La candidature de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, une rupture en trompe l’œil

, par Louis Pernotte

La candidature de la Suède et de la Finlande à l'OTAN, une rupture en trompe l'œil
Ce mardi 5 juillet, la Finlande et la Suède ont reçu les signatures des 30 chefs d’Etat des différents Etats membres de l’OTAN au traité leur permettant l’adhésion, avant-dernière étape avant une adhésion officielle à l’Alliance atlantique. crédit : Pixabay

De prime abord, la candidature de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, en raison des peurs suscitées par l’agression russe à l’encontre de l’Ukraine, constitue une rupture historique majeure consacrant la fin de la politique de neutralité emblématique de ces deux pays nordiques. Toutefois, l’abandon de la neutralité suédoise s’inscrit dans le prolongement d’une rivalité de cinq cents ans entre Stockholm et Moscou/Saint-Pétersbourg (1703-1918). Quant à la Finlande, elle trouve en l’adhésion à l’OTAN un moyen nouveau de contrer la menace que représente son grand et remuant voisin de l’Est.

Suède et Russie : rivales pour le contrôle de la Baltique

La Russie et la Suède accèdent au rang de puissance régionale à peu près au même moment. Stockholm s’émancipe de l’emprise danoise au XVIe siècle et la Russie se libère du joug mongol à partir de la bataille de Koulikovo de 1386 et se consolide comme État sous les règnes des princes Ivan III (1440-1505) et Ivan IV (1533-1584). Immanquablement, au vu de la géographie de la mer Baltique, ces deux puissances montantes devaient s’affronter. C’est chose faite en 1561 avec le déclenchement de la guerre de Livonie. Il s’agit d’un enchevêtrement de conflits liés à l’effondrement de la Confédération livonienne, un État contrôlé par les chevaliers teutoniques et regroupant les actuelles Estonie et Lettonie. Les Danois et les Suèdois s’affrontent à de nombreuses reprises pour dominer ces territoires tandis que les Russes cherchent un débouché maritime. Stockholm et Moscou s’affrontent à de nombreuses reprises jusqu’en 1583. Les Russes sont finalement repoussés et le royaume aux trois couronnes met la main sur le nord de l’Estonie et l’Ingrie. Après la mort d’Ivan le Terrible, la Russie s’enfonce dans la guerre civile et doit faire face à la menace polonaise. Pendant ce temps, la Suède grignote toujours plus le littoral de la mer Baltique, notamment sous le règne du célèbre Gustave Adolphe (1594-1632) aux dépens de la Pologne, du Danemark et des princes allemands. La Suède est alors une des plus grandes puissances militaires d’Europe et une large part de la population est impliquée dans les guerres permanentes.

Cependant, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le rapport de forces se renverse et la Russie prend l’avantage. Les conflits incessants épuisent le royaume de Suède tandis que la puissance russe décolle sous la houlette de Pierre le Grand. La Grande Guerre du Nord (1700-1721) sanctionne ce nouveau rapport de force. Les Suédois sont menés par le jeune roi Charles XII. Au début, les opérations militaires sont à l’avantage des scandinaves qui parviennent à repousser Russes et Danois. Les Suédois tournent alors leur regard vers la Pologne pour y imposer un roi à leur solde, un certain Stanislas Leczinski. Mais les Russes se reprennent dans l’intervalle et menacent les Suèdois. Charles XII décide donc de s’enfoncer dans le territoire de l’empire pour vaincre Pierre le Grand à domicile. L’armée suédoise est finalement mise en déroute en 1709 à la bataille de Poltava, en Ukraine. Le traité de Nystad signé en 1721 met fin au conflit et entérine la perte des territoires suèdois d’Outre-baltique. Le royaume scandinave y perd son statut de grande puissance, l’Empire des Tsars y gagne le sien. Encore aujourd’hui une statue d’un Charles XII pointant un doigt vindicatif vers la Russie trône dans le centre de Stockholm. Tout au long du XVIIIe siècle, les dirigeants suédois s’efforceront de reconquérir les provinces perdues, en vain. Dans une ultime tentative, les Suédois essaient avec l’aide des Anglais de les reprendre. Les Suédois sont battus par les Russes et la Finlande, alors partie intégrante du Royaume de Suède passe à la Russie.

La Suède, un pays neutre ?

Suite à cette série de défaites, Stockholm, sous l’influence du nouveau roi,et ex-général napoléonien, Jean-Baptiste Bernadotte, fait le choix de la neutralité. Celle-ci est maintenue tout au long du XIXe siècle, parfois avec difficulté. Par exemple, en 1914, la Suède, menacée par la Russie, échappe de très peu à un engagement dans la guerre aux côtés des puissances centrales. La Suède fait également une exception en 1940 face à l’invasion de la Finlande par les Soviétiques dans le cadre de la désormais fameuse ‘’Guerre d’Hiver’’. Une part non négligeable de l’aviation est confiée à des pilotes finlandais et de nombreux volontaires suédois s’engagent aux côtés des Finlandais. Au-delà de la fraternité entre peuples nordiques, Stockholm a tout intérêt en la conservation d’un gouvernement finlandais indépendant à Helsinki. En effet, la reconquête de la Finlande par l’URSS signifierait une frontière commune avec la Suède. L’histoire commune faite de rivalités et les velléités expansionnistes de l’Union Soviétique stalinienne sont sans aucun doute pour beaucoup dans cette volonté de maintenir un État-tampon. La guerre froide voit la Suède soutenir discrètement l’OTAN, en dépit de la neutralité et des critiques parfois féroces adressées aux Etats-Unis. Par exemple, en 1953, un avion-espion de l’armée suédoise est abattu par les Soviétiques le long des côtes baltes. Stockholm protestera bruyamment affirmant qu’il s’agissait d’un aéroplane employé pour la formation des télégraphistes. Tout au long de la guerre froide, les canons suédois sont tournés vers Moscou. Par exemple, sur la très stratégique île de Gotland, les implantations militaires suédoises se concentrent sur la rive orientale, face à l’URSS. De même l’armée se prépare, comme les autres armées occidentales, à une invasion soviétique et coopère discrètement avec l’OTAN. La neutralité, toute relative comme nous l’avons vu, est plus ou moins abandonnée dans les années 1990 au profit d’un non-alignement nettement moins contraignant. Être neutre impose, en effet, de sévères contraintes juridiques quand le non-alignement est purement politique et ses bornes pour le moins fluctuantes. L’adhésion de la Suède à l’Union européenne en 1995 met un point final à la neutralité. En effet, en vertu de l’article 42.7 du Traité de l’Union européenne, les Etats membres de l’Union européenne se doivent assistance en cas de menace sur l’un d’entre eux, ce qui est le propre d’une alliance militaire.

Finlande-Russie : coopérer à l’ombre des glaives

La relation finno-russe est historiquement plus ambiguë que la relation suédo-russe fondée sur une rivalité plus ou moins saillante selon les moments.

La politique étrangère finlandaise est hantée par le souvenir des guerres d’Hiver et de Continuation contre l’Union Soviétique. Suite au pacte germano-soviétique, qui offrait la Finlande à l’Union Soviétique, les troupes de Staline attaquèrent le pays nordiques à l’hiver 1939. Les Soviétiques ne réussirent à vaincre les Finlandais qu’au prix de très lourdes pertes et la Finlande, victorieuse par le fait même d’avoir mis en échec l’armée rouge pendant plusieurs mois, sauva son indépendance au prix de quelques concessions territoriales. Par la suite, Helsinki tenta de reprendre les territoires perdus avec l’aide de l’Allemagne nazie. Comme on peut le deviner, les Soviétiques ne furent qu’à moitié enthousiastes. Une fois la guerre finie, la Finlande parvint à éviter le sort des démocraties populaires, contre sa neutralité. Les Finlandais furent donc autorisés à rester une démocratie libérale et une économie de marché. Ce compromis fut consacré par un traité d’amitié signé avec l’URSS en 1948. Cette politique est restée dans les annales sous le nom de finlandisation. Les Finlandais choisirent cependant de maintenir sur le pied de guerre une force armée conséquente prête à défendre la patrie jusqu’au bout afin de rendre une invasion très difficile. Il y a d’ailleurs fort à parier que la détermination des Finlandais à se défendre dissuada l’URSS d’intégrer pleinement la Finlande au bloc de l’Est. Le bénéfice stratégique d’une telle manœuvre aurait sans doute été minime face à l’énergie qu’aurait demandée la mise au pas du pays.

Cependant, les Soviétiques et les Finlandais développèrent des liens cordiaux. Le président finlandais de 1956 à 1982, Urho Kekkonen, était même personnellement ami avec Nikita Khrouchtchev. Helsinki joua un rôle de pont pendant la guerre froide, accueillant un grand nombre de négociations entre américains et soviétiques dont la célèbre conférence de 1975 sur la sécurité en Europe qui consacra l’intangibilité des frontières des Etats européens. En 2018 encore, Donald Trump rencontrait Vladimir Poutine dans la capitale finlandaise. La neutralité forcée ne fut pas uniquement vécue comme une calamité par les Finlandais. Ceux-ci y trouvèrent leur compte économiquement, bénéficiant à la fois des matières premières soviétiques à faible coût et des débouchés offerts par les liens avec l’Occident. De plus, la neutralité entra dans les mœurs et finit par faire partie de l’identité finlandaise, d’autant plus que les Finlandais ont volontiers entretenu un certain scepticisme à l’égard de la politique étrangère américaine.

Les relations finno-russes peuvent être décrites comme une coopération à l’ombre des glaives. Elles sont fondées sur un équilibre de la terreur entre une Russie qui peut redevenir un envahisseur à tout moment et une Finlande adoptant la ‘’stratégie du porc-épic’’ afin de maximiser le coût d’une agression. Mais, cela n’a pas exclu un certain respect et une bonne entente entre les deux pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Illustration de cette ambiguïté : le président finlandais a appelé Vladimir Poutine pour lui expliquer sa décision en faveur de l’adhésion au traité de Washington. Ce choix de politique étrangère s’inscrit en faux avec celui effectué par les pays baltes depuis 1991 qui ont tout misé sur une pleine intégration euro-atlantique et une opposition inoxydable à la Russie. Les Baltes ont d’ailleurs longtemps considéré que la Finlande était un trou dans la raquette otanienne qu’il faudrait combler un jour ou l’autre.

L’adhésion à l’OTAN, un virage significatif ?

Pourtant, l’adhésion à l’OTAN ne signifie pas nécessairement un alignement absolu sur les positions de Washington. La participation à l’alliance atlantique n’empêche en rien certains membres de jouer leur propre partition, parfois opposée à celle des Etats-Unis. On pensera bien sûr à la Turquie qui cultive de bonnes relations avec Moscou tout en ayant des bases américaines sur son territoire, à la Hongrie de Viktor Orban ou tout simplement à la France de la Ve République. Si l’élargissement de l’OTAN semble, au moins dans le cas suédois, être le sens de l’Histoire, pour parler en marxiste, il n’en demeure pas moins que des décennies de neutralité ne s’effacent pas d’un coup de baguette magique. Par un effet d’inertie historique, Suèdois et Finlandais, même membres de l’Alliance, ne tarderont pas à se démarquer des positions américaines une fois la situation en Ukraine revenue à la normale. Tout change, rien ne change.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom