Une attention détournée
Depuis le 7 octobre, le monde vit dans une réalité où la guerre en Ukraine n’est pas le seul conflit meurtrier exigeant des actions décisives de la part de l’Europe et des États-Unis. L’attaque du Hamas contre Israël et l’opération militaire dans la bande de Gaza, qui a suivi, sont déjà depuis plus d’un mois au centre de l’attention des médias et des politiciens mondiaux. Le président américain Joe Biden, le Premier ministre britannique Rishi Sunak, le président français Emmanuel Macron ainsi que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ont tous effectué une visite en Israël.
Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a admis que la guerre entre Israël et le Hamas avait déjà un impact sur le soutien international à l’Ukraine. Selon lui, de nombreux pays du Sud mondial considèrent la guerre entre la Russie et l’Ukraine comme un problème régional, et perçoivent des « double standards » dans la politique occidentale à l’égard de ces deux conflits.
Les États-Unis, principaux sponsors de l’aide militaire à l’Ukraine, se sont également retrouvés divisés sur cette question. Ainsi, la Chambre des représentants a refusé de regrouper l’aide à Israël et à l’Ukraine dans un seul paquet, allouant à Israël séparément 14 milliards de dollars. Rien n’a été alloué à l’Ukraine. Le Sénat, où les démocrates sont majoritaires, a déjà bloqué le projet de loi. Le président Biden avait précédemment promis de mettre son veto à tout projet de loi ne prévoyant pas d’aide à l’Ukraine. Cette division au sein du gouvernement américain est l’une des manifestations de l’affrontement préélectoral entre démocrates et républicains.
Ces divergences au Congrès américain font partie d’un débat plus large concernant le budget pour l’année 2024. L’une des principales pierres d’achoppement est l’aide financière à l’Ukraine, contre laquelle s’opposent certains républicains. Cela indique également que la victoire éventuelle d’un candidat républicain aux élections présidentielles américaines de 2024 pourrait encore davantage compromettre l’aide future à l’Ukraine.
Le changement du paysage politique européen
En Europe, les voix contre un soutien militaire inconditionnel à l’Ukraine se font de plus en plus entendre. Alors qu’auparavant, seul le Premier ministre hongrois pro-Poutine, Viktor Orbán, était un fervent opposant à une telle aide, les résultats des récentes élections parlementaires en Slovaquie ont suscité une inquiétude justifiée en Ukraine. La victoire aux élections a été remportée par le parti populiste SMER-SD. Son leader, Robert Fico, a construit sa campagne électorale autour du slogan catégorique « Plus une seule balle pour l’Ukraine ». Après la nomination de Fico en tant que Premier ministre le 11 octobre, la Slovaquie a suspendu son aide à l’Ukraine.
De plus, le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, l’un des plus grands alliés de l’Ukraine en Europe, a évoqué en septembre 2023 la « suspension de l’aide militaire à l’Ukraine » et son désir de « se concentrer sur le renforcement de sa propre armée ». Ces déclarations ont été faites dans le contexte de l’aggravation du conflit céréalier entre les deux pays et ont ensuite été atténuées par des responsables polonais.
Il ne faut pas oublier que derrière la réduction de l’aide militaire à l’Ukraine se trouvent aussi des raisons tout à fait objectives. Au cours d’un an et demi de la guerre européenne, l’une des plus meurtrières du XXIe siècle, l’Occident a largement épuisé ses stocks d’armes. Ainsi, le chef du Comité militaire de l’OTAN, Rob Bauer, a admis début octobre qu’ils « touchent le fond ». Il est soutenu par le ministre de la défense britannique, James Heappey, et son homologue suédois, Pol Jonson.
Les leçons à tirer pour l’Occident et l’Ukraine
Dans la situation actuelle, les États-Unis et l’Europe doivent accepter le fait que le soutien à l’Ukraine est la seule option pour eux. Pour les États-Unis, abandonner l’Ukraine signifierait l’effondrement de leur influence en Europe et une soumission du continent à la Chine. Il est également évident que la défaite potentielle de l’Ukraine donnerait à la Russie carte blanche pour une agression ultérieure contre des États de l’UE et de l’OTAN tels que la Pologne, la Finlande ou les pays baltes.
Cette situation menaçante demande une réaction plus active de la part de l’Ukraine. Les déclarations passionnées du président Volodymyr Zelensky sur les horreurs de l’agression russe ont eu un impact écrasant sur l’Occident au début, mais après 19 mois de guerre, cela ne suffit plus. Les slogans retentissants doivent être accompagnés par un travail de lobbying et de diplomatie minutieuse avec l’establishment occidental et les plus grandes sociétés de défense. Une étape importante dans cette direction est l’annonce par Zelensky en septembre 2023 de la création d’une Alliance des industries de défense visant à regrouper des représentants de l’industrie de la défense du monde entier. Des signaux positifs sont également observés du côté européen : début octobre 2023, le Conseil de l’UE a adopté un règlement concernant le mécanisme d’achat commun de défense (EDIRPA). Cet outil permettra aux pays de l’Union de reconstituer et d’augmenter leurs stocks d’armes.
Il ne faut pas oublier que la confrontation face à l’agression militaire russe est un processus long et difficile qui nécessite des actions coordonnées de l’Europe et de la communauté internationale dans son ensemble.
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