La coalition “feu tricolore” s’accorde sur un contrat de coalition rouge, jaune, vert… et bleu !

, par Florian Pileyre

La coalition “feu tricolore” s'accorde sur un contrat de coalition rouge, jaune, vert… et bleu !
Crédits : Antoine Truffert

La coalition “feu tricolore” allemande (“Ampelkoalition”) s’est mise d’accord sur un contrat de coalition pour gouverner l’Allemagne pour les cinq prochaines années. Ce que l’on pourrait qualifier de programme officiel de la prochaine chancellerie se démarque par sa coloration très européenne. Focus sur le contenu très européen du Koalitionsvertrag et ses perspectives.

L’Allemagne est-elle sur le point de définitivement tourner la page de l’ère Merkel ? Le 26 septembre dernier avaient lieu les élections législatives allemandes qui marquaient un tournant politique outre-Rhin puisque la chancelière allemande avait décidé de ne pas se porter candidate à un cinquième mandat. Autre tournant politique majeur, pour la première fois, l’Allemagne allait être gouvernée par une coalition fédérale composée de trois partis. Pour cela il fallait encore que les sociaux-démocrates (SPD) arrivés en tête du scrutin, les écologistes ( Alliance 90/ Die Grünen) et le parti libéral (FDP) se mettent d’accord pour former une coalition à même de gouverner l’Allemagne.

Après avoir annoncé un accord préliminaire de coalition dit “Sondierunspapier” le 15 octobre dernier marquant le début des négociations officielles, les trois partis se sont lancés dans d’intenses tractations qui ont abouti, deux mois après les élections fédérales allemandes, à un traité de coalition ou Koalitionsvertrag, dans la langue de Goethe, le 24 novembre.

Annoncé à l’issue d’une conférence de presse à Berlin ce même 24 novembre, le traité de coalition “feu tricolore” (SPD, FDP et les Verts) constitue un texte de 177 pages fixant la feuille de route du prochain gouvernement allemand jusqu’aux prochaines élections générales qui se tiendront en 2025. Baptisé « Oser plus de progrès – alliance pour la liberté, la justice et la durabilité » ( Mehr Fortschritt wagen - Bündnis für Freiheit, Gerechtigkeit und Nachhaltigkeit) le Koalitionsvertrag constitue le programme de la prochaine coalition et a un rôle de stabilisateur de l’association tripartite. En effet, les trois partis s’engagent à tenir les grands axes - définis noir sur blanc dans le texte de coalition - mais également à ne pas prendre d’initiative unilatérale qui ne figurerait pas dans le texte.

Si bien que la conférence de presse qui s’est tenue le 24 novembre à Berlin est restée peu informative sur les ambitions de la coalition. Les têtes de file de chaque parti ont préféré se targuer d’être parvenus à un accord de coalition dans les délais fixés et dans un temps record (les Allemands ne s’attendaient pas à obtenir une nouvelle coalition avant Noël pour les plus optimistes). On a tout de même appris, sans surprise, que le leader du SPD aux dernières élections, Olaf Scholz se verrait confier le poste de chancelier et qu’en substance le chef de file du FDP, Christian Lindner obtiendrait comme il le souhaitait ardemment le ministère des Finances. Les écologistes, Annelena Baerbock et Robert Habeck se voient confier respectivement, le ministère des Affaires étrangères et un ministère élargi comprenant l’économie, l’énergie et le climat.

Néanmoins, l’un des éléments les plus éclairants des ambitions de la coalition “feu tricolore” réside dans le contenu du traité de coalition de 177 pages. À retenir avant d’aborder les détails du texte, le traité de coalition doit être validé par chaque parti unilatéralement. Ensuite, la coalition menée par Olaf Scholz devrait être investie par un vote au Bundestag entre le 6 et 9 décembre prochain. Dans ce cas, Olaf Scholz et son gouvernement seront assermentés par le président fédéral : Frank-Walter Steinmeier.

Un contrat de coalition extrêmement dense

Puisque le contrat de coalition ou Koalitionsvertrag en allemand doit être la feuille de route du prochain gouvernement fédéral, il est extrêmement fourni. Il met l’accent de façon globale sur la transition numérique et écologique de l’Allemagne, les réformes sociales, l’investissement et la politique européenne et étrangère du futur gouvernement. Sa structure se compose de neufs titres dont le premier constitue un préambule des grandes orientations politiques et le dernier relativement court détaille la méthode de travail de la probable coalition à la tête de l’Allemagne et surtout la répartition des ministères entre les trois partis.

La répartition des ministères entre les trois partis de coalition

Sur ce point, les sociaux-démocrates du SPD en obtiennent sept en plus de la chancellerie fédérale. Il s’agit surtout des ministères dits “sociaux” comme le ministère du Travail, le nouveau ministère dit de la Construction (“Bauen”) ou le ministère de la santé. Seul le ministère de la Famille leur échappe et revient aux Verts. A noter également que les ministères de l’Intérieur et de la Défense seront également occupés par le SPD. Les Verts en obtiennent cinq dont le “super-ministère” qui comprend à la fois l’économie et le climat et surtout le ministère des Affaires étrangères, destiné à la chef de file des Verts aux dernières élections, Annalena Baerbock. Enfin les quatres ministères restants reviennent au parti libéral FDP de Christian Lindner qui occupera le ministère des Finances qu’il convoité par dessus tout. Le FDP obtient également les ministères du numérique, de la justice et de façon plus surprenante celui des transports.

Les réformes sociales et les enjeux climatiques au centre du Koalitionsvertrag

Les sept autres chapitres du texte concernent dans l’ordre : la modernisation de l’Etat et l’innovation ; la protection du climat ; les réformes sociales ; l’éducation et l’enfance ; les libertés, la justice et la sécurité ; la politique étrangère et européenne et enfin les investissements futurs et les finances durables.

Il est également intéressant de se pencher sur quelques décisions phares du contrat de coalition allemand de façon brève et non-exhaustive. Tout d’abord est mentionné dès le préambule, le salaire minimum, qui sera porté à 12€/heure au lieu de 9,60€/h actuellement. Il s’agissait de l’une des principales promesses d’Olaf Scholz pendant la campagne électorale précédente, soutenue aussi par les écologistes allemands. Cette mesure concernerait dix millions de citoyens allemands. La coalition entend aussi réviser la Loi fondamentale c’est-à-dire la constitution allemande pour y inscrire les droits des enfants.

D’importantes annonces concernent le volet climatique avec une sortie du charbon “idéalement” d’ici 2030. A remarquer toutefois le terme “idéalement” qui montre que les Verts n’ont pas réussi à parvenir à inclure une formulation plus ambitieuse dans les négociations et qui montre que la date fixée dans le texte de coalition pourrait être amenée à être réévaluée. Toujours à l’horizon 2030, la coalition s’engage à ce que les énergies renouvelables représentent 80% de son mix énergétique. S’agissant du nucléaire, les trois partis réaffirment leur volonté de ne plus y recourir. On peut aussi évoquer l’ambition que l’Europe se place en leader de l’hydrogène vert d’ici 2030. Outre l’annonce très médiatisée de la légalisation du cannabis pour les adultes dans des magasins agréés, la coalition s’engage à partir de 2023, à diminuer la dette.

L’ambition très européenne du contrat de coalition

Dès les premières lignes du chapitre européen la coalition déclare définir “les intérêts allemands à la lumière des intérêts européens”. Les trois partis confirment et réaffirment leur intention de tourner leur mandat et l’Allemagne vers l’Europe. C’est déjà un signe fort de la part du plus important État membre de l’UE.

Vers un Etat fédéral européen !

La première “petite bombe” arrive assez rapidement dans le titre VII relatif à l’Europe, dans une section spécifique à l’avenir de l’UE, qui n’annonce pas moins que la volonté d’une évolution de l’Union européenne vers un “Etat fédéral européen”. Relativement peu mentionnée dans les médias, une telle annonce dans le programme de coalition est pourtant une révolution. Jusqu’à preuve du contraire aucun des Etats membres ne s’est jusque là prononcé pour le dépassement des Etats nations vers un Etat supranational européen. Même le très pro-européen Emmanuel Macron ne s’est pas exprimé publiquement en faveur d’une telle révolution politique jusqu’ici. L’annonce est d’autant plus forte et surprenante qu’elle vient d’une Allemagne “merkelienne” attachée au statu quo et à la culture politique de la stabilité quant bien même son attachement à l’Europe n’est plus à démontrer.

Ce ne sont pour l’instant que des mots, mais le futur gouvernement fédéral a franchi un pas qu’aucun Etat membre ne s’était risqué à exprimer publiquement. En ce sens, la coalition se montre en faveur d’une révision des traités européens existants. Le texte ne dévoile pas plus d’informations sur cette évolution de l’UE vers un Etat fédéral européen si ce n’est que son organisation serait décentralisée, fonctionnant sur le principe de subsidiarité et reposant sur le pilier juridique de la Charte des droits fondamentaux.

Concernant la prise de décision au sein des institutions européens

Par ailleurs, la coalition milite pour un renforcement des mécanismes européens. Les trois partis partent d’un constat : les problèmes auxquels l’Allemagne doit faire face dépassent ses frontières nationales et par conséquent nécessitent des solutions européennes.

Ainsi le texte de coalition ambitionne un renforcement du Parlement européen, l’introduction de listes transnationales et du vote à partir de 16 ans aux élections européennes. Réaffirmant son attachement aux valeurs européennes dont l’État de droit, la coalition exige un renforcement du budget, des effectifs et des prérogatives de la Cour de justice européenne. Concernant les aspects sécuritaires, l’alliance tripartite s’en remet à l’ambition de faire évoluer Europol vers “un office européen de police criminelle doté de capacités opérationnelles propres”. Enfin la coalition se prononce en faveur d’un élargissement du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil de l’UE.

La politique étrangère européenne

Annalena Baerbock, probable future ministre des Affaires étrangères de la chancellerie, a indiqué lors de la conférence de présentation de l’accord vouloir renouer avec une politique étrangère active. Elle veut porter sur la scène internationale une politique étrangère européenne. Le titre de septième chapitre annonce la couleur : “La responsabilité de l’Allemagne pour l’Europe et le monde”. Il faudra donc suivre à l’avenir si l’Allemagne, par l’intermédiaire de son gouvernement, se positionne par des actes concrets en faveur d’une politique étrangère proactive et européenne.

La coalition se prononce également en faveur d’une transformation de la fonction de Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et pour la politique de sécurité en véritable ministre des Affaires étrangères de l’UE.

Défense européenne : un engouement prudent de la part de la coalition ?

La position de la coalition sur l’idée d’une défense européenne semble assez ambivalente. Au moment d’évoquer l’ambition d’accroître la souveraineté stratégique de l’Europe, le texte évoque les domaines de la santé, de la sécurité énergétique ou des technologies numériques. Toutefois, la défense n’est pas mentionnée. D’autre part, l’attachement de l’Allemagne à l’OTAN prend une place importante dans le texte. Le texte est explicite sur ce point où il est écrit que l’alliance transatlantique est un “élément indispensable” de la sécurité du pays et un “pilier” de son action internationale. C’est peut-être un mauvais signal pour Emmanuel Macron qui souhaite faire de la défense européenne l’un des projets phare de la présidence française du Conseil (PFUE). Néanmoins, le Président français peut se rassurer de voir affirmé dans le texte la volonté allemande de soutenir et participer à l’élaboration d’une “boussole stratégique” pour l’UE. Par ailleurs, la coalition réclame la création de structures de commandement communes et d’un quartier général civilo-militaire en commun à l’échelle européenne. L’idée est aussi de passer du vote à l’unanimité au vote à la majorité qualifiée pour tous les sujets relatifs à la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) tout en incluant à un mécanisme pour valoriser le poids des Etats membres de plus petite taille.

L’Allemagne pourrait se montrer plus prudente et moins ambitieuse que la France en matière de défense, tant elle souhaite préserver ses relations avec les Etats-Unis et la Russie. Il est encore un peu tôt pour lire la position du gouvernement allemand et il faudra du temps pour que la coalition qui n’a pas encore été assermentée se positionne clairement sur le sujet.

Relations internationales, élargissement et partenariat franco-allemand

Au sujet de l’élargissement, la coalition se montre favorable à l’adhésion des pays des Balkans occidentaux à l’Union européenne. S’agissant de la Turquie, la coalition ferme la porte à de nouvelles négociations d’adhésion au vu des “développements des politiques intérieures” jugées “inquiétants”. Concernant les relations internationales, elle se montre relativement prudente à l’égard de la Russie en demandant un dialogue constructif mais en condamnant l’annexion illégale de la Crimée. Le texte reste totalement silencieux à l’égard du projet Nord Stream 2. Quant à la Chine, la coalition se prononce de façon bien plus tranchée qu’Angela Merkel. La coalition réclame une stratégie européenne globale vis-à-vis de la Chine en employant des mots forts mentionnant une : “rivalité systémique” ("Systemrivalität") avec la Chine.

Enfin, s’agissant de la relation franco-allemande, le sujet est évoqué dès la première phase de la section spécifique sur les partenaires européens par des mots à la mesure de la proximité des deux pays : “Nous sommes guidés par un partenariat franco-allemand fort”. Le partenariat a donc semble-t-il de beaux jours devant lui. La coalition ne s’attarde pas davantage sur le partenariat franco-allemand bien qu’à de multiples reprises, celle-ci soutient des projets européens initiés par la France tels que la perspective d’un nouveau pacte avec l’Afrique, sur la stratégie indopacifique ou la boussole stratégique. Il y aura néanmoins quelques points d’achoppement notamment sur le sujet du nucléaire dans le cadre du projet de taxonomie verte.

Les derniers sujets européens de la coalition : politique migratoire et pacte de stabilité et de croissance

La coalition “feu tricolore” aspire à un “nouveau départ” concernant les politiques migratoires européennes. Contrairement au débat politique français, l’immigration n’a pas été un sujet majeur de la dernière campagne électorale allemande. Dans le texte de coalition, l’Allemagne se revendique comme une terre d’accueil historique d’immigration. La coalition souhaite faciliter les procédures relatives à l’obtention du droit d’asile et d’un titre de séjour en Allemagne et au niveau européen et annonce qu’elle délivrera des visas humanitaires pour les personnes en situation à risques.

Enfin, dernier point que la France et toute l’Europe allaient observer attentivement : la prise de position de la coalition sur le Pacte de stabilité et de croissance (PSC), suspendu depuis la crise du Covid-19. Critiqué par les pays du “ClubMed” défendu par les “frugaux”, la coalition ne s’est pas beaucoup étendue sur la question. Globalement, elle souhaite rétablir le PSC sous une forme flexible sans donner plus d’information. Le PSC pourrait donc refaire son apparition en 2023 sous une nouvelle forme plus allégée et transparente. En tout cas, c’est à cette date que le frein à l’endettement (“Schuldenbremse”) inscrit dans la constitution allemande sera rétablie en Allemagne.

Paris le redoutait, ce sera bien le libéral du FDP, Christian Lindner, défenseur de l’orthodoxie budgétaire et d’une gestion rigoureuse de la dette qui devrait être le nouveau ministre des finances allemand. Néanmoins, il faut relativiser les inquiétudes à l’égard de ce dernier pour un allègement des règles budgétaires dans l’UE. D’une part parce qu’il aura au-dessus de lui Olaf Scholz, le chancelier allemand, qui ne partage pas l’orthodoxie budgétaire de son partenaire de coalition libérale et il devrait avoir son mot à dire. D’autre part, le nouveau “Grand Argentier” devra se conformer au traité de coalition qui prévoit un PSC flexible. Par ailleurs, Christian Lindner a fait campagne sur le thème de l’investissement ce qui peut laisser présager qu’il ne sera pas si frugal que l’on peut le penser.

En résumé, le Koalitionsvertrag “feu tricolore” est un texte imprégné du bleu européen. Le fait qu’il s’agisse d’un texte très dense de 177 pages, en allemand, minimise peut-être la portée médiatique de son contenu en faveur d’une Europe plus forte, en comparaison d’un discours comme celui d’Emmanuel Macron à la Sorbonne, en 2017, qui reste dans toutes les mémoires. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer la portée presque révolutionnaire de cette ambition européenne allemande de se prononcer en faveur d’une “évolution vers un Etat fédéral européen” mais également de se positionner clairement pour une révision des traités.

Par rapport à un discours oral, il s’agit là de mesures écrites noir sur blanc et surtout qui font parties de la feuille de route sur laquelle la coalition sera jugée par les électeurs allemands. La coalition aura donc la pression de tenir ses engagements, bien plus qu’un Président français qui, en campagne, annonce généralement de grandes choses mais qui ne sont pas gravées dans le marbre et par conséquent dont la responsabilité est bien moindre. Il faudra cependant attendre les actes concrets de la future coalition pour juger du poids et de la postérité du contrat de coalition “feu tricolore”...

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