L’Europe, une égale des Etats-Unis pour le leadership démocratique mondial

, par Florian Brunner

L'Europe, une égale des Etats-Unis pour le leadership démocratique mondial
Ursula von der Leyen et Joe Biden, à Bruxelles, le 15 juin 2021 (Source : EC - Audiovisual Service)

Du 10 au 16 juin 2021, Joe Biden a entrepris une véritable démonstration de force diplomatique, en enchaînant des séquences fortes et maîtrisées : Sommets du G7 et de l’OTAN, rencontre avec les dirigeants de l’Union européenne et enfin un entretien avec le Président russe, Vladimir Poutine, à Genève. Le soft power américain reste résolument dominant et influent. Il est temps pour l’Union européenne de ne plus se contenter de contempler la puissance américaine, mais de savoir s’y associer pleinement et efficacement, afin de s’imposer en égale incontournable. A l’issue du premier voyage officiel de Joe Biden, aux résultats convenus et attendus, le leadership mondial pour la démocratie reste à construire.

L’Union européenne peut s’engager dans de nouvelles batailles diplomatiques

La politique étrangère européenne a connu d’importantes déconvenues, sur la scène diplomatique mondiale, en ce début d’année 2021 : la pénible visite du Haut Représentant de l’Union pour les Affaires Etrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, à Moscou, puis la désastreuse affaire du Sofagate, à Ankara. Les failles et les limites d’une politique étrangère européenne encore fragile, ont été clairement exposées lors de ces événements malheureux. Mais l’Union européenne n’est pas pour autant désarmée et elle peut s’engager dans de nouvelles batailles diplomatiques, à la condition de savoir capitaliser sur les avantages de son modèle et de bannir ses hésitations, ainsi que ses maladresses néfastes. L’offensive diplomatique des Etats autoritaires et prédateurs, comme la Chine, la Russie et la Turquie, est fondée sur le déploiement d’un sharp power, c’est-à-dire sur des « efforts d’influence autoritaire » qui « percent, pénètrent ou perforent les environnements politiques et d’information dans les pays ciblés », comme le précisent les fondateurs du concept, les chercheurs américains Christopher Walker et Jessica Ludwig. Le sharp power, par sa nature opaque et trompeuse, favorise les instabilités et les crises, tout en suscitant l’augmentation du risque de guerre. Afin de contrer cette menace directe et d’agir pour sa sécurité, l’Union européenne se retrouve face à l’impératif de s’engager pleinement dans un processus efficient de consolidation du modèle démocratique. Le 12 juin 2021, dans une Tribune au journal Le Monde, la Chercheuse et Responsable du programme Amérique du Nord de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), Laurence Nardon, déclarait qu’« A l’heure où un nombre croissant de régimes autoritaires ne cachent plus leur mépris des droits de l’homme et de l’Etat de droit, les démocraties ont une responsabilité historique à faire front commun pour rappeler leurs principes ».

Se consacrer à l’expansion d’un soft power démocratique

En 2004, le théoricien américain Joseph Nye, renommé notamment grâce à sa formulation en 1990 [1] du concept de soft power, considérait [2] qu’« Une mesure du soft power émergent de l’UE est la perception qu’elle est une force positive pour résoudre les problèmes mondiaux ». En renforçant sa position dans le leadership démocratique mondial, l’Union peut remplir un rôle de garde-fou et surveiller les élans messianistes dévastateurs de son allié américain. La démocratie ne peut s’exporter par l’usage de la force. Les interventions militaires américaines en Irak et en Afghanistan, se sont achevées par les échecs des mécanismes de démocratisation et de pacification, tout en provoquant l’apparition de nouvelles menaces, comme l’émergence de Daech. Le Moyen-Orient reste fortement instable et son avenir demeure indéterminé. En 2020, Joseph Nye le constatait, dans un entretien : « Bush n’avait pas les moyens de démocratiser l’Irak ou le Moyen-Orient. Les conséquences en ont été immorales, avec le renforcement d’Al-Qaïda en Irak et sa métamorphose dans le groupe Etat islamique ». Les démocraties doivent abandonner le choix toxique des armes [3], pour étendre leur modèle, afin de se consacrer à l’expansion d’un soft power démocratique. La seule méthode efficace pour assurer le développement et la pérennisation de la démocratie dans le monde, est sa capacité de séduction, qui entraînera dans son sillage de nouveaux Etats et assurera un processus dynamique de démocratisation à l’échelle planétaire. Dans ce contexte, les démocraties doivent s’assurer de leur propre exemplarité et préserver la solidité de leurs fondations, en luttant efficacement contre la corruption et les dérives autoritaires.

Un moteur euro-américain, à la tête d’un mouvement mondial pour la démocratie

Il sera essentiel pour l’Union européenne, de ne plus se satisfaire d’un aimable second rôle, afin de prendre la place qui lui revient dans les Relations Internationales et de s’affirmer comme l’égale des Etats-Unis, dans le leadership démocratique mondial. En 2011, dans son ouvrage The future of power, Joseph Nye estimait [4] que « La chose la plus proche d’un égal, à laquelle les États-Unis sont confrontés au début du XXIe siècle, est l’Union européenne ». En s’inspirant du partenariat franco-allemand, qui a été la force motrice de l’Union européenne, un moteur euro-américain pourrait se structurer, dans une relation pleinement symétrique, afin de conduire un processus international d’affirmation de la démocratie. L’enjeu pour l’Union européenne et les Etats-Unis serait de constituer un soft power fort et partagé, consolidé autour d’une vision fédératrice. Joseph Nye avait présenté cette perspective dès 2004, dans son livre Soft Power : The Means To Success In World Politics [5] : « Le soft power peut être partagé de manière coopérative. La promotion européenne de la démocratie et des droits de l’homme, contribue à faire progresser des valeurs communes qui sont cohérentes avec les objectifs américains ». Ce leadership euro-américain, équilibré entre deux pôles majeurs, aurait davantage de légitimité et de force, pour coaliser un nombre important d’alliés. Il s’agirait d’éviter les rapports de domination et d’engager un processus fortement inclusif. Ainsi dans une seconde période, le leadership euro-américain pourra s’atténuer, pour s’étendre à d’autres puissances et augmenter l’efficience de ce vaste mouvement supranational.

Définir un cap supranational pour la démocratie

Le Sommet mondial sur la démocratie, présenté par Joe Biden, est un projet qui répond à l’exigence d’une relance du soft power démocratique. Le Président des Etats-Unis nourrit une dynamique de propositions, qui a le mérite de poser des processus de réflexion indispensables à la redynamisation des politiques étrangères occidentales. Cependant ce Sommet mondial, dans la configuration présentée avec son appellation assez sommaire, manque de précision sur son objectif politique, son contenu et son organisation. C’est donc sur cet axe, d’un renforcement substantiel de la réflexion et de la définition d’une réelle direction stratégique, que l’Union européenne peut engager sa capacité d’influence. L’Union européenne est la seule entité supranationale à avoir expérimenté un modèle de démocratie, auquel participe l’ensemble des Etats qui la composent, le Parlement européen étant l’épicentre de cette construction démocratique unique au monde. Joseph Nye présentait ainsi le prestige international de l’Union européenne [6] : « L’idée que la guerre est aujourd’hui impensable parmi les pays qui ont combattu amèrement pendant des siècles, et que l’Europe est devenue une île de paix et de prospérité créée une image positive dans une grande partie du monde ». Forte de son modèle, l’Union européenne pourrait engager un processus de revitalisation de son soft power, en portant un projet novateur qui définirait un cap supranational assumé pour la démocratie. La Commission européenne, le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, le Conseil européen, le Conseil de l’Union européenne, le Parlement européen, les Etats Membres, les Think Tanks, le monde universitaire et la société civile en général, pourraient se mobiliser dans le cadre d’une réflexion structurée, sur la définition d’un modèle supranational pour la démocratie, au XXIème siècle. La Conférence sur l’avenir de l’Europe, qui a été inaugurée le 9 mai 2021 au Parlement Européen de Strasbourg, représente également une opportunité, d’aborder les conditions d’un renouveau du soft power européen et les perspectives d’une action internationale majeure en faveur de la démocratie.

Bâtir une Maison commune, écologique et pacifiée

Comment faire transiter durablement un ordre mondial, fondé sur les Etats et la conflictualité sous différentes formes, vers une configuration inédite, où la puissance s’émancipe du cadre étatique et de la violence, pour devenir une force pacificatrice, stabilisatrice et unificatrice ? Le modèle de l’Union est une partie de la réponse et ce sont aux Européens de se saisir pleinement de la question, afin de contribuer de manière décisive à la conceptualisation puis à l’instauration, d’une ère multilatérale, supranationale et démocratique. Et si à l’image de l’Union européenne, la planète était appelée à devenir une seule et même démocratie, unifiant les peuples, les cultures et l’humanité toute entière dans un projet universel, au service d’une évolution mondiale pacifiée, écologique et harmonisée ? Bâtir une Maison commune, plutôt que de la laisser brûler en regardant ailleurs, pour reprendre la formule notable de l’ancien Président français, Jacques Chirac. Il s’agit d’une perspective ambitieuse, qui pourrait redonner de la force à la fois à la politique étrangère européenne mais aussi à une action multilatérale, désormais épuisée. Alors que les Etats-Unis ont été fortement arbitraires et instables sur l’enjeu environnemental, l’Union européenne n’a cessé de défendre l’exigence écologique à l’échelle mondiale, démontrant ainsi une forte résilience et une crédibilité précieuse. Il s’agit d’une évolution fondamentale, car plutôt que l’encombrante rivalité sino-américaine, la protection de la planète est la véritable priorité du siècle.

Notes

[1Nye Joseph S., Bound to Lead : The Changing Nature of American Power, Basic Books, 1990

[2Nye Joseph S., Soft Power : The Means To Success In World Politics, PublicAffairs, 2004, p.114

[3David Charles-Philippe, Schmitt Olivier, La guerre et la paix. Approches et enjeux de la sécurité et de la stratégie, Presses de Sciences Po, 2020

[4Nye Joseph S., The future of power, PublicAffairs, 2011, p.236

[5Nye Joseph S., Soft Power : The Means To Success In World Politics, PublicAffairs, 2004, p.120

[6Nye Joseph S., Soft Power : The Means To Success In World Politics, PublicAffairs, 2004, p.113

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