L’insertion et le social au cœur de la politique de relance après crise, retour sur la conférence ministérielle

, par Margot Chakoub

L'insertion et le social au cœur de la politique de relance après crise, retour sur la conférence ministérielle
(Crédit : Margot Chakoub)

Mercredi 2 mars, se tenait, au Beffroi de Montrouge, une conférence ministérielle dans le cadre de la présidence française du conseil de l’Union européenne. Portant sur les politiques d’insertion en réponse aux défis de la relance, ce fût l’occasion pour le ministère de présenter sa politique d’insertion professionnelle et sa vision d’une Europe sociale.

Initier une politique publique communautaire d’insertion en faveur de l’économie

Pour rappel, le Conseil de l’UE est une institution qui négocie et adopte les actes législatifs avec le Parlement européen. Sa présidence est assurée à tour de rôle par chaque Etat membre pour une durée de 6 mois. Depuis le 1er janvier 2022, la France porte cette responsabilité, puis lui succéderont la République Tchèque et la Suède. Ils forment un trio de présidences qui définissent un programme commun pour les dix-huit mois à venir. Dans le cadre de cette présidence française, le ministère du travail a organisé une conférence portant sur deux grandes thématiques liées à l’insertion professionnelle soutenue par le fond social européen.

Brigitte Klinkert, ministre déléguée à l’Insertion auprès de la ministre du Travail, préside la conférence. Une conférence qu’elle introduit en présentant, « en ces heures sombres, toute (sa) solidarité au peuple Ukrainien ». Difficile de faire abstraction de cette actualité quand certains ministres issus des Etats membres du trio n’ont pas pu faire le déplacement en raison de la gestion de la crise. Elle indique ainsi que la gouvernance française se veut protectrice « d’un modèle européen et solidaire ». Elle annonce ensuite l’objectif de cette conférence : débattre des bonnes pratiques en matière de politiques d’insertion et d’amélioration de l’employabilité des personnes éloignées de l’emploi et inspirer les acteurs à partir de projets concrets français, tchèques et suédois. Elle remercie chaleureusement Roger Mörtvik, Kateřina Štěpánková, Nicholas Schmit, respectivement secrétaire d’État suédois auprès de la ministre à l’Emploi et à l’Égalité de genre, vice-ministre tchèque pour l’emploi et commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux pour leur présence et annonce « Ensemble, nous construirons une Europe toujours plus inclusive ! ».

L’accompagnement des publics les plus éloignés de l’emploi

La vice-ministre tchèque pour l’emploi souligne que « L’intégration des personnes vulnérables sur le marché du travail est une de nos grandes priorités ».

Corinne Vaillant, directrice du cabinet auprès de la ministre, alerte sur les freins périphériques. Des moyens de garde insuffisants, l’absence de permis de conduire ou de véhicule, des logements au coût trop élevé… Autant d’obstacles auxquels se heurtent les publics en difficulté et qui les empêchent de rester en emploi. Une enquête menée auprès de 500 professionnels de la sphère de l’accompagnement révèle des problèmes administratifs conséquents. 60% des professionnels perdent au moins 30 minutes à chercher des informations sur le demandeur d’emploi, et dans 20% des cas, cette perte précieuse de temps monte jusqu’à 1 heure. « Les demandeurs d’emplois ont du mal à s’y retrouver. Ils doivent répéter la même chose plusieurs fois, à plusieurs guichets différents. 15% des bénéficiaires abandonnent par lassitude, il faut prendre ce problème au sérieux », déplore la directrice de cabinet, insistant sur la nécessité de résoudre ces difficultés administratives.

Emmanuelle Coint, vice-présidente du conseil départemental de la Côte-d’Or indique fièrement que son département est parvenu à un « taux de RSA très bas. 50% des postes libres dans la région sont des emplois peu qualifiés ». La région a fait le choix, afin d’accompagner au mieux les demandeurs d’emploi, de permettre le cumul du RSA et de la prime de reprise d’activité pendant un temps. Elle alerte néanmoins sur le paradoxe que la croissance est susceptible de provoquer : si les entreprises n’ont pas la main d’œuvre nécessaire, elles ne pourront pas répondre à la demande et un risque de décroissance se présentera. Ses propos trouvent écho avec ceux de Mme Vaillant concernant le risque des freins périphériques : « Avec la crise de la covid-19, on observe de nouveaux comportements de consommation. Les nouveaux choix d’habitats entraînent des pénuries dans certains secteurs ».

Jean Brasseres, directeur général de Pôle emploi insiste sur le fait que « les personnes vulnérables sont souvent confrontées à des contraintes personnelles indépendantes de leur recherche d’emploi. Précarité financière, problèmes de santés, freins périphériques, illectronisme… ». Afin de ramener ces publics en difficulté dans l’emploi, il souhaite mettre l’accent sur deux initiatives soutenues et financées par le fond social européen. L’accompagnement global a pour but de faire travailler en binôme un conseiller pôle emploi et un travailleur social pour accompagner au mieux le bénéficiaire. Ce dispositif déployé sur l’ensemble du territoire présente un taux de réinsertion dans l’emploi au bout de 6 mois de plus de 27%. Des chiffres encourageants qui invitent à poursuivre les efforts.

La seconde initiative est la prestation Parcours emploi santé destinée aux chômeurs de longue durée ou à des personnes souffrant de problèmes de santé qui peinent à en appréhender les conséquences sur leur emploi. Ce programme propose un diagnostic approfondi. Il permet de définir un projet de retour à l’emploi compatible avec leurs éventuelles difficultés de santé. Ce dispositif s’articule autour « d’un diagnostic à 360° pour analyser la situation globale de la personne et les impacts de sa santé sur son parcours professionnel », d’un accompagnement psychosocial et professionnel (faisant intervenir un binôme de partenaires du monde médico-social et un conseiller pôle emploi) et la conclusion des perspectives en fin de parcours.

Lors de la pause, un élu français des Républicains regrette néanmoins une politique insuffisamment portée sur l’insertion en elle-même, et encore trop centrée sur une logique d’assistanat. « Quand on a abonné le terme « insertion » pour activité, en passant du RMI au RSA, ça n’a pas été anodin. Le RSA doit être là en cas de difficulté, les bénéficiaires ne peuvent pas se reposer dessus comme un revenu d’activité ». Ces propos sont renforcés par ceux de Maxime Cerutti, directeur des affaires sociales de Businesseurope, qui, pour répondre à la question « Comment les entreprises peuvent-elle développer le « S » de RSE », a répondu qu’« il faut faire des pas vers une culture du résultat et de la performance ». Francis Levy, secrétaire général de la fédération française des GEIQ et Adeline Letur, chargée de mission, encouragent quant à eux la poursuite des efforts en faveur de la réinsertion.

Le développement de l’employabilité des personnes en parcours d’insertion pour leur permettre de saisir les opportunités de la reprise économique

Le secrétaire d’Etat suédois alerte : « le marché du travail est dans une grande transition : des emplois disparaissent et de nouveaux font leur apparition avec de nouvelles compétences. Pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre, nous pensons que la formation est un point essentiel à appuyer.” Il met en exergue l’exclusion à laquelle font face les publics en situation d’illettrisme et d’illectronisme. La crise du Covid-19 et la numérisation de l’économie ont créé de nouveaux besoins.

Bruno Lucas, délégué général à l’Emploi et à la Formation professionnelle souligne le faible taux de chômage et souhaite développer la mobilité européenne pour les personnes qui ne sont ni en emploi, ni en étude car « la mobilité européenne permet de travailler sur les soft skills, cela envoie un message positif aux entreprises. ». Jean-Yves Doisy, directeur général du groupe Vitamines T France, complète ces propos : « on gagnerait à aller voir ce qu’il se passe dans les autres pays européens, nous n’échangeons pas assez. Chaque territoire est spécifique, il faut s’adapter aux personnes, mais il est certain qu’il y a des choses dont on peut s’inspirer ». Enfin, Nicolas Schmit, commissaire européen à l’Emploi, aux Affaires sociales et à l’Insertion, veut faire un point sur les mesures de réinsertion des chômeurs de longues durées, domaine dans lequel l’économie sociale joue un rôle particulièrement important. « Les initiatives telles que l’expérience Territoire 0 chômeurs donnent la possibilité à des personnes particulièrement éloignées du marché du travail, d’y évoluer et même de changer d’emploi une fois réinsérées ».

S’inspirer des projets concrets de terrain

L’après-midi, des projets innovants d’insertion répondant aux problématiques évoquées dans la matinée sont mis en lumière. L’objectif est de réduire d’au moins 15 millions le nombre de personnes en situation de pauvreté ou d’exclusion sociale d’ici 2030 et d’inclure 75% des adultes entre 20 et 64 ans dans le marché du travail. Pour ce faire, l’Union européenne s’appuie sur les politiques d’insertion des Etats membres et des instruments de financement communautaires, tels que le FSE ou NextGenerationEU (dispositif budgétaire communautaire au profit de la relance économique post Covid 19).

Les associations telles que Social Builder en France et Rubikon en République tchèque sont des projets d’insertion répondant aux besoins des secteurs en tension. Lenka Ouředníčková, de l’association Rubikon agissant pour l’insertion des personnes ayant des antécédents judiciaires, indique « nous doublons le taux de retour à l’emploi et avons un effet positif sur la diminution de la récidive (en comparaison avec un groupe de référence). Pour chaque euro investi dans nos services, l’Etat économise 4,41 euros ».

S’en sont suivi la présentation de projets permettant de lever les freins à l’insertion dans l’emploi avec l’association Agil’ess en France, ou Equal Entry en Suède. Des projets d’accompagnement vers l’emploi des grands exclus, à l’image de Convergence France ou Romodrom en République tchèque. Fondée en 2007, l’association française Convergence accompagne les personnes sans domicile fixe par la mise en place d’un parcours d’insertion progressif pour aller vers une sortie durable de la rue.

Enfin, des projets d’entrepreneuriat comme solution à l’insertion ont été présentés, tels que les Français Lulu dans ma rue et les Tchèques Etincelle ou les Suédois Samhall. Charles Edouard Vincent, fondateur de Lulu dans ma rue souhaite ainsi « remettre de l’humain dans le quotidien et du lien entre les habitants ». Le projet est innovant et ambitieux : réinsérer par l’entreprenariat. Via une application et une mise en relation par un concierge de quartier, il est possible de faire appel à un Lulu pour divers services. Actuellement uniquement déployé à Paris, le fondateur indique vouloir étendre l’association à d’autres régions. Cette initiative permet une réinsertion en douceur dans le monde du travail via l’entrepreneuriat. L’association suédoise Samhall œuvre quant à elle en faveur de l’amélioration de l’employabilité des personnes en situation de handicap depuis sa création en 1980.

La ministre Brigitte Klinkert conclue “Chaque personne a le droit d’avoir un avenir professionnel, il est de notre devoir, en tant qu’ européens d’accompagner les plus fragiles.”.

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