En effet, depuis ce 13 novembre, les manifestations de soutien aux victimes des attentats et à leurs familles se succèdent, les perquisitions et les arrestations s’enchainent, les militaires dans les rues protègent les lieux stratégiques, la population est saluée pour sa bravoure et sa solidarité en ces temps de crises, le président français ne cesse d’exhorter toutes les nations émues par ces actes de violence à unir leurs efforts dans une coalition militaire de haut vol afin de réduire l’organisation de l’Etat islamique au goût amer d’un mauvais souvenir. François Hollande en martèle la nécessité à un tel point que certaines nations se sentent obligées de se jeter corps et âme dans cette alliance contre le « Mal » sous peine d’être accusées d’insensibilité ou de laxisme par leurs homologues. Tous ces évènements ont bénéficié d’une large couverture médiatique.
La France entend déroger à la Convention européenne des droits de l’Homme
En revanche, qui parle des évènements de ce 25 novembre ? Ce jour-là, la France avertissait le Conseil de l’Europe qu’elle entendait déroger à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de l’état d’urgence mis en place à la suite des attentats terroristes de ces dernières semaines. En effet, le pays de Voltaire et de Victor Hugo se base sur les dispositions de l’article 15 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
- « 1. En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.
- 2.La disposition précédente n’autorise aucune dérogation à l’article 2, sauf pour le cas de décès résultant d’actes licites de guerre, et aux articles 3, 4 (paragraphe 1) et 7.
- 3.Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application » [1].
Droits absolus ou droits relatifs, une nuance de taille
A la lecture du paragraphe 2 de l’article 15, on peut constater que la Convention européenne des droits de l’homme institue des droits « absolus » [2] et des « droits relatifs ».
La liste des droits dits « absolus » est très restrictive. Les droits « absolus » sont les droits auxquels, les Etats membres du Conseil de l’Europe ne peuvent déroger sous aucun prétexte. Il s’agit du droit à la vie (art. 2), de l’interdiction de la torture (art.3), de l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé (art.4, §1) et le droit de ne pas être condamné pour infraction qui n’était pas reconnu comme telle au moment où elle a été commise [3].
Tous les autres droits de cette charte comme, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression, le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté de réunion et d’association, l’interdiction de la discrimination sont des droits « relatifs », c’est-à-dire que les Etats membres du Conseil de l’Europe peuvent y déroger.
Au-delà de la question de savoir si cet acte est licite ou si La France sera autorisée à mettre entre parenthèses ses obligations des plus élémentaires par le Conseil de l’Europe, cette attitude interroge la valeur donnée, aujourd’hui, au droit international et plus largement celle accordée aux principes qui le portent et qui font la force des démocraties.
Parmi les mesures dérogeant à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il y a « l’élargissement des assignations à résidence à n’importe quelle personne pour laquelle il y a "des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public" » [4]. Lorsque que l’on constate la manière dont le gouvernement français traite les militants pour le climat, cela nous interroge sur l’interprétation que celui-ci pourrait faire « des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public ».
Il faut rappeler que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, à savoir le droit à un procès équitable, n’est pas repris dans la liste des droits « absolus » et que par conséquent, il est relayé au rang de droit « relatif ». Il faut insister sur le fait que si le paragraphe premier de l’article 4 de la Convention européenne interdisant l’esclavage est un droit « absolu », le paragraphe deux de ce même article consacrant l’interdiction du travail forcé ou obligatoire est un droit « relatif ».
Dans la lutte, ne pas renier ses principes
Gardant à l’esprit la mémoire des victimes des attentats de Paris et d’ailleurs, nous ne pouvons que nous insurger face au délitement du droit international et des principes qui fondent notre démocratie. Nous ne pouvons d’autant moins le tolérer que la demande émane d’une nation dont les esprits sont à la base de cette charte fondamentale. Celle-ci n’étant rien d’autre que le legs d’individus voulant offrir une alternative à l’arbitraire et par là même poser les bases de notre humanité. Les principes ne sont pas à usage unique en temps de paix, mais des balises jalonnant les abords d’une pente glissante et dont la France vient de franchir une ligne rouge.
Certes, la démocratie doit se battre pour ses principes, mais elle doit le faire par l’intermédiaire de ceux-ci. Cessons cette médiatisation de la peur alimentée par l’exhibition de la violence, les proclamations martiales, l’émotion et parlons des vrais enjeux qui se déroulent dans les coulisses de l’état d’urgence.
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