La forteresse européenne

, par Morgane Quemener

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La forteresse européenne
Dimitris Avramopoulos, commissaire aux Affaires intérieures, doit proposer aujourd’hui au Conseil des mesures pour réorienter la politique migratoire de l’Union européenne après les drames du mois dernier et face à l’afflux constant de migrants. Des quotas de répartition des réfugiés par Etats membres sont évoqués et font déjà grincer des dents certains chefs d’Etat et de gouvernement. - © European Union 2014 - European Parliament

Les naufrages de migrants, catastrophes répétées, remettent en cause la capacité de la politique migratoire européenne à secourir les migrants clandestins aux portes de l’Europe et à faire valoir leurs droits. Alors qu’elle fut pendant longtemps une terre d’émigration, l’Europe doit aujourd’hui relever le défi d’un afflux massif de populations en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient, sur lesquelles elle exerce un fort pouvoir d’attraction.

La politique migratoire européenne cherche en vain depuis trente ans à endiguer le phénomène de l’immigration clandestine par des dispositifs sécuritaires. La justification donnée est le renforcement des réseaux légaux de l’immigration. Dans une interview de 2013, Stefano Manservisi s’explique ainsi au nom de la Commission : « C’est d’abord une question de perception : montrer qu’on lutte contre l’immigration irrégulière renforce l’idée que l’immigration est contrôlée, la loi respectée, ce qui rend donc plus acceptable le développement de l’immigration légale. (…) Ensuite, cela a aussi un effet de dissuasion sur ceux qui ont l’intention de venir dans nos pays de manière irrégulière… » Or, en plus d’être inefficace, puisque l’entreprise de l’immigration est désespérée, et ne recule devant aucune démonstration de force, cette politique mène au non respect des droits fondamentaux des migrants clandestins, notamment de ceux reconnus par le droit international comme « réfugiés ».

C’est l’agence Frontex qui est depuis 2004 chargée d’assumer la mission tentaculaire de la coordination de la protection des frontières extérieures de l’Union européenne. Celles-ci sont jalousement gardées puisque leur franchissement donne accès à un espace de libre circulation où les contrôles douaniers sont subsidiaires. Ce « chien de garde de l’Europe » est théoriquement tenu de respecter la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000, mais il manque de moyens pour l’honorer dans les faits. Nikiforos Diamandouros, médiateur européen, qui lance une enquête sur le respect des droits des clandestins par Frontex en 2013, donne un exemple parmi d’autres : « chaque pays est censé avoir un établissement pour accueillir ces personnes et repérer parmi elles les demandeurs d’asile et les personnes vulnérables. Or Frontex est censée être là pour assister et notamment pour enregistrer les gens qui arrivent, dont la plupart n’a pas de papiers. Ces personnes doivent pouvoir comprendre ce qu’on leur dit et donc bénéficier des services d’un interprète.

Il arrive souvent que Frontex enregistre les personnes sans l’interprète adéquat, ce qui engendre des erreurs de nom. » Un autre problème reste que de nombreuses missions sont à la charge et discrétion des Etats. On se souvient que c’est proprement parce que l’Union était incapable de soutenir conséquemment l’Italie dans le financement de l’opération de secours des clandestins Mare nostrum que ce programme a été contraint de prendre fin en 2014. Un autre échec criant est l’accueil des migrants dans les camps gérés par les Etats. Sur l’île italienne de Lampedusa par exemple, les 5000 habitants ne sont pas en mesure d’accueillir décemment et dans le respect du droit international 5000 réfugiés.

De plus, l’Europe enterre toujours un peu plus le droit d’asile. Chaque Etat membre a fait reculer ses standards dans la période récente. La forte nervosité et la politisation autour du thème de l’immigration ont contribué à rejeter en bloc tout « étranger clandestin » sans distinction. Si bien qu’aujourd’hui on en vient à traquer les « faux réfugiés » ou « réfugiés économiques ». La France a par exemple choisi dans les années 1990 une définition restrictive et en deçà de la définition du réfugié donnée par la Convention de Genève de 1951. En charge de l’octroi des droits d’asile depuis 1997, l’Union européenne a poursuivi cette ligne.

Le respect des droits des clandestins dans leur ensemble s’est abaissé du fait de l’externalisation des missions de contrôle des flux migratoires et d’accueil des populations migrantes clandestines. En effet, la stratégie définie à Tampere en 1999 a été la collaboration avec les Etats tiers « producteurs d’émigration », en leur demandant un durcissement du contrôle de leurs frontières. Le Maroc qui est un des partenaires les plus zélés, a d’ailleurs abattu des migrants illégaux en 2005 et 2008 alors qu’ils tentaient de franchir les « grillages ». Ce sont aussi dans ces pays, en marges de l’Europe, que l’on « délocalise » des camps de rétention afin qu’y soient triés les réfugiés des autres clandestins.

L’Europe s’en remet ainsi à la philosophie du « not in my backyard ». Or ce système sécuritaire et externalisé qui fait peu de cas des droits des migrants risque de se pérenniser. En effet, le « xénophobie business » est très porteur et fait l’objet d’un lobbying actif. La sécurisation des frontières, impliquant de plus en plus de technologie (drones, radars, etc.), c’est un marché porteur pour les entreprises européennes. Mais c’est surtout du fait du manque d’intégration de la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne, et du manque de moyens que l’on peut sérieusement craindre la répétition de tels drames humains.

Un article paru dans le Taurillon dans l’Arène du mois d’avril.

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