L’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN à l’épreuve de la signature turque

, par Alexis Cudey

L'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN à l'épreuve de la signature turque
Les drapeaux suédois et finlandais / Source : Wikimedia Commons

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a redonné un souffle nouveau à l’Alliance atlantiste, au point que la Finlande et la Suède, deux États historiquement neutres, ont présenté en mai dernier une candidature commune en vue d’intégrer l’Alliance atlantique, renonçant par là même à des décennies de non-alignement militaire. Cette volonté motivée de rejoindre l’alliance se heurte toutefois à la Turquie, qui avance ses revendications pour apposer son trait de plume.

La rupture d’une neutralité historique

Depuis la Seconde Guerre mondiale, la diplomatie finlandaise se caractérise par une posture de neutralité dans les affaires internationales, qui s’explique par sa proximité immédiate avec le géant voisin russe. De 1809 à 1917, la Finlande est en effet une ancienne province russe. Indépendante en 1917, la Finlande est envahie par l’URSS en 1939. Pourtant en guerre avec l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale, la Finlande est contrainte durant la guerre froide à une neutralité forcée, sous la supervision de Moscou, qui lui impose un statut très particulier : la « finlandisation ».

Ce statut repose sur un équilibre politique et économique, lui garantissant une économie de marché, une autonomie intérieure, mais une souveraineté contrainte. Après la Seconde Guerre mondiale, les Finlandais orientent leur identité diplomatique autour du non-alignement, et la Finlande assure même un rôle d’intermédiaire entre l’Est et l’Ouest, comme l’illustre la tenue à Helsinki de la première Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe de 1975. Dans la région, la Finlande rejoignait la Suède dans sa posture de neutralité, adoptée à partir de 1814... après avoir perdu la Finlande justement au profit de la Russie en 1809.

Cependant, la neutralité finlandaise s’est progressivement érodée depuis le début des années 2000, avec la montée en puissance du voisin russe et l’éclatement de conflits en Tchétchénie et en Géorgie et l’annexion de la Crimée de 2014. C’est en cela que l’annonce en mai dernier de sa volonté d’adhérer à l’OTAN a été perçue comme un tournant historique, dynamitant les orientations traditionnelles de la diplomatie finlandaise.

La ratification turque, décisive pour l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’OTAN

Située dans le voisinage proche de Moscou, quel meilleur symbole pour Helsinki pour rompre avec sa neutralité que de déposer sa candidature pour adhérer à l’OTAN ? Depuis plusieurs mois en effet, la Finlande mène en ce sens une intense bataille diplomatique pour accélérer la ratification des autres pays membres de l’Alliance de sa candidature à l’OTAN, et notamment de la Turquie et de la Hongrie. En visite en Turquie début décembre 2022, le ministre de la Défense Antti Kaikkonen a exprimé une certaine forme d’optimisme prudent en déclarant qu’« au moins, nous n’avons pas régressé dans la résolution de cette question ».

En effet, la ratification turque est la validation stratégique à obtenir pour accéder à l’alliance atlantique. Ankara, qui sait ô combien sa ratification pèsera dans dans cette adhésion use et abuse de ce levier pour obtenir des garanties. Deux demandes ont été avancées par le président Erdogan : l’extradition de plusieurs ressortissants kurdes ainsi que la levée de l’embargo de la Finlande sur l’exportation d’armes à destination de la Turquie.

Face à l’élargissement de l’OTAN, les exigences d’Erdogan

La Turquie bloque l’élargissement de l’Alliance atlantique depuis mai, en réclamant l’extradition de plusieurs ressortissants et militants jugés responsables d’une tentative de coup d’État en 2016 qui se sont exilés ou réfugiés en Suède et, dans une moindre mesure, en Finlande. Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) est considéré comme une organisation terroriste par Ankara et l’Union européenne, mais pas par la Suède ni par la Finlande. Depuis 1980, Stockholm a accueilli de nombreux réfugiés politiques kurdes et il n’est donc pas étonnant que Erdogan utilise le levier de la ratification pour obtenir ces gains.

Le ministre finlandais des Affaires étrangères, Pekka Haavisto, a toutefois déclaré que les engagements pris par les deux pays envers la Turquie avaient été « totalement remplis ». La Suède a renvoyé un ressortissant kurde vers la Turquie début décembre, ce qui n’est pas suffisant pour Ankara, qui exige l’expulsion de 130 “terroristes” avant que le Parlement turc n’approuve l’adhésion des deux pays à l’OTAN.

L’autre demande turque a trait à l’embargo sur l’exportation des armes vers la Turquie. La Finlande pourrait reconsidérer sa décision prise en 2019 de ne pas vendre d’armes à la Turquie pour accéder à la demande d’Ankara et ainsi accélérer la ratification turque. Cette décision finlandaise s’inscrivait dans le cadre de l’opération militaire de la Turquie en Syrie contre les combattants kurdes.

Vers un déblocage de la situation en juin 2023 ?

Toutefois, ces engagements semblent ne pas satisfaire les désidératas du Président turc, qui connaissant le poids de sa signature, n’hésite pas à faire preuve de beaucoup d’exigences dans ces négociations. Ainsi, l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN pourrait attendre les élections turques, prévues pour juin 2023.

D’un point de vue strictement technique, l’intégration de la Finlande au sein de l’OTAN ne devrait pas poser de grande difficulté, dans la mesure où les forces finlandaises mènent depuis longtemps des exercices militaires conjoints avec plusieurs États membres de l’Alliance. Cette demande conjointe de double adhésion est historique, autant que le serait leur ratification définitive. Mais cela se heurte, pour l’heure, aux humeurs d’Ankara.

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