L’Europe doit retrouver l’esprit du CERN : dans l’intérêt de la science, de la prospérité et des valeurs européennes

, par Alonso Campos, Traduit par Lorène Weber

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L'Europe doit retrouver l'esprit du CERN : dans l'intérêt de la science, de la prospérité et des valeurs européennes
L’expérience ATLAS au CERN. Photo : CERN (CC BY 4.0)

Alors qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe est en ruines, la science européenne fait partie des innombrables victimes de la guerre et des années l’ayant précédée. Avant la guerre, l’Europe était le foyer de beaucoup parmi les plus brillants esprits scientifiques du monde. Puis, de nombreux scientifiques d’origine juive (à l’image d’Albert Einstein, parmi beaucoup d’autres) durent fuir aux Etats-Unis pour éviter la persécution, ou parce qu’ils s’opposaient au régime nazi et à sa politique extérieure d’occupation. Le calme revint mais les scientifiques continuèrent d’émigrer en Amérique, dans la mesure où, au milieu de la reconstruction, les conditions matérielles pour développer la science en Europe étaient quasi inexistantes.

Cette « fuite des cerveaux » menaçait de retarder les progrès de la science européenne pendant des décennies. Pour mettre un terme à la situation, particulièrement préoccupante dans le domaine de la physique nucléaire (où les nouvelles superpuissances américaine et soviétique étaient le plus aptes à acquérir le savoir-faire européen), plusieurs pays se sont rassemblés pour créer le Conseil européen pour la recherche nucléaire, le désormais mondialement célèbre CERN. Cette institution n’a pas seulement sauvé la physique nucléaire et des particules européenne de l’obsolescence, mais a également hissé l’Europe à un rôle de leader mondial dans ces domaines.

Aujourd’hui, l’Europe fait face à un problème très similaire à celui des années d’après-guerre. La science européenne prend du retard dans des secteurs et des technologies clés tels que la recherche sur l’intelligence artificielle et la manipulation génétique (CRISPR). Cela est en grande partie dû au manque de capital-risque nécessaire pour propulser des start-ups (comparé aux États-Unis), à la montée de la Chine comme puissance mondiale dans la recherche et le développement, et au manque de compétitivité des carrières académiques par rapport aux entreprises privées en termes de salaires et de conditions de travail. Pris tous ensemble, ces facteurs amènent de nombreux jeunes scientifiques européens à émigrer (principalement aux Etats-Unis) pour rechercher de meilleures opportunités et de meilleurs salaires.

L’UE doit suivre l’esprit du CERN

Bien que les cercles politiques et académiques tirent la sonnette d’alarme et que des plans soient dessinés, il reste énormément à faire pour résoudre le problème. L’impact que ces technologies d’avant-garde pourraient avoir sur la société est immense, aussi bien économiquement que moralement.

Quoique la situation ne soit pas (encore) aussi critique qu’elle ne l’était dans les années 1950 au moment de la création du CERN, nous avons tout autant besoin d’actes courageux et décisifs pour endiguer cette fuite des cerveaux. L’Union européenne devrait agir pour créer des institutions, dans la même veine et le même esprit que le CERN, pour protéger et encourager la science européenne dans ces domaines qui seront très probablement clés dans l’avenir : l’intelligence artificielle, la manipulation génétique, l’informatique et les communications quantiques, entre autres.

Ces nouveaux hubs de recherche devraient agir comme le CERN, en réunissant et coordonnant des scientifiques européens dans leur recherche. Comme le CERN, ils devraient garder des équipes de chercheurs sur place, mais travailler principalement en collaborant avec des scientifiques « membres » basés dans des universités et des centres de recherche à travers l’UE, en facilitant le contact et les groupes de travail. Sur le modèle du CERN, ils seraient ouverts à la collaboration d’Etats tiers, selon différentes modalités d’adhésion et d’association.

Mais contrairement au CERN, ces institutions travailleraient également étroitement avec des entreprises et des institutions publiques pour s’assurer des transferts technologiques et d’innovations pour nos entreprises et nos gouvernements. Elles devraient aussi agir comme des points de concentration de capital (à la fois public et privé), pour stimuler la création de start-ups technologiques et scientifiques autour d’elles, et pour encourager les dépenses de recherche et développement dans les entreprises existantes, favorisant un environnement qui encourage l’innovation et les avancées technologiques.

Renforcer la cohésion et l’influence mondiale de l’Europe

Un leadership dans ces domaines est crucial pour l’Europe, non seulement en raison de leur valeur économique, mais aussi parce qu’ils posent d’important problèmes éthiques et moraux (les « bébés sur mesure », l’utilisation de l’intelligence artificielle par les gouvernements, etc.) qui ne doivent pas être ignorés. Tout comme pour les armes nucléaires et le traité de non-prolifération (pour lequel seul l’engagement des puissances nucléaires a pu mener à sa signature), les Européens ont besoin d’un siège à la table des négociations si nous voulons imposer nos règles, nos valeurs et nos standards au reste du monde.

Si l’Europe prend du retard dans cette nouvelle course technologique, nous pourrions bientôt nous retrouver dans un monde où la Chine et les Etats-Unis auront non seulement l’avantage dans ces secteurs, mais établiront également les règles et définiront les « bons » et « mauvais » usages. Tout comme pour le RGPD (le Règlement général sur la protection des données), l’Europe peut et doit fixer les règles mondiales qui assurent une utilisation juste, démocratique et éthique de ces technologies. Pour ce faire, nous devons être dans une position qui nous procure l’influence nécessaire.

De plus, la création de ces nouvelles institutions scientifiques pourrait être une bonne opportunité pour améliorer la cohésion interne de l’UE. Les institutions européennes, et les institutions scientifiques en particulier, se trouvent majoritairement en Europe occidentale. Le CERN est à Genève (Suisse), et les principaux sites de l’Agence spatiale européenne sont répartis entre les Etats fondateurs de la CEE auxquels s’ajoutent l’Espagne et le Royaume-Uni.

Créer de nouvelles initiatives scientifiques de ce type intégrées à l’UE constituerait ainsi une opportunité inégalée pour étendre la collaboration scientifique européenne sur le reste du continent, à savoir l’Europe de l’est et du sud. Cela améliorerait non seulement la cohésion territoriale et la convergence économique, mais pourrait également appuyer l’expertise et les atouts locaux. L’Estonie par exemple, est célèbre pour son initiative e-Estonia de gouvernance numérique, et accueille déjà le Centre d’excellence de cyberdéfense coopérative de l’OTAN. Ce serait l’endroit idéal pour un hub technologique européen centré sur l’intelligence artificielle ou la cybersécurité.

Alors que la course technologique entre les puissances mondiales est de plus en plus acharnée, l’UE ne doit pas hésiter à lancer des initiatives plus que nécessaires pour protéger et revitaliser notre leadership dans ces secteurs stratégiques. Alors que la nouvelle mandature du Parlement européen commence et que le nouveau cadre financier pluriannuel sera bientôt signé, il s’agit d’un moment-clé pour l’industrie, les universitaires et les décideurs politiques européens de se rassembler et de trouver une solution. Notre future prospérité économique tout comme nos valeurs pourraient être en jeu.

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