Nous l’avons vu dans le premier article de cette série, l’éthique présente des enjeux réels : elle est un outil remarquable pour le développement de nos sociétés européennes et pour tendre vers une meilleure gouvernance.
Malheureusement, ce domaine est trop souvent piégé dans une posture où il ne peut que rappeler des principes essentiels. Sollicitée à l’occasion de scandales, l’éthique est prise de court et ne peut pas formuler de réflexions satisfaisantes, et les problèmes tendent à se répéter.
Alors si l’éthique publique européenne a un avenir, dans quelle direction se dirige-t-il ?
Éthique ne rime pas avec inertie
L’éthique, ça n’est pas une vieille rengaine de ce qui est bien et de ce qui est mal. C’est une activité en mouvement avec son histoire, ses évolutions et ses adaptations à son contexte. Nous ne savons pas encore tout de l’éthique, ni comment la pratiquer et l’appliquer au mieux dans notre quotidien. Et de ce point de vue, la recherche est essentielle.
Les programmes Horizon 2020 et Horizon Europe
Horizon 2020 a été le programme cadre de la Commission européenne de 2014 à 2020. Il s’agit d’un programme de financement de la recherche et de l’innovation dont le budget s’élevait à hauteur d’environ 80 milliards d’euros. C’est désormais le programme Horizon Europe qui lui a succédé.
C’est au sein de ce programme que l’European Research Council (ERC), l’organisation fondée par l’Union européenne en 2007, veille à l’excellence de la recherche exploratoire en attribuant des subventions. Il représente 17% du budget total d’Horizon Europe. L’activité fondamentale du ERC consiste à fournir un financement attractif à long terme pour aider d’excellents chercheurs et chercheuses ainsi que leurs équipes à poursuivre des travaux novateurs, à haut rendement et à haut risque.
Aujourd’hui, l’éthique constitue l’un des fronts de recherche de ce programme. En effet, l’UE fait le pari qu’une éthique publique ouverte à tous et toutes peut faire une différence dans l’avenir. Autrement dit, les institutions européennes ont pour projet de faire de l’éthique une activité démocratique en favorisant les échanges entre experts, expertes, citoyens et citoyennes.
Le projet DEMOSERIES : une exploration collective du réel par la fiction
DEMOSERIES, Shaping Democratic Spaces : Security and TV Series est un projet soutenu par l’ERC et accueilli par l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne. Il bénéficie d’un financement de 2,2 millions d’euros sous la direction de Sandra Laugier, professeure de philosophie dans cette même université. Ce projet a débuté en 2020 et devrait prendre fin cette année.
Le projet DEMOSERIES examine le potentiel esthétique des séries TV pour visualiser les problèmes éthiques. Plus précisément, il vise à étudier la capacité des séries télévisées à enrichir la conversation démocratique et les politiques publiques. En effet, nos séries constituent de nouvelles ressources pour notre éducation morale, notre créativité et notre perfectibilité. En ce sens, nos séries représentent un vivier de solutions pour faire face aux bouleversements culturels et sociaux en cours. Par exemple, l’étude de la série Killing Eve a permis de mettre au jour des questions de sécurité internationale et d’intersectionnalité. En exploitant les ficelles du patriarcat, le personnage de Villanelle démontre comment une tueuse à gage peut opérer en toute invisibilité dans plusieurs pays.
Pour en savoir plus, une équipe de spécialistes en philosophie morale, science politique, droit, et études cinématographiques s’attèlent au traitement des données et des images. En élucidant la création et la réception de ces séries, ils mettent en avant une éthique particulariste basée sur l’attention aux situations.
Qu’est-ce que cette éthique particulariste ? C’est une théorie morale qui va à l’encontre de notre désir d’énoncer des règles générales de pensée et d’action. Ce désir nous conduit à négliger des aspects importants et complexes de la vie morale, à savoir nos proximités, nos motivations, ou encore nos relations. Le dilemme du tramway n’a jamais aidé personne à prendre de décisions dans sa vie courante … Au contraire, l’éthique particulariste fait valoir une attention aux détails ordinaires de la vie. Percevoir ce qui est important dans notre quotidien et ce qui compte pour nous revêt de forts enjeux moraux et politiques car nos jugements en dépendent.
Alors quand un certain nombre d’œuvres proposent d’intégrer « les coulisses » des régimes démocratiques, comment ne pas y voir une conversation avec les politiques publiques ?
Le cas de Volodymyr Zelensky
L’exemple le plus célèbre est celui du président actuel de l’Ukraine. Ce dernier était l’acteur principal de la série Serviteur du peuple, diffusée sur la chaîne 1+1 à partir de 2015. Il incarnait alors un professeur de lycée arrivé à la présidence de l’Ukraine de façon inattendue. V. Zelensky a ensuite lancé un parti homonyme à sa série, et s’est présenté aux élections présidentielles ukrainiennes de 2019. En somme, cette série a fait se rejoindre le réel et la fiction en familiarisant ses spectateurs et spectatrices à une politique alternative où un « homme ordinaire » est élu président.
Alors si vous pensiez que regarder une série dans votre canapé vous éloignait de l’espace public et démocratique…
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