L’Europe à vélo (3/8) : Va dire à Sparte que nous traversons le nord de la Grèce

, par Maxime Caillet

L'Europe à vélo (3/8) : Va dire à Sparte que nous traversons le nord de la Grèce

Pendant 7 mois, Maxime a parcouru les routes européennes sur son vélo suivant un itinéraire improvisé. Ce troisième épisode suit – à travers le regard d’Hippolyte, son dromadaire en peluche - la traversée du nord de la Grèce. Un nord authentique, rustique et moins connu des vacanciers, qui a surpris nos voyageurs à bien des égards.

Epómenos stathmós Igoumenítsa, Next stop Igoumenitsa

Pendant que les glaçons de notre dernier Spritz fondent sous le soleil de plomb, Maxime identifie une compagnie qui accepte les vélos et nous permet de traverser la mer Adriatique. Alors que nous ne sommes qu’une poignée de voyageurs, nous embarquons dans un énorme paquebot chargé de rallier Bari à Igoumenitsa (300 km) en 11 heures. Rapidement, les lueurs du ciel tombant plongent l’ensemble du décor dans un envoûtant bleu opaque. La vie sur le navire suit son cours. Maxime est invité à une partie de cartes. Autour de la table, trois adversaires d’un bon quintal chacun et tatoués d’inscriptions albanaises frappent le plateau rouillé de la table d’extérieur, renversant un peu plus d’Ouzo sur le tapis de jeu. Je profite du calme intérieur pour m’installer dans une salle de repos. Ici, les places sont chères : les voyageurs s’étalent de tout leur long sur les banquettes, les aisselles apparentes pour capter les quelques courants d’air qui s’engouffrent sous les portes battantes. J’enjambe les dormeurs qui ont préféré installer quelques couvertures sur le sol pour se créer un cocon éphémère. Je les imite. Maxime me rejoint quelques heures plus tard, sans vraiment savoir qui a finalement gagné le jeu.

Mer Adriatique, traversée Bari-Igoumenitsa

3 000 km pour rencontrer son voisin

A l’aurore, le son de la machinerie du rafiot se fait moins présent, puis retentit la corne de brume : « Terre en vue » ! Nous arrivons en Grèce à 4h30 dans un port non éclairé. Ma première découverte est l’esthétique d’un nouvel alphabet. Dans une première ruelle, nous demandons notre chemin. Les trois promeneurs matinaux se regardent étonnés : ici non plus l’anglais ne nous aidera pas.

Lac de Janina, Epire

Lorsque les premières lueurs éclairent le petit port d’Igoumenitsa, nous nous enfonçons progressivement vers les hauteurs de l’Epire. Je m’étonne des mignonneries - le long des routes désertes, les Grecs installent de petites églises orthodoxes – Maxime esquive les moutons et brebis, qui remplacent les voitures sur le macadam accidenté.

Quelques instants plus tard, Maxime aperçoit un autre voyageur à vélo et redouble d’effort pour rejoindre le cycliste. Aucun doute possible : « la barbe non entretenue, le cuissard usé et les drapeaux balkaniques sur la monture, ce garçon est l’un des nôtres ! ». Il ne pensait pas si bien dire. Simon avait entamé son voyage deux semaines après nous, commençant à seulement quelques mètres de notre appartement parisien, et le terminera à Istanbul, point d’étape de notre voyage. Si tout n’est qu’enchaînement de causes et de conséquences, il est difficile de ne pas s’étonner devant un tel hasard.

Route de Metsovo, Epire

Méditation sur les colonnes du ciel

Acheminer la caravane en haut des sommets des Epires semble beaucoup plus facile. Le craquement des vélos s’entremêle entre les rires et les récits de voyage. Après trois journées composées uniquement de côtes raides, nous sommes surpris par l’orage. Le paysage est magnifique. Alors que les montagnes aux sommets blancs s’illuminent en rythme au son des éclairs, les lacets incessants contraignent les deux pilotes à toujours plus écraser les pédales. Le moral des conducteurs un peu entaché par le voyage, je propose à l’équipage de reprendre des forces autour d’une spécialité locale. Je commande alors trois kokoretsi - sans la moindre assurance sur la prononciation ou sur le contenu. Le serveur me renvoie un sourire complice que seuls les habitués ont le plaisir de connaitre. Les effluves sortent de la cuisine familiale et rapidement les odeurs chatouillent étrangement nos narines : le plat traditionnel est composé de boyaux et d’abats d’agneau mis en broche et parsemés de quelques herbes aromatiques. Bilan de la soirée : crampes d’estomac et tête à tête langoureux entre Simon et la cuvette des toilettes. Le lendemain, les 1 700 mètres du col de Katara sont passés, les deux grands gaillards de pilotes peinent à contenir les larmes de joie. En contrebas d’une station de ski désertée, Maxime contemple le paysage allongé sur une plaque de glace, tandis que Simon immortalise le moment en dégainant son appareil.

Col de Ketara, Thessaly

La suite continue de nous couper le souffle - nous amorçons une quarantaine de kilomètres en descente sans le moindre effort. Après quelques heures, les Météores se dévoilent. Les grandes montagnes laissent place à des falaises et pitons rocheux gris sur lesquels des moines orthodoxes ont suspendu leurs monastères dès le XIème siècle. La légende raconte que les roches ont été envoyées du ciel par la Providence pour permettre aux ascètes de se retirer dans une vie monacale. Cette fois-ci, c’est moi qui sèche pudiquement mes larmes.

Météores, Thessaly

Tomates et Feta les pieds dans l’eau

En Grèce, on a envie de se baigner dans les nuages. Chaque tour de roue installe un peu plus la carte postale. Evoquer la mer Egée gargarise nos conducteurs, nous filons parfois à plus de 25 km/h durant des journées entières, dépassant les 140 km. Aux côtés des serpents déambulent souvent de petites tortues. Ici, les reproductions d’églises orthodoxes continuent à ponctuer les chemins. Nous comprenons qu’elles sont bâties pour accompagner ceux qui ont perdu la vie sur la route. Le golfe Thermaïque est rapidement atteint. Je m’étonne de découvrir des villes délabrées, sans infrastructure, dont le front de mer est bétonné par de grands ensembles. La nuit, nous décidons de planter notre camp contre les installations d’un bar de plage, stockées avant la reprise de la saison. Nous mangeons les cerises sucrées qu’une villageoise nous a offert, s’excusant de ne pouvoir nous héberger dans son jardin. Seul un renard vient troubler le bruit de l’écume qui s’essouffle le long de la plage. Il cherche de quoi manger, les garde-mangers des poubelles londoniennes sont ici, les détritus acheminés par les vagues.

Le bouillonnement méditerranéen de Thessalonique

Nous poursuivons la route. La chaleur se fait de plus en plus importante et les corps dénudés de nos pilotes commencent à porter les stigmates du soleil continu. Seuls les cafés froids offrent un rafraîchissement de courte durée. En fin d’après-midi, nous découvrons la banlieue de Thessalonique, deuxième ville du pays. Depuis Naples, aucun endroit ne rassemblait autant de personnes, autant de bruit et de pollution. La ville est quadrillée de larges avenues et l’air y est irrespirable. Au milieu du béton, quelques vestiges du passé s’érigent.

Thessalonique, Macédoine

Nous profitons du repos proposé par la terrasse de l’auberge de jeunesse. Demain, nous reprendrons la route sans Simon. Les dernières journées ont été exigeantes et même si le corps des conducteurs se formate progressivement à leur unique utilité, les muscles ont besoin de se relâcher.

Thessalonique, Macédoine

Derniers pas de danse de la séquence grecque

A quelques kilomètres de Maroneia, les pluies diluviennes des montagnes s’écoulent en formant de puissants torrents, qui provoquent la crue de la rivière du Lissos en aval. Notre pont est sous les eaux. Qu’importe, nous n’avons pas d’autre itinéraire. Maxime prend de l’élan et transforme la caravane en canots de rafting. Presque immédiatement, les roues se bloquent dans l’eau et la caravane bascule dans la rivière, sous le regard amusé de deux grecs arrivés pour assister à la cascade. Ils nous aident à ramasser les sacoches et nous proposent de traverser les eaux glacées à l’arrière de leur pick-up jusqu’au prochain village. L’hospitalité grecque n’est pas un mythe : nos sauveurs nous offrent des fruits et un café réconfortant. L’un d’eux monte sur un banc et esquisse fièrement quelques pas de Sirtaki. Maxime se prend au jeu et le voilà s’imaginant en fier Zorba !

Rivière du Lissos, Macédoine

Avant la frontière avec la Turquie, nous décidons de nous reposer à Alexandroúpolis. L’endroit est le point de chute idéal de nombreux cyclo-voyageurs qui décident de conquérir Istanbul et nous savons Simon peu loin. Alors que Maxime prend sa douche, je rencontre Alain. Alain fait partie de ces voyageurs inclassables, que rien n’arrête. Il n’a qu’un petit sac de vêtements et un bidon d’eau. Il revient à vélo d’Istanbul et souhaite rentrer chez lui, à Sète : « j’ai parcouru l’Europe, traversé les montagnes du Maghreb, voyagé en Afrique et en Asie, mais Istanbul, c’est une ville de fou… Plus jamais à vélo ! ». Maxime nous rejoint, accompagné de Simon, tout juste arrivé. Ils écoutent Alain attentivement mais n’ont pas l’air de réaliser. Simon éclate de rire, Maxime lui tape dans la main : « Ça sera encore plus drôle ! ». Demain, nous reprendrons le chemin pour dépasser les frontières de l’Europe. De nouvelles histoires, de nouvelles cultures nous attendent. Un autre monde séparé par plusieurs postes frontières militarisés, plusieurs check-points, où seules de larges bannières rouges, ornementées d’une étoile et d’un croissant blancs, apportent de l’ombre aux kilomètres de no mans land.

Parc national du Pinde

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