“L’après-Merkel" se dessine enfin en Allemagne

, par Alexis Vannier

“L'après-Merkel" se dessine enfin en Allemagne
Bundestag, Parlement allemand Source Pxfuel

Les électeurs allemands étaient appelés ce dimanche aux urnes pour mettre fin au long règne d’Angela Merkel à la chancellerie du pays. Avec 16 années passées au pouvoir, elle est la plus ancienne cheffe de gouvernement des États de l’Union européenne, devant l’indéboulonnable hongrois Viktor Orbán et l’infatigable néerlandais Mark Rutte (même si ce dernier a bien du mal à concrétiser sa quatrième victoire en mars dernier). Qui pour remplacer la plus grande figure européenne de ces dix dernières années ? À huit mois de l’élection présidentielle française, c’est l’avenir du couple franco-allemand qui se joue maintenant.

Par ailleurs, ce week-end était particulièrement chargé en scrutin sur le continent : des élections sénatoriales pour les Français établis hors de France, des municipales au Portugal, des régionales en Haute-Autriche, des régionales à Berlin et en Mecklembourg-Poméranie occidentale et des référendums en Suisse (qui a vu l’adoption du mariage homosexuel à 64,1%) et à Saint-Marin (qui a vu la légalisation de l’avortement à 77,3%).

En 2017, l’extrême-droite allemande frappait fort

En Allemagne, la CDU (Christlich Demokratische Union), associée à la CSU bavaroise (Christlich-soziale Union), d’Angela Merkel avait trimpohalement remporté les élections de 2013 avec 41,54% des voix. Mais en 2017, la chute a été raide.

Le quatrième scrutin auquel a participé Angela Merkel est un soufflet pour les partis traditionnels : la CDU/CSU (associée à la couleur noir) réunit à peine un tiers des votants et perd 65 sièges qu’elle détenait, pour en retrouver 246 sur 709, c’est le second pire résultat de son histoire. Le pire score de son histoire, c’est le SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) qui l’atteint : à peine 20% des voix (-5,2% par rapport à 2014) et 153 strapontins préservés (-40).

Cette claque subie par la gauche et la droite traditionnelles sont à mettre au profit d’abord de la droite eurosceptique et anti-immigration de l’AfD (Alternative für Deutschland) qui double son score avec 12,6% des voix obtenus. Pour sa deuxième participation au scrutin fédéral, il rentre au Bundestag avec 94 parlementaires.

Les Libéraux du FDP (Freie Demokratische Partei) font eux leur retour au Parlement en convainquant un peu plus d’un électeur sur dix, ils obtiennent ainsi 80 sièges. Profitant de légères améliorations, la gauche radicale Die Linke gagne 5 sièges supplémentaires (69 au total), 4 pour les écologistes Bündnis 90/Die Grünen (67 au total).

L’entrée fracassante des nationaux-conservateurs de l’AfD n’est que la suite logique de la poussée de la droite radicale partout en Europe, surfant notamment sur la crise migratoire de 2015-2016. De plus, le système de Grösse Koalition à l’allemande entre gauche et droite ne semble plus être du goût des électeurs.

Une difficile succession

Au CDU, il est difficile de succéder au “phénomène Merkel”. L’ancienne Ministre-Présidente de Sarre Annegret Kramp-Karrenbauer a été choisie début 2019, face à l’aile droite du parti représentée par l’éternel rival de Mutti, l’homme d’affaires Friedrich Merz. Cependant, les mauvais résultats accumulés par la droite, notamment aux élections européennes de mai 2019 (28,9% obtenus, en baisse de 6,5%), instillent le doute. En janvier 2021, un nouveau congrès voit la victoire du Ministre-Président de Rhénanie du Nord-Westphalie Armin Laschet, se revendiquant dans la droite ligne d’Angela Merkel, toujours face à Friedrich Merz. Son image sérieuse a toutefois pris du plomb dans l’aile quand il a été vu s’esclaffant de rire derrière le président Frank-Walter Steinmeier rendant hommage aux très nombreuses victimes des inondations meurtrières de cet été dans l’ouest du pays. Ce faux pas indigne combiné à une catastrophe naturelle causée vraisemblablement par le dérèglement climatique a boosté la campagne des Verts, emmenés par la jeune Annalena Baerbock. Cependant, un scandale impliquant cette dernière dans une affaire de plagiat (qui semble être une spécialité allemande) a rapidement mis fin à la première place des écolos dans les sondages.

Dans les dernières semaines, c’est le rigide social-démocrate Olaf Scholz qui semblait profiter des déboires de ses challengers, le SPD réalisant une belle remontada dans les sondages pour un parti souvent qualifié de moribond. Son expérience (il est vice-chancelier et ministre des finances) semble là aussi jouer en sa faveur.

Passer après Angela Merkel s’avère donc une véritable sinécure pour ses prétendants. À tel point que dans cette campagne qui se personnifie autour des leaders des partis, de manière inhabituelle en Allemagne, ces derniers revendiquent tous une certaine filiation avec Mutti dans quelque aspect que ce soit : l’absence de charisme pour le conservateur, les mains jointes en “diamant” pour le social-démocrate, la féminité pour l’écologiste… Il s’agirait de ne pas trop critiquer le bilan d’une sortante encore au faîte de sa popularité.

D’abord silencieuse, Angela Merkel a été invitée à voler au secours de son poulain Laschet, allant même jusqu’à brandir, dans une tentative assez désuète, le danger pour la démocratie que constituerait l’entrée au gouvernement de Die Linke.

Les crises sanitaire et climatique dans le pays ont fait de l’environnement et de la gestion des conséquences sanitaire et économique du coronavirus les thèmes centraux de cette campagne, alors que l’Europe n’a tout simplement pas été évoquée dans les débats. Dommage.

Un score serré pour une chancellerie incertaine

Avec plus d’un quart des voix obtenues (soit 5% plus qu’en 2017) et 206 sièges obtenus (53 de plus qu’en 2017), le SPD ravit la première place au CDU pour la première fois depuis 2002, et cela contre toute attente, au regard de la situation il y a encore trois mois. Armin Laschet ne réussit pas son pari : avec à peine 24% des voix il perd près de 9 points et 49 députés, rassemblant plus que 196 d’entre eux. Les deux partis sont ainsi au coude-à-coude, alors que la CDU réalise son pire score historique. Les Verts confirment leur bonne santé en arrivant troisième du scrutin, en hausse de 6 points, presque 15% des votants leur ont fait confiance, un record, leur offrant 118 strapontins, contre 67 auparavant. Des résultats cependant décevants au vu des différents sondages d’opinion. Les Libéraux du FDP (associés à la couleur jaune), avec 11,5% des voix et 92 sièges au final, grattent quelques voix aux conservateurs et se placent dans la situation de faiseurs de roi, ayant déjà gouverné avec les deux premiers. Stagnation attendue pour la droite radicale qui recule de 2,3 points (10,3% des votes). L’AfD, en perdant 11 de ses 94 sièges, continue son lent reflux amorcé en début d’année. En queue de peloton, Die Linke sauve les meubles : avec 4,9% des voix obtenues, ils évitent la banqueroute (grâce aux sièges de circonscription) et parviennent à rassembler 39 députés. Le nouveau Bundestag comptera donc 735 sièges occupés.

Ces résultats offrent plusieurs possibilités : coalition en feu tricolore (Rouge-Verts-Jaune), coalition allemande (Noir-Rouge-Jaune), coalition kényane (Noir-Rouge-Vert), coalition jamaïcaine (Noir-Jaune-Vert)... Même si une coalition Rouge-Rouge-Vert du bloc de gauche paraît la plus idéologiquement acceptable, et politiquement viable. Ce sont de longs mois de négociations qui attendent les Allemands pour obtenir un gouvernement. Souhaitons-leur plus de réussite qu’aux Pays-Bas (sans gouvernement depuis 255 jours) et qu’à la Bulgarie (le troisième scrutin législatif de l’année, après avril et juillet, est prévu en novembre pour tenter de trouver une issue au bourbier politique). Les leaders des deux partis arrivés en tête ont cependant indiqué vouloir arriver rapidement à la conclusion d’un cabinet solide. Olaf Scholz a d’ores et déjà fait savoir qu’il entendait former une coalition avec les Verts et les Libéraux. À suivre...

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