande pourquoi les ressortissants de pays comme l’Ukraine, la Moldavie ou d’autres pays des Balkans occidentaux sont autorisés à circuler librement dans la zone Schengen, mais pourquoi les Kosovars se voient refuser le droit de circuler librement.
Outre mes préoccupations personnelles concernant la politique étrangère de l’Union européenne à l’égard du Kosovo, je voudrais également vous faire part de mes préoccupations personnelles concernant votre déclaration au gouvernement kosovar sur l’introduction de droits de douane aux produits serbes. Le Kosovo a fait des efforts après la guerre sanglante et des efforts importants ont été consentis pour normaliser les relations avec la Serbie. Pour la Serbie, cependant, le terme « normalisation » n’a jamais eu de sens. Pour vous l’expliquer plus en détail à partir de ma riche expérience personnelle, j’aimerais vous raconter une autre histoire personnelle : Après la signature de l’accord visant à normaliser les relations entre le Kosovo et la Serbie, les deux parties se sont engagées à normaliser les relations entre les deux pays en garantissant la libre circulation des personnes. Je voudrais vous remercier, ainsi que les institutions de l’UE, pour la contribution de l’UE à la signature de cet accord. Pendant mes vacances d’été, j’avais décidé de me rendre au Kosovo via la Serbie. A la frontière, où des kilomètres et des kilomètres de voitures se sont accumulées parce que la police des frontières serbe a arbitrairement fermé la frontière, beaucoup a été fait pour rendre la vie plus difficile aux Kosovars. J’ai été régulièrement insulté par des déclarations telles que « tous les Albanais devraient être tués et expulsés du Kosovo ». Les frais illégaux que nous, Kosovars, avons dû payer à la police des frontières pour des raisons arbitraires afin d’entrer dans le pays, étaient tout aussi audacieux. Du côté serbe de la frontière, on nous lançait des pierres. En Allemagne, ces comportements seraient considérés comme de la corruption, des insultes, de la haine contre certains peuples et des blessures corporelles. Depuis, j’évite donc la Serbie. L’accord (entre la Serbie et le Kosovo) est de facto inexistant. Je passe donc par la Croatie et une petite partie de la Bosnie-Herzégovine pour me rendre au Kosovo. Les gardes-frontières bosniaques, selon qu’ils appartiennent ou non au groupe ethnique serbe, se comportent en partie de la même manière que la police des frontières serbe, ceux qui m’imposent des taxes illégales.
A cet égard, l’introduction d’une taxe sur les produits serbes n’est qu’une petite réaction du Kosovo à l’initiative serbe visant à saper l’indépendance du Kosovo en demandant aux États (moyennant paiements) de retirer leur reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, dont les citoyens subissent des préjudices financiers et physiques, et en empêchant avec véhémence leur adhésion aux organisations internationales. L’exemple le plus récent est la demande d’adhésion du gouvernement kosovar à Interpol, la plus grande organisation policière au monde, qui permet l’échange d’informations relatives à la sécurité afin de lutter contre le crime organisé. La demande kosovare a été rejetée.
Comme le président kosovar Hashim Thaçi l’a déjà mentionné, le résultat du vote a été une défaite pour tous sauf pour la criminalité. Le ministre serbe des Affaires étrangères a déclaré que le résultat était une grande victoire serbe et n’a pas hésité à insulter publiquement le chancelier autrichien favorable à l’admission kosovare. Expliquez-moi maintenant ce que signifie exactement la « normalisation » et comment le Kosovo doit réagir face à une situation aussi agressive et menaçante sur le plan existentiel. Je n’ai connaissance d’aucune déclaration de l’UE condamnant cette action de la Serbie. Au lieu de cela, les citoyens serbes se voient accorder le libre accès à l’espace Schengen et des pourparlers d’adhésion ont lieu, alors que les Kosovars ne peuvent que rêver du droit élémentaire à la libre circulation. J’ai le sentiment que l’UE a laissé le Kosovo seul, malgré ses efforts et son attitude pro-européenne.
Dans ce sens, j’invite les institutions européennes à prendre au sérieux mes préoccupations et de juger le comportement agressif de la Serbie à l’égard du Kosovo et de ses citoyens, et de respecter le droit à l’existence du Kosovo, sa participation et son autodétermination, comme il l’a été déclaré par la cour internationale sur la légitimité de la déclaration d’indépendance du Kosovo. Dans un second temps, je vous invite à communiquer sur le droit à la liberté des citoyens kosovars, dans lequel la libéralisation des visas sera effective dans l’espace Schengen.
J’espère que cette lettre vous aura touché personnellement, et je vous remercie pour votre attention.
Cordialement,
Burim Ramosaj
1. Le 3 janvier 2019 à 10:27, par Jean En réponse à : Kosovo et Serbie : Lettre ouverte à Federica Mogherini
Avant d’accuser les Serbes de tous les maux, il faudrait que le rédacteur dénonce la mafia et ses dirigeants qui gangrènent le Kosovo et responsables des cette situation. Si le Kosovo n’a pas décollé depuis plus de 10 ans d’indépendance, il faut arrêter d’imputer chaque fois la faute à son voisin. Enfin, empruntant régulièrement la route des Balkans, l’attente aux frontières est très longue depuis avril 2017 après la mise en place du contrôle approfondi de tous les passeports, même quand on sort de Schengen. Au contraire, le passage à la frontière serbe est très rapide et sans complication. Mais lorsqu’on rentre en Hongrie, la colonne de voitures s’étend jusqu’à la frontière serbe. En été il y a chaque jours des milliers de voitures de toute les diasporas, donc à éviter. Enfin à la frontière serbe il y a des panneaux contre la corruption et un numéro d’appel si l’on rencontre un soucis.
2. Le 3 janvier 2019 à 18:04, par colonius En réponse à : Kosovo et Serbie : Lettre ouverte à Federica Mogherini
"sa demande de visa a été régulièrement rejetée par le bureau des visas compétent de l’ambassade de Pristina au motif que « l’on craignait un éventuel retour au Kosovo » " ??? Regression ou retour ? Et voici ce que dit le Pacte mondial pour des migrations sûres (ONU)... page 6/41 Le Pacte mondial est fondé sur le droit international des droits de l’homme et respecte les principes de non-regression😂 et de non-discrimination.
s’agit-il d’une erreur de traduction ?
3. Le 4 janvier 2019 à 19:31, par Bsk Mam En réponse à : Kosovo et Serbie : Lettre ouverte à Federica Mogherini
Très bien dit. Bravo pour ton courage et ta franchise. Espérons que Mme. Mogherini et son staff liront vraiment cette lettre et en prendront compte dans leur actes et déclarations qui jusqu’à la ont été synonyme de #doublestandards
4. Le 6 janvier 2019 à 15:04, par Osmani Arben (CH) En réponse à : Kosovo et Serbie : Lettre ouverte à Federica Mogherini
M. Ramosaj a parfaitement décrit une réalité que l’UE est incapable de constater d’elle même. J’ose espérer qu’il s’agit bien d’un manque de clairvoyance de la part de l’UE et non d’une acceptation délibérée de favoriser les relations avec une Serbie au comportement et agissements belliqueux entraînée par une Russie tout aussi hostile à un mode de vie libre et démocratique si cher à l’UE au détriment d’un peuple Kosovar déjà européen dans le cœur dans l’âme et dans les actes. L’UE doit arrêter de jouer avec les sentiments archi pro-européens des Kosovars et indiquer une ligne de comportement claire aux états candidats à l’adhésion d’une majestueuse idéologie de vivre ensemble et lauréate du prix Nobel de la paix 2012 qu’est L’Union Européenne.
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