L’Allemagne, le reflet fidèle des tendances électorales européennes ?

, par Théo Boucart

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L'Allemagne, le reflet fidèle des tendances électorales européennes ?

Le scrutin européen a enfin rendu son verdict tant attendu : les tendances lourdes sont confirmées, malgré son lot de surprise. Parmi les différents résultats nationaux, celui de l’Allemagne pourrait bouleverser le paysage politique national et le fonctionnement de l’Union européenne tout entière.

Après des semaines de campagne, de mobilisation et quatre jours d’élection, l’Union européenne connaît la composition de son prochain Parlement, celui qui co-décidera (avec le Conseil de l’UE) de nombreuses propositions de la Commission entre 2019 et 2024. Les résultats pan-européens laissent une impression mitigée, quoique bien plus optimiste que ce qu’on aurait pu penser il y a encore une semaine. La participation a augmenté de manière spectaculaire dans la quasi-totalité des pays européens, passant de 42.5% à 51%. La droite radicale progresse moins que prévu, tandis que les partis Verts et libéraux tirent leur épingle du jeu, à l’inverse des partis traditionnels du centre-droit et du centre-gauche. Les grandes tendances électorales européennes sont donc confirmées.

La composition des futurs groupes politiques au Parlement européen s’annonce compliquée. La suite ne sera pas non plus un long fleuve tranquille : le Parti populaire européen et l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates ayant perdu leur majorité absolue, l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe et les Verts/Alliance libre européenne se retrouvent presque en « faiseur de roi » et pourront désormais plus peser sur les décisions du Parlement européen.

En se penchant sur les différents résultats nationaux, on constate que l’Allemagne fait figure de laboratoire de la politique européenne : presque toutes les tendances continentales sont observées dans le pays le plus peuplé d’Europe. Comment l’Allemagne va-t-elle pouvoir exercer son influence au sein de l’hémicycle de Strasbourg et par extension dans toutes les institutions communautaires ?

Le séisme vert, la dégringolade rouge

Un premier mot sur la participation, tout à fait exceptionnelle, à cette élection : 61.5% des électeurs ont exprimé leur voix, soit… 13.5 points de plus qu’en 2014. Il faut revenir à 1989 (et donc avant la réunification !) pour retrouver un taux de participation équivalent (62.5%). La nette hausse de la participation est un signe commun à toute l’Union européenne, mais elle est encore plus flagrante en Allemagne. C’est une vraie bonne nouvelle pour la santé et la légitimité de la démocratie européenne, les citoyens se sont emparés des enjeux de ces élections et les résultats sont donc plus représentatifs que pour les scrutins européens précédents.

A l’instar de son équivalent européen, la Grosse Koalition a subi un revers, en particulier le centre-gauche. La CDU-CSU, emmenée par Manfred Weber, est en tête avec seulement 29% des voix. Le SPD continue sa descente aux enfers (et ce n’est pas une hyperbole) : le parti de Katarina Barley récolte moins de 16% des suffrages et n’est désormais que la troisième force politique allemande. Un véritable cataclysme pour la social-démocratie outre-Rhin, littéralement embourbée au gouvernement et désespérément en quête d’une place dans l’opposition afin de se ressourcer. Le pouvoir use, cela n’a jamais été aussi vrai pour le SPD. Néanmoins, tout comme le PPE et S&D, les pertes restent limitées pour la CDU-CSU et le SPD, si on les compare aux conservateurs espagnols ou aux socialistes français.

La grande surprise de ce scrutin, que ce soit en Allemagne ou dans toute l’UE, est la percée des partis écologistes. Les Verts allemands ont ainsi obtenu le score historique de 20.5%, près de dix points de plus par rapport à 2014. Le parti de Ska Keller et de Sven Giegold a certes surfé sur une excellente dynamique depuis les élections fédérales de 2017, mais ont surtout proposé un programme réellement européen, tourné vers les défis futurs et porteur d’espoir, tout en ne tombant pas dans le piège idéaliste. Au niveau européen, le groupe Verts/ALE se retrouve également dans le camp des nets vainqueurs, les enjeux de la politique climat-énergie de l’UE ayant été l’enjeu déterminant pour de nombreux citoyens européens.

Une hausse modérée des libéraux et de la droite radicale

L’écologie politique n’est cependant pas la seule à jubiler. La droite radicale eurosceptique, voire europhobe, ainsi que les centristes libéraux, peuvent sourire à l’issue des élections européennes. En Allemagne, l’AfD et le FDP sont ainsi en progression, quoique limitée, par rapport à 2014 (respectivement 11% et 5.5%). Il s’agit tout de même d’une petite déception pour la droite radicale emmenée par Jörg Meuthen, tant la bonne dynamique post-élections fédérales auraient pu donner bien plus de voix supplémentaires à l’AfD. Quant au FDP de Nicola Beer, il poursuit sa lente convalescence depuis l’effondrement de 2013 (le parti avait vu à ce moment-là une division par trois de son électorat et son exclusion du Bundestag). Les résultats de la droite radicale et des libéraux allemands sont ainsi semblables aux tendances européennes : progression du centre, représenté par l’ADLE et poussée modérée des populistes de droite. En ce qui concerne les autres partis, quelques changements sont à noter. La gauche radicale de Die Linke perd des voix mais se stabilise à 5.5%. Les têtes de liste parfaitement inconnues du grand public, Martin Schirdewan et Özlem Alev Demirel, n’auront pas réussie à surfer sur leur promesse d’une Europe sociale et solidaire. Die Partei, un parti populiste et satirique fondé par le député européen Martin Sonneborn, réussit une belle performance en quadruplant son électorat, réalisant 2.4%. Le parti néonazi du NDP perd quant à lui son seul eurodéputé, ce qu’on peut difficilement regretter.

Des résultats mitigés pour les partis euro-fédéralistes

Ces élections européennes ont été aussi marquées par la présence médiatique des partis ouvertement fédéralistes, les deux principaux étant Diem 25 et Volt. En Allemagne, la liste « Demokratie in Europa – Diem 25 » est sortie du lot médiatique grâce à la candidature de l’ancien ministre des finances grec et pourfendeur de l’ordolibéralisme allemand, Yanis Varoufakis. Les résultats n’ont cependant pas été à la hauteur des espérances : le parti fédéraliste de gauche ne réalise que 0.3%. Volt, un parti fédéraliste plus centriste, a réussi une prouesse en envoyant leur tête de liste, Damian Boeselager, à Strasbourg. Il sera ainsi l’unique eurodéputé de Volt Europa.

Manfred Weber K.O.

Les tendances électorales observées en Allemagne sont ainsi les mêmes qu’au niveau européen. Malgré quelques surprises, la scène politique allemande résiste bien aux bouleversements affectant de nombreux autres pays. Les résultats des élections digérés, il va falloir désormais se pencher sur la répartition des postes importants au Parlement, puis à la Commission européenne.

Alors que Manfred Weber, le candidat désigné du PPE pour devenir président de la Commission européenne, avait toutes ses chances il y a encore quelques mois, les obstacles s’amoncellent sur sa route vers le Berlaymont, siège de la Commission à Bruxelles. Le Bavarois avait néanmoins commencé à négocier avec les autres groupes politiques européens pour s’assurer la succession de Jean-Claude Juncker. Ces négociations ne s’annonçaient pas sous les meilleurs auspices, étant donné qu’aucun accord n’a encore été trouvé au sein des groupes politiques pour soutenir la candidature de Weber. Revigorée par le bon résultat des partis de l’ADLE, la Commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager a lancé un pavé dans la mare en fustigeant le monopole du PPE et des S&D pour choisir le Président de la Commission. Le coup de grâce semble avoir été donné lors de la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement du 29 mai qui se sont accordés pour ne pas adouber la tête de liste du PPE.

L’élection de Manfred Weber à la tête de l’exécutif européen aurait posé une autre question : celle de l’influence de l’Allemagne dans les institutions européennes. Manfred Weber aurait certes été le premier Président allemand de la Commission depuis 1967 et la démission de Walter Hallstein, il n’en demeure pas moins que les Allemands sont particulièrement bien représentés aux postes les plus stratégiques, surtout au Parlement européen. Les résultats des élections européennes en Allemagne pourraient-ils changer tout cela ? Si la CDU-CSU, die Linke et surtout les Verts devraient conserver une prépondérance sur leur groupe politique respectif, les Sociaux-démocrates devraient perdre leur rôle dominant, probablement au profit des Socialistes espagnols. Le FDP devrait être noyé dans la masse de l’ADLE, surtout si les députés français de LREM confirmaient leur affiliation. Finalement, la domination de Berlin sur l’UE sera peut-être limitée.

Vers une déflagration de la « GroKo » à Berlin ?

Cette crainte est d’autant plus exagérée que le gouvernement d’Angela Merkel pourrait se retrouver extrêmement fragilisé par les résultats de ce dimanche, entravant de ce fait son travail au Conseil de l’UE et au Conseil européen. Les échecs électoraux successifs, notamment pour le SPD, pourraient d’ailleurs pousser ce dernier à reconsidérer sa place au sein de la coalition gouvernementale. Un partenaire mineur d’une coalition allemande se voit toujours imposer le cap par le partenaire majeur, quand bien même le programme européen du SPD a voulu se différencier de celui de la CDU-CSU.

Les prochaines semaines vont donc être décisives pour le gouvernement allemand. Le SPD pourrait changer de stratégie après ce nouveau revers électoral. Si la « GroKo » tombe, Angela Merkel tombe définitivement, ce qui affaiblirait provisoirement la position de l’Allemagne au sein des institutions européennes. Même si le pragmatisme l’a (presque) toujours emporté dans la politique allemande de ces dernières années, les élections européennes pourraient être un nouveau point de départ.

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