La culture du compromis tuera l’Europe politique

, par Laurent Rergue

La culture du compromis tuera l'Europe politique

Robert Schuman prédisait dans sa célèbre déclaration du 9 mai 1950 que « l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera pas des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait ». Cette phrase résume bien la philosophie de compromis qui a animé la construction européenne et qui fait aujourd’hui loi dans les institutions de l’Union européenne. Mais ne sommes-nous pas arrivés à la fin d’un cycle, celui de la construction par petits pas ? L’Europe ne doit-elle pas se réinventer pour devenir véritablement politique ?

L’Europe a peur de la politique

La culture du compromis est souvent valorisée par les promoteurs de l’Europe. Elle permettrait d’être « unis dans la diversité » et de poursuivre un intérêt général européen. La Commission a ainsi théorisé un modèle de gouvernance fondé sur l’ouverture et le Parlement se flatte d’être une enceinte où règne le consensus permanent.

Mais où sont les résultats politiques ? La Commission se satisfait d’une Stratégie UE 2020 bien peu énergique et le Parlement passe le plus clair de son temps à voter des résolutions insipides. En Europe, la communication semble avoir remplacé l’action.

Le compromis systématique risque bien du tuer tout projet d’Europe politique. Les institutions européennes ne doivent pas avoir peur de l’affrontement et des contradictions. La politique n’est pas uniquement affaire de débat, elle est aussi la construction d’un rapport de force qui légitime une action publique.

Comment expliquer aux citoyens que la Commission, sorte de gouvernement européen, soit composée de commissaires de bords politiques différents ? Comment expliquer qu’il n’existe structurellement pas de majorité politique au Parlement ?

Comment justifier l’existence d’une règle de majorité qualifiée au Conseil alors que les Etats s’efforcent presque toujours d’obtenir l’unanimité ? La démocratie européenne existe, mais c’est une démocratie désincarnée, au sein de laquelle personne n’ose exercer de leadership. L’Europe a peur de la politique.

Un tel système est logique si on conçoit l’Union européenne uniquement comme une machine à réglementer. Dans cette optique, la construction européenne n’aurait aucune valeur en soi mais serait un simple instrument destiné à rapprocher les législations des Etats membres. En revanche, la culture – voire le culte – du compromis ne permettra jamais à l’Europe de véritablement légiférer et de disposer d’une autonomie politique.

Pour une concentration des pouvoirs européens

Les menaces qui ont pesé sur la zone euro l’année dernière ont démontré à ceux qui en doutaient encore que l’échelon européen ne peut pas être ignoré en matière de politiques publiques. La solidarité européenne est une réalité. Mais pour libérer tout son potentiel institutionnel, l’Union européenne ne doit pas avoir peur de la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul camp politique.

Imaginons que le Parlement ne soit plus élu au scrutin proportionnel mais selon un système assurant la majorité absolue des sièges à un seul groupe. Une majorité politique pourrait émerger, créant une solidarité de fait entre les parlementaires d’un même camp et structurant de véritables partis politiques transnationaux. Une fois libérée de l’obligation du compromis, la majorité pourrait mettre en œuvre un programme clair et en rendre compte en fin de mandat.

Dans le même temps, la Commission pourrait jouer le rôle d’un gouvernement fort, émanation du camp majoritaire au Parlement. Le Conseil n’aurait de son côté plus peur de faire émerger des majorités en son sein. La concentration partisane des pouvoirs européens permettrait aux citoyens de donner enfin des visages à l’Europe et de savoir à qui imputer la politique menée.

Cette vision certainement utopique a au moins le mérite de poser la question des moyens à mettre en œuvre pour parvenir à l’Europe politique. Le compromis systématique ne permettra certainement pas d’atteindre cet objectif. Les conceptions romantiques de la construction européenne ne produisent aucun projet politique mobilisateur. L’Europe politique de demain devra se fonder sur des clivages, des représentations, des idéologies et des rapports de force. En un mot, elle devra susciter la passion.

Photo : « Two ends of a chain linked by string, close-up. », par Laurent Hamels, libre de droits.

Vos commentaires
  • Le 11 avril 2011 à 16:02, par Tartempion En réponse à : La culture du compromis tuera l’Europe politique

    Pourquoi un système majoritaire ? Est-il si difficile d’imaginer une Europe qui ne soit pas une grande France ? Si c’est pour tomber dans l’ornière d’un parlement-chambre d’enregistrement comme c’est le cas en France, non merci !

    Je ne vois rien qui interdise une Europe forte avec un système proportionnel.

  • Le 11 avril 2011 à 18:15, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : La culture du compromis tuera l’Europe politique

    "Imaginons que le Parlement ne soit plus élu au scrutin proportionnel mais selon un système assurant la majorité absolue des sièges à un seul groupe.

    Quelle horreur !

    L’idée d’élire le Parlement européen au scrutin majoritaire me semble absurde : alors même que l’on reproche à l’Europe son déficit démocratique vous voudriez exclure de l’assemblée qui nous y représente la majorité des partis politiques qui s’y trouvent...

    Au contraire, c’est au niveau national qu’il faut oeuvrer pour que le mode de scrutin scandaleux que l’on y pratique, qui revient ni plus ni moins qu’à truquer le résultat des élections par un bidonnage institutionnel, soit aboli au profit d’une meilleure représentation de nos concitoyens dans leur diversité.

    Comme vous le soulignez le problème est double :

    • la non application des textes en vigueur : rechercher l’unanimité lorsque les institutions prévoient un vote majoritaire au Conseil est louable s’il s’agit de ne léser personne. Après tout l’Union n’est pas là pour écraser les particularité et les intérêts de ses membres. Mais De fait il s’agit surtout de refuser d’entrer dans une logique démocratique et le maintien confortable pour nos élites gouvernementales d’une logique diplomatique pas si éloignée de l’esprit de 1815.
    • le mode de désignation illégitime de la Commission européenne qui n’est pas élue par le Parlement européen mais nommée par le Conseil. Dès lors le lien entre élection et la Commission est parfaitement artificielle. Une véritable élection devrait suffire à faire émerger une majorité : ceux qui votent pour devant être plus nombreux que ceux qui votent contre. Nul besoin de bidouiller le résultat des élections. Ceci est envisageable au scrutin proportionnel.

    Le Parlement européen tel qu’il existe aujourd’hui me semble au contraire un modèle de démocratie mature. Les opposition d’idées y sont fortes, et passionnées, mais les principaux groupes politiques savent qu’il faut à un moment donner rechercher des solutions en vue de construire des majorités d’idées et de promouvoir l’intérêt général. En comparaison des faux débats infantils et sans enjeux auxquels on assiste au Palais Bourbon je ne voudrais voir abandonner ceci pour rien au monde.

    Le problème se situe au Conseil. C’est cette institution qui, agissant de facto à la fois en tant que Sénat fédéral semi-secret et que praesidium, exécutif collectif autoproclamé et tout puissant dont le principal objectif et d’empêcher tout véritable pouvoir européen autonome d’émerger, pose un véritable problème. Ceci vou ne faites que l’effleurer.

  • Le 11 avril 2011 à 20:24, par Mr Kane En réponse à : La culture du compromis tuera l’Europe politique

    Je suis du même avis que l’auteur de cet article. Les clivages politiques, les petites phrases assassines et les engueulades au Parlement sont, en plus d’incarner les signes d’une vie démocratique intense, les faits politiques qui viendront passionner les foules. Dans les Etats Membres on voit bien l’existence de vie politique qui permet l’émergence de débat de société (parfois même dégoutants) où chacun peut prendre position et se sentir concerné. Quoi qu’il en soit, je pense que l’Europe va commencer de prendre cette voie. Si les euro-députés de tendance nationaliste savent déjà susciter la polémique (bien qu’il n’arrivent pas toujours à constituer un groupe parlementaire), les Verts ont réussi une prouesse en créant un parti à l’échelle européenne. D’ailleurs, leurs députés dont le bouillant Cohn Bendit n’hésitent pas à tirer à boulets rouges. Il faut espérer que la pratique se répandra dans l’hémicycle. Et peut-être qu’un jour un Lituanien et un Portugais militeront pour la même cause et s’en prendront à un même député.

  • Le 17 avril 2011 à 00:44, par T-A-M de Glédel En réponse à : La culture du compromis tuera l’Europe politique

    En fait, toutes vos propositions ne changent rien. La Commission ne travaille quasiment que sur mandat des États membres, et le Parlement ne peut rien décider sans le Conseil où règnent les intérêts nationaux. Majorité ou non, les pouvoirs, ce seront globalement les gouvernements nationaux qui les auront.

    Après, je ne suis pas si sûr que toute l’Europe ait peur du politique. La France voudrait sans doute exercer un principat sur la politique européenne pour la faire bouger mais la plupart des autres partenaires importants n’ont pas la même conception du politique. Comme nous ne sommes pas encore suffisamment forts pour imposer nos vues, on se réfugie dans le compromis. Peut-être que dans 60-70 ans, quand la France pèsera pas loin de 20 % de la population de l’UE, on y arrivera.

    Quant à l’existence d’une démocratie européenne. Est-ce possible sans espace public ou médias européens ?

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