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L’hôpital espagnol

Un dispositif gouvernemental facilite l’accueil d’infirmiers espagnols en France.

, par Valéry-Xavier Lentz

L'hôpital espagnol

Plusieurs pays européens ont des difficultés pour recruter des infirmiers. En Espagne au contraire, un grand nombre de jeunes ont choisi ce métier. Ils sont aujourd’hui courtisés et invités à faire bénéficier les Français de leurs compétences.

Le ministère de la santé a lancé en mars 2002 un dispositif destiné à faciliter l’accueil d’infirmiers espagnols en France. Un numerus clausus fixé trop bas, combiné à la réduction du temps de travail a suscité des difficultés de recrutement. Après avoir recensé les besoins des employeurs publics et privés, une cellule de recrutement de deux personnes a été ouverte à Madrid, en liaison avec l’office des migrations internationales. L’Espagne n’avait fixé en effet aucune limite pour la formation des infirmiers et des milliers de jeunes diplômés doivent vivre en assurant des remplacements avant d’espérer trouver un emploi stable. Les infirmiers recrutés sont accueillis pendant un mois à Dourdan, en région parisienne, où ils suivent une formation sur les bases de la langue française et sur les spécificités des pratiques hospitalières. Les employeurs prennent en charge les 2180 euros que coûte la formation et l’hébergement pour chaque stagiaire. Ils sont ensuite aidés pour leur installation et suivis pendant les premiers mois. L’Italie, l’Angleterre, le Portugal, l’Irlande et la Suisse recrutent également en Espagne mais n’offrent pas nécessairement le même accompagnement.

Ana, Azucena et Eva ont séjourné à Dourdan. « C’est par l’agence pour l’emploi que nous avons appris l’existence de ce programme, explique Ana. Une fois arrivés, nous avons appris les bases pour la conversation en Français, mais aussi la signification des nombreux sigles et la réglementation. » En effet, certains actes, comme la pose de points de suture, sont réalisés en Espagne par les infirmiers alors que l’intervention d’un médecin est ici obligatoire.

Prouver sa compétence

Les stagiaires rejoignent ensuite leur établissement d’accueil, souvent en compagnie de compatriotes. Les besoins sont différents selon les régions françaises et près de la moitié restent autour de Paris. « Je voulais aller dans le Sud, regrette Eva, 22 ans, venue d’Andalousie, mais il n’y avait pas de poste là bas... ici il fait trop froid ! ».

Toutes trois travaillent aujourd’hui à Boulogne, dans un centre de gériatrie. Les débuts étaient parfois difficiles car travailler dans une langue que l’on essaye encore de maîtriser fatigue vite, sans compter les contraintes propres au métier. « Il faut en plus démontrer tout le temps que nous sommes de bonnes infirmières, même si nous avons le même niveau d’étude », ajoute Azucena.

« Il y a beaucoup de différences ici, les horaires, le coût de la vie, la nourriture... remarque-t-elle, nous rentrons environ tous les trois mois en Espagne, car nos amis et notre famille nous manquent, et en profitons pour rapporter de l’huile d’olive, du chorizo, du turon... mais aussi des cigarettes qui sont bien moins chères ».

Sept-cent jeunes Espagnols ont été aujourd’hui recrutés. Les établissement français n’avaient cependant pas attendu la démarche du ministère pour recruter au delà des Pyrénées. Pedro et Pilar, 25 ans, travaillent aussi à Boulogne. Ils vivent en France depuis plus de trois ans. Ils avaient entrepris eux-même des démarches, par des connaissances et par Internet. Alors que certains de leurs camarades vivent l’expérience comme un pis-aller, ne trouvant pas de postes fixes chez eux, tous deux sont enthousiastes.

La vie parisienne

« J’ai trouvé un travail, j’ai quitté le domicile familial, ma petite ville, j’ai changé de pays... je suis content » s’exclame Pedro qui apprécie particulièrement la vie parisienne. Son seul regret, dit-il en plaisantant, est d’avoir dû renoncer à la sieste. « Les infirmiers français délaissent certaines spécialités. Nous sommes donc beaucoup d’Espagnols dans mon service. Je n’aurais pas forcément choisi gériatrie, mais les personnes agées avec qui nous travaillons apprécient de se retrouver entourés de jeunes et nous avons de très bonnes relations avec elles ». Soixante pour cent des infirmiers espagnols ont en effet moins de 26 ans. « L’été dernier a été difficile, raconte Pilar. Avec la canicule, nous avons vu partir plusieurs patients que nous avions appris à bien connaître ».

Résidant en France depuis plusieurs années, tous deux sont désormais des « Parisiens » aux yeux de leurs amis en Espagne. Pedro, amateur de musique, anime des soirées dans un bar à musique de la capitale, où il s’efforce aussi de faire connaître la pop espagnole, de la Movida à aujourd’hui. « Mais attention : pas les trucs d’Operación Triunfo, l’équivalent de la Starac’... » précise-t-il. C’est aussi pour lui un moyen de se faire des amis français, ce qui est le plus difficile au départ. Quant à Pilar, elle s’est inscrite sur les listes électorales à Paris pour pouvoir y voter lors des élections européennes, comme le permet le traité de Maastricht. « J’habite ici, maintenant, il faut que je m’implique ». « J’ai l’impression que le métier est moins bien considéré ici qu’en Espagne, en revanche je suis payée 300 euros de plus par mois » explique-t-elle. Cependant, le coût de la vie est plus élevé, et les impôts ne sont pas prélevés à la source comme en Espagne.

Pour le ministère, « ça marche et ça marche bien ». En effet, 5 % d’échecs seulement sont constatés, c’est à dire de retour précipité au delà des Pyrénées. Le programme concerne également dans une moindre mesure les kinésithérapeutes et les médecins, pour certaines spécialités. La langue est un obstacle bien plus significatif pour ce métier. Trois d’entre eux seulement ont choisi de s’expatrier en France l’an dernier. Pour les infirmiers, le dispositif se prolonge fin 2004, il sera alors réévalué en fonction des besoins.

En attendant, l’expérience de ces centaines de jeunes Espagnols est un exemple supplémentaire des bénéfices de la construction européenne pour notre quotidien, et de l’intérêt de l’harmonisation des diplômes.

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