Le grand nettoyage
Pour Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, l’abandon de nombreux projets législatifs répond au besoin de « moins d’interférence de l’Union européenne dans les affaires que les Etats sont mieux équipés pour donner des réponses adéquates ». La plupart des normes listées n’entraînent aucune polémique. L’exemple du projet d’aide pour les collations de lait et de bananes dans les cours d’écoles est sur ce point pertinent. La Commission veut en finir avec les tabloïds anglais qui prennent un plaisir malin à dénoncer les petites réglementations. Elle expose clairement son objectif : être grande dans les choses importantes et petites dans les choses qui ne le sont pas. Un haut diplomate de la fonction publique européenne admet qu’ « Il faut faire un nettoyage ».
Frans Timmermans a précisé que la proposition de directive sur la qualité de l’air sera amendée par les textes à venir sur la mise en œuvre du cadre de la politique énergétique et climatique post-2020. Il évoque que sa « responsabilité est de démontrer que dans certains cas, nous allons remplacer ces projets par quelque chose de meilleur ».
D’autre part, il est persuadé que l’écart entre le Parlement européen et les Etats membres retarde l’adoption de projets nécessaires, bloque le travail législatif et empêche l’Europe de bien fonctionner. Ceci est du à la nécessité d’un consensus politique entre le Conseil et le Parlement européen dans l’adoption des textes. Ainsi, cela suppose d’abandonner des normes qui trainent depuis des mois, faute d’accord ou devenues obsolète. Le vice-président de la Commission sait que le Conseil européen et le Parlement européen ont souvent le dernier mot et il veut mettre la Commission européenne au centre du jeu.
Ce grand nettoyage n’est pas une nouveauté. Déjà à l’époque de la Commission Barroso, l’ancien président évoquait « une législation absurde, trop bureaucratique obsolète risque d’agacer les gens ou les entreprises et d’alimenter l’europhobie ». Charles de Marcilly de la fondation Robert Schuman rappelle bien que chaque année, 30 à 40 textes sont retirés. Jean Claude Juncker souligne qu’il « fut un temps où la Commission proposait plus de 100 initiatives par an ».
En contrepartie du retrait, la Commission a présenté 23 nouvelles initiatives qu’elle compte présenter au cours de l’année autour de dix domaines d’actions prioritaires. Jean Claude Juncker souhaite se concentrer sur des objectifs plus ciblés. Un panorama a été défini mettant en avant la croissance, l’investissement, un marché unique digital et de l’énergie ainsi que la lutte contre la fraude fiscale. Plus concrètement, on retrouve le plan d’investissement de 315 milliards d’euros, l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, l’harmonisation fiscale, le soutien à l’emploi, en particulier des jeunes, le traité transatlantique ou encore la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. Si la Commission Juncker possède de nombreux arguments pour faire valoir sa cause, il n’en reste pas moins qu’un tel rejet trouble l’image de la nouvelle Commission.
Face à une difficulté d’adoption, la Commission préfère abandonner
Face à la difficulté d’adopter un projet, la Commission préfère l’abandonner. Tel est la critique du parti de l’ALDE incarné par son leader Guy Verhofstadt : « le fait qu’un texte soit bloqué au Conseil n’est pas une bonne raison pour le retirer ». Les socialistes s’inquiètent davantage de la méthode. Le président du S&D Gianni Pittella évoque qu’il est favorable à la concentration du travail, mais qu’il ne faut pas « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Pour les écologistes, l’abandon des textes sur la qualité de l’air et l’économie circulaire est une menace pour la préservation de l’environnement. Ils soupçonnent l’exécutif européen de poursuivre des politiques de dérégulation dans ce domaine.
Des ONG comme World Wildlife Fund, la fondation Nicolas Hulot, le réseau Action Climat ou encore France Nature Environnement jugent incompréhensible le retrait du paquet sur la qualité de l’air. Ils craignent d’autres attaques envers des législations environnementales. Pour eux, la Commission « a choisi de privilégier les intérêts privés de la frange la plus libérale, au mépris du bien-être des citoyens européens ».
Le texte sur la qualité de l’air concernait la révision de la directive « air » de 1999. Elle fixait les plafonds nationaux d’émissions pour les principales sources de pollutions générées par l’industrie, les transports, l’énergie et l’agriculture. Le bureau européen de l’environnement (EEB) ajoute que « 400 000 citoyens européens meurent prématurément chaque année du fait de la pollution atmosphérique » avant d’évoquer que la Commission passe à côté d’un « énorme bénéfice en termes de santé pour l’économie européenne ». Des chiffres constatés par la Commission à hauteur de 40 à 140 milliards d’euros. De même, l’Agence Européenne de l’Environnement (AEE) a publié en novembre dernier un rapport indiquant que la pollution de l’air reste la principale cause environnementale de décès prématurés en milieu urbain : « Presque tous les urbains sont exposés à des polluants à des niveaux considérés comme dangereux par l’Organisation mondiale de la santé ».
Ainsi, la Commission européenne assume une nouvelle ligne, une position libérale avec un « moins d’Europe ». La politique de la Commission ne tient pas seulement compte d’une simple différence entre les grands et les moindres enjeux. Délaisser l’Europe sociale et environnementale, c’est rogner sur des objectifs de taille. S’il est légitime et essentiel pour la Commission d’améliorer l’économie numérique, il n’est pas convenable de renoncer aux projets sociaux et environnementaux.
D’autant plus que ces abandons ne sont pas nécessairement une adhésion au principe de subsidiarité, mais surtout une résignation de la Commission face au refus des Etats d’harmoniser certaines dispositions législatives. La directive sur la pollution de l’air est une question qui se doit d’être traitée au niveau européen car l’Union européenne prend déjà en charge la politique environnementale. Face à des domaines où les Etats sont les plus méfiants dans leur partage de souveraineté, la Commission abdique. Le manque de prise en compte de tels sujets ne fera qu’accentuer la distance entre Bruxelles et les citoyens européens.
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