Si cet enjeu existe et doit être résolu, l’exclusion ne semble pas la réponse adéquate, pour un certain nombre de raisons : la première (en présupposant qu’il y ait des leçons à tirer de l’Histoire) est qu’il s’écoule un long délai entre la proclamation de principes et leur réalisation concrète. Il se sera écoulé 200 ans entre la déclaration d’indépendance, où Thomas Jefferson et ses compagnons ont écrit : « Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par leur Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur » et la reconnaissance des droits civils et politique des afro-américains. Sans doute, parlons-nous d’un cas extrême, mais on ne peut nier que cette distance chronologique est abyssale.
Il y a peu, lors d’une conférence organisée par le Mouvement européen italien, Emma Bonino a rappelé que sans l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale, n’importe quoi aurait pu leur arriver, et l’effondrement de la Yougoslavie en témoigne. Certes, la Pologne et la Hongrie violent les normes de l’État de droit, mais sommes-nous certains que, sans leur adhésion à l’UE, leur situation politique aurait été meilleure ? Est-ce que l’Italie rurale des années 1950, voire l’ensemble des États fondateurs étaient si différents de la Pologne actuelle ? Nous ne pouvons pas oublier que les élargissements précédents ont permis, en leur temps, l’établissement de la démocratie en Espagne, en Grèce, et au Portugal. L’alternative se situe donc entre le recours au droit du plus fort (comme cela s’est fait en Afghanistan, en Irak, ou en Lybie) ou à la force du droit, qui demande de la patience et des politiques appropriées. L’ancien président de la Commission européenne Romano Prodi disait le 13 octobre 2004 devant le Parlement européen : « la négociation et le dialogue, même en des temps difficiles, sont la seule manière d’exporter la démocratie et la stabilité ».
Concrètement, comment devons-nous agir aujourd’hui face aux demandes d’adhésion à l’UE des Balkans orientaux ? D’une part, il faut reconnaître que l’UE, malgré sa politique étrangère, encore aujourd’hui trop faible, a mené une réelle politique étrangère à travers l’élargissement. Cette politique a mené à la stabilisation de tous les pays qui y ont adhéré. D’autre part, il faut reconnaître que la stabilisation est difficile aux Balkans, parce que la région est le théâtre d’intérêts géostratégiques opposant la Turquie, la Russie et la Chine. Une solution, qu’étudie le Centre d’études sur le fédéralisme de Turin, est qu’il pourrait y avoir une phase transitoire entre la situation actuelle et l’appartenance à l’UE avec les droits et les obligations qu’une telle appartenance suppose. Cette proposition s’inspire des précédents américain et canadien. Le Canada est une fédération composée de 10 provinces et de 3 territoires. Ces derniers couvrent presque 40% du territoire bien qu’ils ne représentent que 0,3% de la population. Les territoires ont moins de pouvoirs que les provinces, mais sont surreprésentés à la Chambre des députés et au Sénat, eu égard à leur population avec environ 3% des parlementaires. Qui plus est, la politique budgétaire fédérale transfère plus de ressources fiscales aux territoires qu’il n’en reçoit d’eux. Quant à l’exemple américain, on peut mentionner Porto-Rico.
Les Portoricains sont citoyens américains depuis 1917 et bénéficient de la liberté de circulation sur l’ensemble du territoire. Bien que l’île ait son propre gouverneur, le chef de l’État portoricain est le président des Etats-Unis. Les portoricains participent aux primaires pour désigner les candidats, mais pas à l’élection présidentielle. Ils ne votent pas pour le Congrès, mais peuvent envoyer des représentants dépourvus de droit de vote à la Chambre. Le budget portoricain est financé par une fiscalité propre, mais les contribuables payent aussi certains impôts fédéraux et sont en partie bénéficiaires des politiques sociales américaines comme la sécurité sociale ou Medicare.
En se référant à ces précédents, nous aimerions attirer l’attention sur le fait que le système fédéral permet des solutions flexibles qui rendent possible une semi-adhésion dont le bénéficiaire partagerait un certain nombre de politiques avec le reste de la fédération.
Dans le contexte spécifique des Balkans, l’enjeu est de trouver une solution transitoire à l’adhésion complète, qui prendrait la forme d’une « association renforcée » ou autre solution prévue par les traités. Une telle association impliquerait l’engagement par l’État bénéficiaire de respecter l’État de droit. Durant la phase transitoire, l’État de droit, l’association pourrait permettre aux États des Balkans occidentaux d’envoyer des représentants au Parlement et au Conseil sans droit de vote.
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