L’affaire Navalny et l’Union européenne : Vous reprendrez bien un peu de poison ?

, par Marie Moussard

L'affaire Navalny et l'Union européenne : Vous reprendrez bien un peu de poison ?
Alexei Navalny. Crédit : Evgeny Feldman / Novaya Gazeta

Le poison est l’arme des femmes, dit-on. En matière d’affaires internationales, c’est sans conteste l’arme de la Russie. L’affaire de l’empoisonnement de l’opposant Alexeï Navalny n’est qu’un nouvel exemple en attestant. L’occasion de revenir sur les affaires d’empoisonnement et les réactions européennes.

Avant de démarrer, résumons brièvement les événements. Le 20 août dernier, alors qu’il rentre de Sibérie en avion, Alexeï Navalny, farouche opposant de Vladimir Poutine, se sent mal. Il est d’urgence conduit dans un hôpital à Omsk pour recevoir des soins. Après moultes négociations, il est envoyé en Allemagne où des examens sont réalisés. Le bilan tombe : il a été empoisonné. Empoisonné au Novitchok (littéralement « petit nouveau » ou « débutant » en russe).

Le poison comme remède à l’opposition

Il ne fait pas bon être opposant du Kremlin. Alexeï Navalny est en effet le dernier exemple en date d’une longue liste. Avant lui, c’est Sergeï Skripal et sa fille Ioulia qui ont fait l’objet des foudres de Moscou. L’ex-espion double a subi le même sort qu’Alexeï Navalny. Sa fille Ioulia n’a pas été épargnée. Ils ont été empoisonnés alors qu’ils se trouvaient à Salisbury, au Royaume-Uni.

Avant eux, ce sont également Alexandre Litvinenko, ancien agent russe, empoisonné au Polonium 210 en 2006 et mort après trois semaines d’agonie, Viktor Iouchtchenko, ancien président ukrainien, opposant au candidat soutenu par le Kremlin, défiguré à la Dioxide en 2004, Georgi Markov, ancien dissident, mort en 1978 d’un empoisonnement à la ricine injectée par un parapluie (« le parapluie bulgare »), Boris Berezovski, tombé en disgrâce aux yeux du Kremlin, retrouvé pendu en 2013 dans sa résidence en banlieue londonienne, ou encore Alexandre Peripilitchni, témoin clé dans l’affaire du fonds d’investissement Hermitage Capital, dont la mort prétendument naturelle s’est finalement avérée provoquée, qui ont payé pour leur opposition au gouvernement russe.

Qu’il ait été fatal ou non, le poison est un remède adulé par les Russes dès qu’il s’agit régler un problème avec l’opposition. Parce qu’il n’est pas nécessairement simple à déceler mais qu’il peut envoyer un message fort, le recours au poison est plébiscité par la Russie. Cette dernière n’est pas la seule à y recourir pour faire taire les opposants politiques : la Corée du Nord, avec l’affaire du demi-frère « illégitime » du dictateur Kim-Jong Un, ou l’Israël avec la tentative d’empoisonnement ratée de Khaled Meechal, membre du Hamas, comptent parmi les utilisateurs de cette arme.

Une réponse européenne tâtonnante

Ces affaires, plus ou moins célèbres, attirent l’attention sur la discrétion de l’Union. La première réponse de l’Union est intervenue dans l’affaire Litvinenko. Elle n’a pas directement pris position contre la Russie mais a affiché son soutien au Royaume-Uni qui faisait alors un peu cavalier seul contre Moscou.

Il aura fallu attendre l’affaire Skripal pour que l’Union européenne adopte des sanctions internationales, punissant ainsi publiquement la Russie pour ses agissements. Ce sont les chefs du renseignement russe qui ont vu leurs avoirs gelés, leur liberté de circulation restreinte et leurs noms affichés au Journal Officiel de l’Union européenne.

Dans le cadre de l’affaire Navalny, l’Union européenne a appelé la Russie à mener une enquête transparente et indépendante. En réponse, la Russie rejette les accusations portées à son encontre, estimant qu’elles sont infondées. Mais l’Union européenne a, semble-t-il, décidé de ne pas se laisser faire. Des voix se sont élevées en Allemagne pour contrecarrer la position russe. Angela Merkel n’a en effet pas exclu de se servir du projet Nord Stream 2 pour faire pression sur le Kremlin. Il s’agit d’un projet de gazoduc permettant de faire transiter le gaz russe en Allemagne via la mer Baltique. Déjà menacé par des nouvelles réglementations et des oppositions politiques, le projet se voit une nouvelle fois remis en cause par une crise diplomatique d’ampleur.

Il faut saluer l’initiative allemande de saisir des projets politico-économiques d’ampleur pour faire pression sur un partenaire aussi compliqué qu’est la Russie. Et, dans son combat, elle est soutenue par Josep Borrell, Vice-Président de la Commission en charge des relations extérieures, qui a, dans une déclaration, sanctionné l’empoisonnement et appelé la Russie à faire la lumière sur cette sombre affaire.

Renverser la vapeur toxique

Fermeté applaudie, il faut poursuivre dans cette voie et aller au bout de la démarche. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’Union européenne joue un rôle marginal dans ces affaires, puisque font seuls tête aux auteurs des empoisonnements les pays sur les territoires desquels se déroulent les faits. Allemagne ou encore Royaume-Uni, ils portent les armes, soutenus par certains Etats membres et, occasionnellement, par l’Union européenne en son nom.

Il convient que l’Union européenne se saisisse franchement de ces problématiques amenées à se répéter. Un moyen d’y remédier serait d’œuvrer à établir un Etat de droit dans les pays auteurs puisque, finalement, le problème réside principalement dans le (non) respect de la démocratie.

L’Union européenne ne peut laisser seul un État membre partir en guerre diplomatique contre un pays qui commet des empoisonnements sur son territoire. C’est parce qu’elle constitue un bloc fort, uni, que l’Union européenne peut peser face à un Etat comme la Russie. Se contenter de demandes idéalistes n’est pas suffisant. Il faut aller plus loin, et l’Union européenne en est parfaitement capable, si elle fait le nécessaire pour renverser, en sa faveur, le jeu de pouvoir instauré avec la Russie. En dépit de quoi, elle reprendra bien un peu de poison...

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