Les appellations « Commission », « Parlement panafricain » et « Conseil de paix et de sécurité » données aux organes principaux de l’Union Africaine (UA) ne sont pas sans évoquer les institutions majeures de l’Union Européenne (UE) et de l’ONU. En effet lors de la création de l’UA en 2002 l’ONU a servi d’exemple en tant qu’institution internationale engagée dans la résolution des conflits alors que l’UE s’est présentée comme le modèle d’une intégration continentale réussie sur le plan démocratique et économique.
L’influence de l’UE sur l’UA
L’ancienne Organisation de l’Unité Africaine visait l’accès à l’indépendance des pays africains. Lorsqu’elle a perdu sa raison d’être à la fin du XXème siècle, l’UA a vu le jour. Quasiment cinquante ans après le Traité de Rome, l’UE a fait figure d’organisation continentale stable, efficace et pérenne aux yeux des constituants africains ce qui a justifié que certains organes européens soient reproduits par l’UA.
Ainsi, le principe de répartition des pouvoirs entre les différents organes a été repris via la création d’un Parlement panafricain comme organe législatif, de la Conférence qui réunit les chefs d’État et de gouvernement des États de l’UA (comme le Conseil européen), d’une Commission qui représente l’autorité exécutive comme celle présente au sein de l’UE et d’un Conseil exécutif (comparable au Conseil de l’UE) qui rassemble les ministres des Etats membres. Sur le plan judiciaire, l’UA s’est dotée d’une Cour africaine de justice et elle a intégré la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. L’UA compte également des institutions secondaires, parmi lesquelles on retrouve le Conseil économique, social et culturel, des Comités Techniques Spécialisés, des institutions financières dont une banque centrale, et un Comité de représentants permanents.
Deux continents aux situations différentes
En dépit des similarités institutionnelles, l’UE et l’UA concernent deux continents aux réalités distinctes, notamment sur le plan de la gestion des conflits. Si l’on peut dire que l’UE a réussi à assurer son objectif de maintien de la paix entre ses pays membres et sur le continent (à l’exception des Balkans), la réalité des combats est tout autre sur le continent africain.
C’est pour parer aux conflits désormais majoritairement intra-étatiques et pour aider à leur résolution que l’UA s’est dotée d’un Conseil de paix et de sécurité (CPS) chargé de la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité sur le continent. Si le CPS a le souci d’apporter à terme une solution africaine aux problèmes africains, il reste pour le moment dépendant sur le plan logistique et financier de l’UE et de l’ONU comme par exemple dans le cas de l’intervention au Darfour en 2008-2010 où l’ONU et l’UA ont envoyé conjointement des forces.
Par ailleurs, l’UA a aussi mis en place un vaste projet de développement appelé NEPAD (acronyme de l’expression anglaise pour « Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique ») unique dans sa dimension continentale. Le NEPAD se présente comme un mécanisme orientant les mesures visant au développement socio-économique du continent. Il cherche à affronter les défis liés à la pauvreté, au faible développement et à la marginalisation du continent sur la scène internationale à travers une coopération des Etats du continent. Parmi les projets du NEPAD figurent ainsi le déploiement d’internet haut débit sur tout le continent, la promotion des femmes dans l’économie et la politique, la réorganisation de la production agricole…
Pour autant, la vaste UA regroupant l’ensemble des pays du continent à l’exception du Maroc, ces mesures s’appliquant à tous les pays membres sont concurrencées - ou renforcées - par des initiatives locales, qui délaissent l’échelle continentale pour agir à travers le regroupement de quelques pays. On trouve ainsi l’union économique et monétaire ouest-africaine, la communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest, la communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, la communauté de développement d’Afrique australe, le marché commun de l’Afrique orientale et australe…
Ces organisations jouent majoritairement un rôle économique et accusent parfois d’importantes disparités comme dans le cas de la SADC où l’Afrique du Sud produit 2/3 de la richesse dans la zone de libre-échange qui compte 15 pays membres. Hors des objectifs économiques, il semble que peu soit fait aujourd’hui pour le développement des pays, mais la forte croissance de certains pays africains lors de la dernière décennie laisse espérer une production de richesse qui ouvrira à l’avenir la voie au développement.
Confusion institutionnelle et crise de légitimité de l’UA
En regroupant avec 54 Etats environ un quart des pays du monde, l’Union Africaine pourrait avoir les moyens d’apparaître comme une organisation continentale majeure sur la scène internationale. Cependant, là où l’UE ne regroupe que des Etats membres « sélectionnés », l’UA n’impose aucun critère d’adhésion et elle a intégré unanimement tous les anciens membres de l’OUA, dégageant une impression globale de confusion. Au-delà des disparités économiques manifestes entre les Etats qui ont fondé l’UE et ceux membres de l’UA, certains pays africains peinent encore à établir ce qui est une condition sine qua non de l’adhésion à l’UE : des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’homme, ainsi que le respect des minorités et leur protection.
En Afrique, de nombreux régimes entravent les principes de la démocratie tels que le Zimbabwe de Robert Mugabe ou dans le passé la Lybie du Colonel Kadhafi. Dès lors il apparait que l’UA ne suit pas les mêmes étapes que l’UE et que le processus d’intégration régionale se fait parfois antérieurement à l’établissement de régimes démocratiques stables et à la construction d’Etats-nations comme cela s’est réalisé en Europe.
La question de la souveraineté est donc complexe en Afrique, dans la mesure où les jeunes Etats sont réticents à transférer leurs compétences à une organisation territoriale (ce qui explique que l’activité législative de l’UA soit nettement plus réduite que celle de l’UE), d’autant plus que les Etats africains sont également le lieu de contestations de la souveraineté entre l’échelle nationale et l’échelle régionale, locale ou tribale.
Pour autant, rien ne justifie que l’on balaye la possibilité de régimes démocratiques stables en Afrique sur le moyen-terme. La transformation réalisée par l’Afrique du Sud, depuis un régime bafouant les droits et libertés fondamentaux transformé en une république démocratique de cinquante millions d’habitants en est une preuve qui ne demande qu’à s’exporter.
De plus, le continent est uni par des théories telles que le pan-africanisme de Kwame Nkrumah, la renaissance africaine développée par Thabo Mbeki ou autrefois la négritude qui cherchent à rassembler les populations africaines au-delà des frontières étatiques, une mission que l’UA pourrait incarner mais qui contraste aujourd’hui avec ses priorités immédiates.
Ainsi, les ambitions assignées à l’UA n’ont-elles pas été excessives ? Vue d’une part comme un super-organisme qui rapporterait ses lettres de noblesse au continent africain et d’autre part comme une institution dont l’efficacité se perd dans ses propres règles de fonctionnement, l’UA a besoin de temps pour définir une identité qui lui soit propre.
Entre espoirs démesurés et désillusions, entre affirmation du continent africain et dépendance vis-à-vis des instances internationales, entre projets de Renaissance africaine et défis économiques et sociaux, le rôle de l’UA et l’empreinte qu’elle laissera sur l’histoire de ses pays membres restent à écrire.
Vis-à-vis de l’UE, l’Union Africaine s’en inspire en tant qu’organisation continentale tout en se pliant aux règles du continent africain. Depuis 2007 les deux organisations sont liées par la mise en œuvre d’une stratégie commune UE-Afrique chapeautée par le service européen pour l’action extérieure.
Pour autant, si certains pays membres de l’Union Européenne ont fortement influencé les décisions africaines au cours du XXème siècle, de nouveaux acteurs entrent désormais en jeu, à l’image de la Chine qui a offert à l’UA un nouveau siège à Addis-Abeba l’année dernière. Les débats demeurent, multiples et ouverts.
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