Une idée ancienne remise au goût du jour
Le revenu de base (aussi appelé allocation universelle ou salaire à vie) est un revenu reversé à chaque citoyen, quelles que soient ses ressources, sans la moindre condition ni contrepartie. L’apparent avant-gardisme du concept a tendance à faire oublier ses racines anciennes. En 1516, l’Utopia de Thomas More préfigurait déjà une île dont les habitants ne dépendraient plus du travail pour subsister, tandis que des penseurs du XIXème siècle avaient dessiné le versement d’un « dividende territorial » à chaque citoyen. Les penseurs du XXème siècle ont affiné l’idée : ainsi, le très libéral Milton Friedman proposait un « impôt négatif » pour lutter contre la pauvreté sans entraver le marché. En 1971, le philosophe John Rawls appelle à un revenu social minimum, distribué par le gouvernement, pour assurer une égalité des chances réelle entre citoyens.
Ce cheminement philosophique s’est aujourd’hui matérialisé par la distribution de dividendes universels en Iran, au Koweït, mais aussi dans certains Etats américains. En Caroline du Nord par exemple, les revenus générés par les casinos sont redistribués aux membres de la communauté Cherokee. Un véritable succès, que prouvent l’amélioration significative de la santé des bénéficiaires et l’augmentation du nombre de diplômés. Les mêmes bienfaits ont pu être notés dans d’autres pays ou régions « tests ». Le cas de la Namibie s’avère particulièrement intéressant. De 2008 à 2010, le gouvernement a distribué 100 dollars namibiens à chaque habitant d’Otjivero-Omitara. Or, l’expérience a tordu le cou à la critique récurrente faite au revenu universel : loin d’encourager le chômage, l’inactivité a en réalité baissé dans le village, tandis qu’une myriade de petites entreprises est venue revitaliser le tissu économique et social du village sélectionné.
Solution de la dernière chance pour la Finlande
Dans un contexte marqué par l’accroissement constant des inégalités et le besoin d’adapter l’Etat-providence à un contexte socio-économique nouveau, le revenu de base engrange toujours plus de soutiens en Europe. Surprenant, l’idée d’un revenu de base semble transcender les antagonismes politiques. La gauche y voit ainsi un moyen de libérer l’Homme de l’aliénation du travail, qui pourrait alors se consacrer à des activités non-marchandes mais bénéfiques pour la société (famille, association, etc.) ; tandis que la droite trouve dans le revenu universel un outil de simplification drastique de la protection sociale, permettant à terme de réduire le nombre de fonctionnaires et de responsabiliser l’individu.
Pour la Finlande, la mise en place d’un revenu de base suscite un espoir plus grand encore : relancer l’économie moribonde du pays. Ce qui fût jusque récemment l’un des meilleurs élèves de l’Union doit faire face à un chômage avoisinant les 10%, alors que la croissance a été de 0,4% en 2015, après trois années récessives. L’industrie du papier décroche, tandis que le fleuron national, Nokia, a raté le tournant majeur des smartphones. A l’Est, les exportations vers la Russie, partenaire commercial incontournable d’Helsinki, faiblissent entre crise russe et sanctions économiques. A l’Ouest, dans le même temps, la Suède peut se targuer d’une compétitivité restaurée par la dévaluation de sa couronne.
Pour tenter de sortir le pays de l’ornière, le gouvernement de centre-droit arrivé au pouvoir en avril 2015, bouscule le pays. Après avoir fait adopter début 2016 un « pacte social » comportant de sévères mesures d’austérité, le premier ministre Juha Sipilä attend du revenu universel qu’il vienne redonner des couleurs au marché de l’emploi. Lui qui appelait les électeurs à « avoir du courage pour expérimenter des solutions nouvelles », souhaite clarifier le système social et fiscal qu’il juge complexe et peu incitatif pour les chômeurs, en testant le versement d’un revenu inconditionnel à 2000 d’entre eux à compter du 1er Janvier 2017.
Une mise en œuvre à l’esprit libéral
Le but de l’expérimentation est clairement annoncé : flexibiliser le marché du travail national tout en mettant fin à la bureaucratie du système social. Le gouvernement fait le pari que les bénéficiaires du revenu de base seront plus prompts à accepter un emploi à temps partiel ou à la rémunération moindre, permettant ainsi aux entreprises nationales de restaurer leur compétitivité. Un autre espoir est de stimuler la création d’entreprise, puisque le revenu universel jouerait le rôle de filet de sécurité en cas de démarrage difficile ou d’échec.
Cependant, cet angle d’approche n’est pas sans déplaire aux syndicats ainsi qu’aux partis de gauche. Le montant de l’allocation, fixé à 560 euros (en parallèle du maintien des aides au logement et de la couverture sociale), paraît bien maigre lorsque l’on connaît le coût de la vie du pays. Si le gouvernement dit avoir voulu fixer un montant incitatif, certains syndicats dénoncent la volonté de créer une « armée de réservistes du grand capital ». Ils craignent aussi qu’une telle simplification de l’aide sociale ne rime en réalité avec dégradation des avantages acquis de haute lutte. Enfin, la gauche regrette que le gouvernement ait décidé d’exclure de son expérimentation les étudiants et les travailleurs à temps partiels.
En réponse à ces critiques, le gouvernement rappelle que si le revenu de base venait à passer le test, il serait progressivement étendu à tous. Surtout, les soutiens de la réforme pointent certaines insuffisances du modèle social finlandais, déjà l’un des plus généreux au monde : par exemple, les micro-entrepreneurs, souvent en situation de précarité, ne peuvent prétendre à l’allocation chômage, ce que corrigerait le versement d’un revenu de base.
En vérité, il ne semble possible de juger des gagnants et perdants de la réforme qu’en se penchant sur son financement. Si la phase test coûtera près de 20 millions d’euros, son élargissement au reste de la population en cas de réussite, nécessitera une sérieuse réflexion financière. Deux solutions se dessinent déjà, bien que la seconde retienne la préférence des économistes. Il serait possible de décider une taxation forfaitaire de 43% des salaires, mais cette solution ne serait pas sans pénaliser ceux aux revenus les plus faibles. Apparaît alors plus équitable une augmentation de l’impôt sur le revenu (à l’exclusion du revenu universel), très progressif en Finlande. Dans ce cas de figure, seuls les Finlandais aux revenus les plus modestes verraient le revenu de base (selon le montant fixé actuellement) améliorer leur situation : au-delà de 3300 euros de revenus par mois, le salaire médian du pays, l’avantage financier procuré par le revenu de base serait contrecarré par l’augmentation de l’impôt sur le revenu.
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