La politique migratoire et d’asile de l’Union européenne, un système défaillant
Au sein de l’Union européenne, la politique migratoire est une compétence partagée entre l’organisation et les Etats membres. En ce sens, ces derniers doivent mettre en œuvre leur politique migratoire tout en respectant les règles et principes établis par l’Union européenne. C’est le système de Dublin qui régit la politique d’asile de l’Union européenne. Complété par les règlements Dublin II et Dublin III (sous ce dernier depuis 2013), la Convention de Dublin a créé le régime d’asile de l’organisation régionale. Le texte contient les critères des Etats pouvant accueillir les demandeurs d’asile. Les critères étant au nombre de trois : le demandeur souhaite rejoindre un membre de sa famille dans le pays où celui-ci réside ; le demandeur a déjà obtenu un visa ou un titre de séjour valable par le pays en question ; ou bien le demandeur est arrivé sur le pays en question.
Toutefois, ce mécanisme cible les demandes ponctuelles. Lors de migrations massives, l’UE s’est avérée être impuissante quant à leur gestion. C’est notamment la “crise migratoire” de 2015 qui a témoigné la défaillance de la politique d’asile et des profondes discordances entre les Etats membres. L’Organisation internationale pour les migrations a rapporté près de 1 004 356 arrivées par la mer sur le continent européen et près de 3 771 décès de migrants dans la Méditerranée cette année-là [1]. Afin d’aider l’Italie et la Grèce, pays fortement touchés par ces flux, l’UE a mis en œuvre une politique de relocalisation des migrants proposée par la Commission en septembre 2015. L’objectif étant de fermer les routes des pays Balkans et de permettre à certains demandeurs d’aller dans d’autres pays. Par conséquent, les Etats membres s’engagent à accueillir des demandeurs d’asile pour une période de deux ans. En dépit de l’adoption du texte à la majorité qualifiée, la République-Tchèque, la Slovaquie, la Roumanie et la Hongrie ont voté contre. Alors que l’Allemagne et la Suède avaient adopté des politiques relativement ouvertes, la Pologne et la Hongrie ont manifesté un comportement antagoniste, malgré l’aspect contraignant. Ce dernier est même allé jusqu’à la mise en place de barrières physiques afin d’empêcher l’arrivée des migrants. L’UE a conclu des accords avec des Etats tiers quant à la gestion des flux migratoires. Cependant, ces conventions suscitent des critiques en raison de la non prise en compte des droits humains par ces Etats tiers. C’est le cas de l’Accord de 2016 passé avec la Turquie et du « partenariat stratégique » de 2023 avec la Tunisie.
Le nouveau Pacte sur la migration et l’asile, un tournant « historique »
L’adoption de la nouvelle réforme est le chemin de nombreuses années de pourparlers. Depuis 2016, l’UE cherche à réformer sa politique migratoire en vain. Mais les disparités étatiques ne cessent de bloquer son adoption. Finalement, en 2020, la Commission européenne relance le débat. C’est le 8 février 2024 que les représentants des Etats donnent le feu vert à l’accord avec le Parlement européen. De ce fait, le texte devrait être mis en œuvre d’ici 2026.
Le chancelier allemand, Olaf Scholz, y voit un « pas historique indispensable », qui « limite la migration irrégulière et soulage enfin les pays qui sont particulièrement touchés ». Le nouveau Pacte a pour but principal une harmonisation de la politique migratoire et un renforcement des contrôles aux frontières externes de l’UE. Pour Fabienne Keller, eurodéputée de Renew, l’adoption du Pacte représente une mesure visant à contrecarrer l’influence de l’extrême-droite.
D’une part, la supervision des frontières sera davantage renforcée par le biais d’un « filtrage » des migrants arrivés illégalement. Ce « filtrage » correspond à un processus d’identification et d’accélération de traitements des dossiers. Dans un délai de 5 jours, une fois sur le territoire d’un pays membre, les migrants sont placés dans des centres de rétention afin d’effectuer un contrôle de santé et de sécurité, ainsi qu’à un relevé d’empreintes digitales dans la base de données Eurodac. Cette procédure à pour but de trier de manière rapide les migrants pouvant être susceptible d’obtenir l’asile de ceux ne relevant pas du droit d’asile ou ayant très peu de chance de l’avoir.
D’une autre part, les Etats membres doivent contribuer à la gestion de l’asile afin de venir en aide aux pays impactés par l’arrivée des déplacements migratoires. Chaque Etat devra participer à des transferts ou à des contributions financières à un fonds de solidarité qui sera créé. De plus, la solidarité est obligatoire, et exige une répartition des demandeurs d’au minimum 30 000 migrants. Les Etats refusant ce dispatching recevront une amende de 20 000 euros par personne. Or, en juin 2022, les Etats avaient déjà accepté une première version d’un mécanisme de solidarité pour une période d’un an. L’objectif était d’atteindre 10 000 relocalisations de demandeurs, mais ce système fut un échec [2].
Une politique migratoire et d’asile polarisante
En dépit des ambitions du Pacte, celui-ci fait l’objet de critiques, tant par les eurodéputés que par les ONG de défense des droits humains.
Si la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, affirme qu’il s’agit d’ « un énorme pas pour l’Europe », certains députés dénoncent en réalité le recul de la politique, voire, une réforme encore trop laxiste.
Du côté de la gauche, Mounir Satouri, député des Verts, parle d’un « effondrement des valeurs ». Manon Aubry, députée et tête de liste de La France Insoumise aux élections européenne, partage sa « nausée » en assurant que le « cauchemar rêvé par l’extrême-droite [se réalise] ». Par ailleurs, au sein de ce dernier, les avis sont partagés. Alors que les Frères d’Italie ont voté pour, le Fidesz considère la réforme faiblement restrictive. Son président, Viktor Orbán, soutient fermement que « la Hongrie ne cédera jamais à la frénésie migratoire de masse ». Il en va de même pour le Rassemblement national, dont Jordan Bardella a affirmé vouloir « les [migrants] faire repartir ».
En outre, les ONG dénoncent une politique inhumaine, violant de manière flagrante les droits individuels. Lors de la session plénière à Bruxelles, quelques-unes d’entre elles ont réussi à s’introduire dans l’hémicycle afin d’inciter les députés de ne pas approuver la réforme : « Le pacte tue, votez non ». Eve Geddie, responsable du bureau européen d’Amnesty International, met en lumière l’absence de considération de l’aspect des droits humains. En effet, le texte ne ferait qu’augmenter des renvois forcés violents et illégaux. Dans un rapport sur les activités de l’UE de 2023, Human Right Watch avait déjà pointé du doigt des refoulements illégaux aux frontières externes exercés par certains Etats membres dont la Croatie, la Pologne, la Grèce, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie et la Bulgarie. Dans un communiqué de presse, France terre d’asile et Forum Réfugiés certifient que la politique « n’est ni solidaire, ni coordonnée, ni respectueuse des droits fondamentaux des personnes [3] ». Les centres de rétention sont déjà surpeuplés, laissant les migrants dans des conditions précaires et indignes, ayant des impacts sur leur santé physique et mentale ainsi que sur leur sécurité. En supplément, les associations font part de leur inquiétude quant à la présence de familles composées d’enfants et des mineurs non accompagnés placés dans ces centres.
A l’approche des élections, la question migratoire devient un sujet brûlant dans les débats politiques, mettant en lumière les écarts d’opinion et les enjeux majeurs qui marquent l’agenda politique européen. Dorénavant, il ne reste plus qu’à attendre l’approbation formelle des textes par le Conseil. Ceux-ci entreront en vigueur une fois leur publication au Journal officiel de l’UE. Bien que les Etats membres aient deux ans pour adapter leur législation nationale, les divisions au sein du Parlement accentuent l’incertitude du nouveau pacte.
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