La Coupe du monde au Qatar, quand le football devient politique

, par Henri Clavier

La Coupe du monde au Qatar, quand le football devient politique
Source : Wikimedia Commons

Le 2 décembre 2010, la planète football voit flou. C’est bien le Qatar qui est désigné par la FIFA (la Fédération internationale de football) pour accueillir la Coupe du Monde 2022 de football, le plus grand événement sportif de la planète. Une attribution choc puisque le Qatar avait obtenu la pire évaluation et le sésame semblait promis aux Etats-Unis qui cherchent depuis plusieurs années à devenir une puissance footballistique.

A l’époque, le Qatar, indépendant depuis 1971, est relativement anonyme sur la scène internationale et dans l’ombre de ses voisins du Golfe. Pour se tailler sa place sur la scène internationale, le Qatar a largement misé sur le sport. Comme ses voisins, le Qatar est riche d’énergies fossiles et possède l’une des plus grandes réserves de gaz naturel au monde. Des moyens financiers illimités mis au service du rayonnement international d’un Etat grand comme l’Île de France.

Opération séduction

Aussi riche soit-il, la capacité du Qatar à doubler le géant Américain interroge. En pleine crise économique et financière, l’émirat a su jouer de son charme pour s’attirer le soutien d’États européens. Le président français de l’époque, Nicolas Sarkozy, a apporté un soutien décisif au Qatar en organisant une réunion entre l’émir du Qatar et Michel Platini, alors président de l’UEFA (Fédération européenne de football). En s’assurant le soutien du président de l’UEFA, le Qatar faisait un grand pas vers l’organisation du mondial.

Une ombre qui s’ajoute aux nombreux soupçons de corruption qui planent sur l’attribution du mondial au Qatar. En 2020, la justice américaine ouvrait une enquête contre plusieurs membres du comité exécutif de la FIFA(chargés de voter pour l’attribution de la coupe du monde). Une enquête a également été ouverte en France, en 2019, par le Parquet national financier.

En parallèle, le Qatar lance un important plan d’investissement en France censé booster l’économie française. Dix ans plus tard, la France a doublé ses exportations vers le Qatar et est le deuxième pays européen concentrant le plus d’investissements qataris. Avec en point d’orgue le rachat du club de football du Paris Saint-Germain. Une stratégie complétée par l’arrivée de la chaîne qatari BeIn Sports sur le marché des droits télévisuels, la branche sportive d’Al Jazeera.

Le Qatar, une monarchie absolue

Une opération de séduction un peu brutale donc, mais rien de nouveau dans le monde du football quand on se rappelle que la France, l’Allemagne et l’Afrique du Sud sont accusés d’avoir eu recours à la corruption pour s’assurer l’organisation des Coupes du monde, respectivement en 1998, 2006 et 2010.

Pourtant, les situations sont largement différentes. Le Qatar n’a jamais participé à une Coupe du monde et ne s’est jamais distingué pour ses performances dans les autres compétitions. Surtout, la population n’a pas de réel intérêt pour le football et l’organisation de la Coupe du Monde s’inscrit dans une volonté, purement politique, de développement du soft power qatari.

Il est essentiel de comprendre que le Qatar n’est pas un Etat autoritaire comme les autres, l’émirat se rapproche davantage d’un État féodal. Les pouvoirs sont concentrés entre les mains du souverain (actuellement l’émir Tamim ben Hamad Al Thani) et une profonde séparation existe entre les citoyens qataris (environ 330 000) et la population (2,9 millions) résidant au Qatar. Alors que les citoyens vivent dans l’opulence de la rente gazière, le reste de la population - principalement des travailleurs immigrés - ne bénéficie de pratiquement aucun droit.

Une compétition organisée au mépris des droits humains

Une importante force de travail à laquelle recourt l’émirat depuis son développement dans les années 1980. L’organisation de la Coupe du monde, et la construction d’infrastructures qui va avec, a substantiellement augmenté le besoin du Qatar en travailleurs étrangers. La plupart sont originaires du sous-continent indien (Bangladesh, Népal, Inde, Pakistan) ou d’Afrique (Soudan, Ethiopie, Cameroun …) et sont soumis au “droit” du travail local : la Kafala. Ce régime s’apparente à un servage moderne, dans lequel les travailleurs sont intégralement dépendants de leur employeur. Un système d’emploi par parrainage qui empêche un travailleur de quitter son travail sans l’accord de son employeur. L’employé, dont le passeport est confisqué à son arrivée, est alors entièrement dépendant de son employeur et ne peut quitter le pays sans risquer d’importantes poursuites pénales.

Un système que le Qatar dit avoir aboli depuis 2020. Si en droit, la Kafala n’existe plus, le système reste en vigueur dans les faits, comme le démontre le journaliste Quentin Müller dans son enquête “Les esclaves de l’homme pétrole”. Le Qatar a multiplié les réformes de façade sans qu’elles ne produisent le moindre effet en l’absence d’accès effectif à la justice pour ces mêmes travailleurs immigrés.

Privés de libertés, les conditions de travail au Qatar sont inhumaines, le quotidien britannique The Guardian estimait à 6500 le nombre de personnes mortes sur les chantiers de la Coupe du Monde. Un chiffre certainement sous-estimé qui occulte aussi les maladies contractées sur des lieux de vie insalubres. Les travailleurs, résident dans des camps à l’écart des villes entassés dans des dortoirs insalubres, boivent une eau désalinisée à l’origine d’importants problèmes rénaux et travaillent sans véritable limite horaire sous des chaleurs extrêmes.

De manière générale, les droits humains ne font l’objet d’aucune reconnaissance dans cet émirat du Golfe Persique ; les femmes et les personnes LGBTQ + sont victimes d’importantes discriminations. Les relations sexuelles entre personnes du même sexe sont ainsi passibles de sept ans de prison.

Une aberration écologique

Enfin, cette Coupe du monde est une aberration écologique. Le Qatar a engagé plus de 220 milliards de dollars dans la construction d’infrastructures, avec notamment la construction de huit stades climatisés. Une politique douteuse quand on connaît le destin de certaines infrastructures sportives construites spécialement pour des grands événements sportifs (Grèce 2004, Brésil 2014 ou Jeux olympiques d’hiver 2014). La tendance est davantage à la réutilisation de stades déjà existants comme cela est prévu par l’Allemagne qui organiseral’Euro 2024, pour lequel aucun nouveau stade ne sera construit.

Si la Coupe du monde a été décalée au mois de novembre afin de limiter l’utilisation de la climatisation dans les stades, les capacités d’accueil, elles n’ont pas été pensées pour recevoir des supporters des quatre coins du monde. Le Qatar, comme son voisin émirati Dubaï, a fait du luxe un de ses secteurs d’investissement favori, conséquence : une chambre d’hôtel au Qatar coûte environ 2000 euros la nuit durant la Coupe du monde. Si le prix est exorbitant pour les supporters, le Qatar a déjà annoncé la mise en place de navettes aériennes pour résoudre le problème. 160 vols par jour seront chargés de résoudre cette difficulté, un symbole du ridicule de l’événement. Au total, la Fifa a estimé que la seule organisation de l’événement allait générer 3,6 millions de tonnes de CO2.

Comment réagir ?

Depuis une dizaine d’années, des journalistes, enquêteurs ou des ONG (Amnesty international en tête) appellent à une réaction de la communauté internationale. Pourtant, l’omerta continue de fonctionner et seule la fédération norvégienne de football avait ouvertement songé à boycotter la compétition. La principale réaction politique est venue des villes qui, pour la plupart, ont annoncé vouloir boycotter l’événement. Paris, Lille, Bordeaux, Nantes, Strasbourg, Lyon ou Marseille ont d’ores et déjà annoncé qu’aucun écran géant ne serait installé pour retransmettre la compétition.

Ce boycott s’inscrit dans le sillage tracé par Amnesty international, qui sans appeler les fans de football à boycotter propose plusieurs approches pour limiter les impacts négatifs de la Coupe du monde. En premier lieu, Amnesty plaide pour un fonds d’indemnisation des familles des victimes à hauteur de 420 millions d’euros (sur les 6 milliards de recettes générées par la Fifa). L’ONG encourage aussi le boycott des sponsors et le visionnage de la compétition en streaming. Sans tomber dans le relativisme, le mal est fait, l’important est désormais de provoquer un choc au niveau des institutions sportives et politiques afin d’éviter que le “mal” ne se produise à nouveau, par l’organisation d’une Coupe du monde 2030 en Arabie saoudite, par exemple.

Mots-clés
Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom