Le Taurillon – Monsieur Leggeri, cela veut dire quoi être directeur de Frontex ? Décrivez-nous un peu votre travail et le mandat de l’agence.
F.L. – Frontex a été créé il y a 10 ans en 2005. Nous avons un rôle de soutien aux Etats membres dans la gestion de l’espace Schengen. A ce titre, nos missions sont surtout des missions de coordination qui servent à mettre en œuvre le code frontière Schengen. Nous avons 470 garde-frontières en Grèce dans le cadre de l’opération Poséidon. Il existe également une opération en Italie, l’opération Triton. Notre seconde mission est une mission d’analyse des risques. Notre nouveau centre de situation produit une image en temps réel de la situation aux frontières extérieures. Nous avons également une mission de formation. Nous diffusons les bonnes pratiques de manière à ce que les différents corps de gardes-frontières en Europe soient interopérables. Frontex possède un département de Recherche et Développement qui réfléchit aux manières de gérer la frontière de demain. Nous avons un rôle de conseiller pour la Commission européenne en ce qui concerne la politique migratoire. Enfin nous avons un rôle dans le retour (l’expulsion des migrants illégaux NDLR). Ce rôle est appelé à grandir, il est pour l’instant en développement. L’idée est de mettre en place des vols organisés logistiquement par Frontex, pour limiter les coûts. Cela implique aussi un rôle d’identification pour nous. Nous devons pouvoir retracer le parcours de migrants pour savoir s’ils sont légaux ou non.
« En Grèce, j’ai interrogé les autorités sur la question du refoulement. Il ne s’agit apparemment pas du résultat d’une politique délibérée mais d’erreurs individuelles. »
Le Taurillon – Vous venez de parler de la fonction de recherche et développement de Frontex, il y a en ce moment une initiative de la Commission au nom qui nous interpelle, smart border. C’est quoi une frontière intelligente ?
Il s’agit en effet d’un projet proposé par la Commission sous forme de règlement (loi européenne qui s’applique directement aux états membres NDLR). Le principe est que toutes les personnes qui franchissent la frontière soient enregistrées. A l’origine, l’idée était de vérifier les dates de séjour. On contrôle la date d’entrée, la durée de séjour légale et si l’on ne constate pas de sortie alors que la durée de séjour a expiré, c’est qu’il y a un problème. De cette idée originelle, on est passé à l’idée d’un enregistrement qui concernerait également les citoyens de l’Union Européenne et non pas seulement les migrants. Bien sûr, ce projet est né en réaction aux attentats de Paris.
Le Taurillon – Frontex est régulièrement accusée par des ONG de pratiquer le refoulement, c’est-à-dire de rejeter des migrants en mer sans étudier leur demande d’asile. Le journal Le Monde vous a accusé en novembre dernier de soutenir les politiques xénophobes de la Hongrie. Que répondez-vous aux critiques ?
F.L. – Concernant le refoulement, Frontex n’a pas été impliqué. Les autorités grecques sont concernées, pas les moyens de Frontex. En ce qui concerne le Hongrie, le rôle de Frontex n’est pas de se substituer aux Etats membres. En revanche, le directeur exécutif de l’agence peut décider d’arrêter sa coopération avec l’un d’eux. En Grèce, j’ai interrogé les autorités sur la question du refoulement. Il ne s’agit apparemment pas du résultat d’une politique délibérée mais d’erreurs individuelles. Elles nécessitent des sanctions individuelles, pas des sanctions envers l’Etat grec. Les droits fondamentaux font partie des sujets que l’on suit avec attention.
« Frontex peut être le bras pertinent pour coordonner les États membres mais aussi pour leur indiquer des actions à mettre en œuvre »
Le Taurillon – Il y a eu des annonces de renforcement du nombre d’agents Frontex, va –t-on vers une réelle police aux frontières européennes ?
Le système de Schengen nécessite une gestion intégrée des frontières extérieures. Dans ce cadre-là, on doit penser dans des termes qui ressemblent à ceux du fédéralisme. Frontex peut être le bras pertinent pour coordonner les Etats membres mais aussi pour leur indiquer des actions à mettre en œuvre. On va effectivement vers un renforcement des pouvoirs de l’agence.
« D’une certaine manière, on paye avec ces attentats les faiblesses congénitales du système Schengen »
Le Taurillon – C’est-à-dire ?
La Commission propose deux choses. D’abord un renforcement des moyens opérationnels et budgétaires. Ensuite et surtout, le pouvoir pour Frontex d’imposer certaines décisions aux Etats membres. Tout cela est déjà en discussion et devrait être négocié cette année.
Le Taurillon – Et personne ne râle ?
Si bien sûr, cela fait grincer quelques dents. Certains Etats soulèvent la question de la souveraineté. Mais la France et l’Allemagne soutiennent le projet.
Le Taurillon – La France vient d’être frappée par un des pires attentats de son histoire. Quelle est la réponse de Frontex ?
Pour l’instant Frontex n’a pas accès aux bases de données Schengen. Frontex n’a pas non plus accès à la base de données des objets volés et perdus gérée par Europol (l’agence responsable de la coopération policière en Europe NDLR). D’une certaine manière, on paye avec ces attentats les faiblesses congénitales du système Schengen. Après les évènements, le Conseil a demandé que les Etats membres aient l’obligation d’enregistrer tous les étrangers passant par la frontière extérieure de l’Union. En ce qui concerne les citoyens européens, pour l’instant la règle était que les autorités n’avaient pas le droit de contrôler 100% des voyageurs à la frontière. Il fallait procéder par sondage. Cela, la Commission propose de le faire évoluer. Elle voudrait mettre en place un contrôle systématique du fichier Schengen, y compris pour les ressortissants européens.
Le Taurillon – Un mot sur vous pour conclure, êtes-vous un super flic ou un ouvrier de la construction européenne ?
Je suis un ouvrier de l’Europe, spécialisé dans la protection de ses frontières. Les échecs et les réussites de Frontex ont un impact sur la construction européenne. Regardez aujourd’hui le détricotage de Schengen auquel on assiste. Il est dû au fait que la frontière n’apparait plus comme crédible. Un chiffre pour vous donner une idée : entre 2014 et 2015, le nombre de franchissements illégaux de la frontière dans les îles grecques a été multiplié par 18 ! Il y a une déstabilisation de la frontière extérieure. Au départ, cela est dû à un dysfonctionnement du système européen de l’asile mais cela a rejailli sur Schengen, auquel les gens ne font plus confiance. Il faut que la gestion de l’espace commun soit plus crédible. C’est mon rôle. En Europe, il y a deux politiques qui sont visibles pour les citoyens : l’Euro et Schengen. Si ça ne marche pas, cela a un impact sur la pérennité de tout le projet.
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