La géopolitique des enfants sages : et si le Père Noël s’intéressait aux Etats ?

, par Cesare Ceccato, Davide Emanuele Iannace, traduit par Paul Brachet

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La géopolitique des enfants sages : et si le Père Noël s'intéressait aux Etats ?
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Le mois de décembre est vécu avec appréhension par les enfants du monde entier, qui espèrent trouver, sous le sapin, chocolats et cadeaux, témoignages de leur bon comportement durant l’année écoulée. Ce même examen de conscience n’est pourtant pas fait pour les États. Nous pensons ainsi, nous à Eurobull [NDLR : édition linguistique italienne du Taurillon], donner notre vision sur le comportement des différents pays durant 2021. Qui mérite des cadeaux et qui mérite du charbon pour Noël ?

La légende veut qu’à la fin de chaque année, dans une petite localité isolée de Laponie, une silhouette rouge, à mi-chemin entre sacré et profane, se prépare à distribuer aux enfants du monde entier des cadeaux et des surprises ou du charbon, selon que les enfants aient été gentils ou méchants. Il est malheureux que ce ne soit qu’une histoire pour enfants, au même titre que la fameuse liste des enfants sages. Un tel rappel de comportement serait très utile pour les adultes, les associations ou même les pays.

Juger du comportement des plus de sept milliards de terriens durant l’année 2021 est une tâche ardue, mais analyser sommairement les actions positives et négatives des plus grands pays de la planète est un exercice bien plus accessible. C’est donc ce que nous allons faire dans cet article.

La liste des « enfants sages »

Il n’y aura certainement pas de charbon pour le Portugal, pour cette année et pour les années à venir. Avec la fermeture des centrales à charbon de Sines et de Pego, les Portugais ont abandonné définitivement les combustibles fossiles pour leur production énergétique, suivant l’exemple de la Belgique, de l’Autriche et de la Suède. Le Portugal a ainsi démontré sa volonté de s’engager d’une manière sérieuse et pragmatique dans le processus de transition écologique en décidant de tout miser sur les énergies renouvelables. Le gaz, aujourd’hui principalement importé d’Espagne, de France et d’Allemagne, restera pour Lisbonne une source résiduelle jusqu’au moment où il sera possible pour le pays de s’en passer sans compromettre pour autant son approvisionnement d’électricité. Dans cette optique, les fonds Next Generation EU seront une opportunité sans précédent.

Parmi les pays « sages », figure également l’Allemagne. Ici, il n’est pas question d’analyser le côté pratique comme le cas précédent, mais plutôt celui de l’engagement, du courage et de l’ambition. Il y avait d’importantes préoccupations sur la composition et sur le programme du premier gouvernement de « l’Après-Merkel », qui était au pouvoir depuis 2005. Cependant, les Allemands ont surpris tout le monde, non seulement en arrivant à un accord tripartite avec des mois d’avance par rapport à ce qui avait été prévu, mais aussi en traçant la voie pour un futur plus égalitaire, plus démocratique, et plus progressiste. De l’augmentation du salaire minimum à la légalisation des drogues légères, d’une politique migratoire plus souple, jusqu’au développement du fret ferroviaire et de la voiture électrique, il existe de nombreux points sur lesquels la coalition formée des Sociaux-démocrates, des Verts et des Libéraux, placée sous l’œil vigilant d’Olaf Scholtz, a promis de travailler intensément à l’aide du contrat de coalition, « Oser le progrès ». Le contrat ne se limite pas à délimiter la ligne politique intérieure du pays, elle éclaircit également la position de la nouvelle majorité à l’échelon européen, avec un soutien au mécanisme du Spitzenkandidaten pour les prochaines élections européennes et la solide volonté de transformer l’actuelle Union européenne en un Etat fédéral. En somme, l’Allemagne mérite pleinement une part de Christstollen… épicé !

La liste des « enfants pas sages »

S’il existe des pays « sages », il existe également des pays qui décident de s’occuper seulement d’eux. Ne peut que se démarquer, parmi les nationalistes auxquels il va falloir apporter du charbon, la Pologne de Morawiecki avec sa liste de mauvaises actions qui s’étendra bien après cette année. Ressortent des nombreux signaux d’alarme de la Pologne de 2021, les violations à l’Etat de droit, portées à plusieurs reprises devant les institutions européennes, mais aussi son habileté unique à prendre des décisions erronées. Parmi celles-là, l’instauration des fameuses zones LGBTQ+ free et l’atteinte grave à la division des pouvoirs - exécutif, législatif et judiciaire - qui a sans doute fait retourner Montesquieu dans sa tombe, avec l’introduction d’une loi controversée qui place le Tribunal constitutionnel du pays d’Europe centrale sous la coupe gouvernementale.

Avec un autre grand personnage de la politique européenne, Viktor Mihály Orban - qui a pour lui la liste des mauvaises actions hongroises - la Pologne partage l’incapacité totale de gérer la crise migratoire, tant celle des confins du sud-est de l’Europe que celle aux frontières biélorusses. La Hongrie et la Pologne se sont distinguées par le traitement inhumain accordé aux migrants, tant de la part des forces gouvernementales que de la part des milices. Avec d’autres héros de la défense des valeurs européennes - dont on ne sait jamais si elles sont chrétiennes ou issues de conversations de bistrot - les deux gouvernements nationalistes continuent sur la voie pavée de mauvaises intentions qui se dirige peu à peu vers l’enfer.

Pas moins infernal est le traitement exercé par la police croate sur les migrants empruntant la route balkanique. Le constat est univoque : Zagreb est bien sur la liste des enfants pas sages cette année.

Pendant que nous regardons vers l’Est, profitons-en pour jeter un œil sur les trois voisins de l’Union européenne : la Biélorussie de Aljaksandr Lukašenko, la Russie de Vladimir Vladimirovič Poutine et la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan (oui, nous aimons utiliser les noms complets des personnalités ici, à Eurobull).

La résonance médiatique qu’a reçue la Biélorussie cette année a été éclatante, tout d’abord par les rassemblements pro-démocratie, puis par le gant de velours utilisé par le gouvernement avec les manifestants et les opposants politiques. Le pays de Lukašenko a aggravé sa situation en utilisant les migrants comme arme, en les incitant tout d’abord à venir de l’Irak pour le Belarus, puis en les envoyant, comme un instrument de pression, aux frontières polonaises - bien conscient que les États méditerranéens de l’Union pourraient être particulièrement heureux à la vue de ces diverses visages. Non moins éclatant fut le cas de Kryscina Cimanoŭskaja, l’athlète bélarusse qui, aux Jeux olympiques (JO) d’août, après avoir été inscrite à son insu à une compétition à laquelle elle n’avait pas été préparée, s’est retrouvée "gentiment" escortée par des fonctionnaires biélorusses pour la forcer à revenir au Bélarus, critiquant alors ouvertement son entraîneur et le comité olympique du pays. Une histoire qui s’est terminée par une demande d’asile à la Pologne, qui a été acceptée.

Plus à l’Est se trouve l’ours russe qui n’hiberne pas et continue sa politique en Afrique et au Moyen-Orient qui voient le retour de l’âge d’or des mercenaires. Dans le même temps, toujours dans le domaine de la politique étrangère, les drones russes et turcs, qui se sont lancés les uns contre les autres dans le conflit qui a opposé l’Arménie à l’Azerbaïdjan l’année dernière, résonnent toujours joyeusement. Aucune des deux nations, tant la Turquie que la Russie, n’a fait quelque chose pour contenir le conflit - alimentant plutôt les accrochages entre leur « petit frère » respectif. Outre cette petite mention, la Russie a aussi opté récemment pour augmenter la pression militaire aux frontières de l’Ukraine, faisant craindre à certains une nouvelle intervention armée contre Kiev. Pour les autres - et notamment l’un des deux rédacteurs de cet article - cela se révèle être plus un spectacle visant à impressionner autant Biden que l’Europe afin que ces derniers acceptent de revenir à la table des négociations. Quoi qu’il en soit, ces actions d’intimidation, condamnées par la communauté internationale, ne le sont pas par le Père Noël.

Reste la Turquie, sur laquelle nous pourrions écrire de nombreux papiers et articles tant le nombre d’idioties fut important au cours de l’année 2021. Parmi celles-ci, se démarque l’affaire du Sofa Gate – et oui Recep, rien n’est oublié ici – où, par un geste des plus inélégants, le président turc a su démontrer toute sa considération pour la gente féminine, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur de ses frontières. Dans un autre registre, le procès d’Osman Kavala, opposant politique du démocratiquement élu Président turc actuel, qui a fini emprisonné sans réel procès et rendu suspect plus par ses intentions politiques que par ses actions. Bref, même dans la bonne vieille Istanbul, les choses ne tournent pas exactement dans le bon sens. Les politiques néo-ottomanes d’Erdoğan renforcent la présence du pays en dehors de ses frontières, mais elles laissent un vide important à l’intérieur du pays et mettent en exergue les problèmes devenus récurrents de la Turquie, un mécontentement grandissant, des migrants bloqués dans le pays, une économie en crise et un futur de moins en moins rose pour les Turcs.

La liste des autres

Il existe également des Etats se trouvant dans une sorte de « zone grise », ces derniers ont passé 2021 comme on passe des montagnes russes, alternant entre succès flamboyants et échecs désillusionnants. S’il s’agissait d’un bulletin scolaire, leur examen serait reporté à septembre. Mais nous sommes déjà en hiver et, comme le chante Michael Bublé, en cette période il s’agit d’être manichéen : naughty or nice. Alors, où les placer ? Ne sachant pas quel poids accorder à ces comportements, nous les laisserons dans une liste ni « sages », ni « pas sages », mais « autres », en espérant pouvoir les réévaluer à Noël prochain.

C’est de l’autre côté de l’océan que nous rencontrons le pays le plus difficile à classer. Les Etats-Unis, à la fin de 2020, ont congédié Donald Trump au profit du démocrate Joe Biden. Toutefois, dès les premiers jours de l’année, nous avons pu observer que les soutiens du milliardaire de haute voltige ne s’étaient pas tari dans le cœur de tous les américains. C’est ainsi que le 6 janvier, un groupe de partisans de The Donald a pris d’assaut le Capitole avec pour intention de renverser les résultats de l’élection présidentielle. Une attaque contre la démocratie sans précédent qui ne peut manquer de faire partie des annales de l’année 2021. De même, on trouve également dans les annales le retrait des troupes américaines d’Afghanistan qui mit fin à la guerre la plus longue de l’Histoire des Etats-Unis, et qui a également laissé la voie libre aux Talibans pour reprendre le contrôle de l’Afghanistan.

Evidemment, Biden a fait ce que ses prédécesseurs avaient seulement promis et cela aurait pu être un point positif de son mandat, mais la vitesse du départ et le manque de planification ont rebattu les cartes et ont fait tiquer les Américains mais pas seulement. Cela a aussi affecté les relations sur le plan géopolitique. Si les relations se sont réchauffées avec l’Union européenne, qui s’étaient détériorées sous le mandat de Donald Trump, les relations se sont tendues avec la Chine. Le déficit commercial avec le géant oriental s’est creusé, les tensions dans le Pacifique se sont accumulées au point d’envisager un boycott de la participation de l’équipe américaine aux prochains JO d’hiver qui se dérouleront à Beijing. Nous devons également signaler que sur la politique migratoire, les Etats-Unis n’ont pas changé, bien au contraire : paradoxalement, la Présidence Trump paraît aujourd’hui moins sévère que celle initiée par Biden. De même, la campagne de vaccination avance lentement, en raison d’un scepticisme généralisé et mal contré par le gouvernement. Le retour de la première puissance mondiale dans les Accords de Paris sur le climat, bonne nouvelle de 2021, suffira-t-il à lui seul à empêcher les Etats-Unis de trouver du charbon sous le sapin cette année ?

Une situation aussi incertaine se présente en Europe. C’est le cas de la France, pays qui peut se vanter d’être le promoteur de la Conférence sur l’avenir de l’Europe mais qui, sur d’autres plans, se trouve être incompétent. Prenons pour seul exemple ce qui se passe à Calais, sur la Manche, où des milliers de migrants, campant dans l’espoir de pouvoir bientôt retrouver des membres de leur famille au Royaume-Uni ou même en France, se plaignent de traitements inhumains. Le travail de la police, en plus de la mauvaise gestion du gouvernement et de sa difficulté à traiter avec le Royaume-Uni, pousse les migrants à l’épuisement et, par conséquent, à compter sur des traversées dans lesquelles ils risquent leur vie.

C’est aussi le cas de l’Italie, pays qui, s’il a excellé cette année dans les compétitions internationales de sport, de musique, voire de cuisine, et qui se retrouve avec un premier ministre qui, selon le journal américain Politico, est le plus puissant d’Europe, est trop isolé pour rejoindre la liste des “enfants sages”. Bien sûr, il a été largement reconnu par une très bonne gestion de la pandémie et de la vaccination, par une réduction des différends politiques entre les partis gouvernementaux, ou par la promotion d’importants accords internationaux, tel que le traité du Quirinal avec la France. Mais quid des libertés et droits fondamentaux ? Il y a eu et il y aura encore des avis contradictoires sur le texte de la fameuse loi Zan, qui prévoyait des moyens concrets afin de lutter contre les discriminations fondées sur le sexe, le genre et l’orientation sexuelle, mais une chose est sûre : il s’agissait d’une initiative de bon sens pour concrétiser le vivre ensemble, nécessaire à une société. La scène, reprise aux quatre coins du monde, montrant un grand nombre de parlementaires acclamant le rejet de la loi comme des supporters criant de joie lors d’un but de leur équipe de football favoris, est l’un des faits les plus marquants de l’année 2021 dans le Bel Paese. Et dire qu’un bis repetita a failli voir le jour quand, au sein d’une commission parlementaire, une tentative d’invalider le recueil de signatures pour un référendum sur la légalisation du cannabis a eu lieu. Ces "bavures" ne peuvent être ignorées ni par le Père Noël, ni par la société civile.

En parlant d’Europe, qu’en est-il de notre chère Union ? Même dans une année de crise comme celle-ci, Bruxelles a su briller, avec le lancement de la Conférence sur l’avenir de l’Europe et avec une voix forte et concrète dans la lutte contre la crise climatique. En revanche, elle a fait preuve d’indécision et de faiblesse à plusieurs reprises. Il est impossible de ne pas souligner les hauts et les bas qu’a connu le plan de vaccination, qui a commencé avec la peur de ne pas pouvoir vacciner l’ensemble des vingt-sept États membres, mais également, la stratégie de sanction inefficace contre les pays violant l’État de droit - qu’il s’agisse des fonds de Next Generation EU qui ne leur seront pas distribués, ou de la question des murs visant à endiguer l’entrée des migrants. Bref, même cette fois, il n’est pas été possible de la louer dans son intégralité. Les limites de l’Union sont claires, et c’est principalement à cause de celles-ci qu’elle s’est retrouvée à mener, ou non, une série d’actions pour lesquelles elle est obligée de figurer aujourd’hui sur cette liste hybride.

A Noël, vous pouvez…

« A Natale puoi… » (A Noël, vous pouvez…), ainsi commence une publicité agaçante qui occupe le temps de télévision en Italie à l’approche des vacances de Noël. A Noël qu’est-ce que tu peux faire ? Prendre certes note de l’année terminée, 2021, celle qui n’était pas le début de la pandémie, mais l’année des grands espoirs et du motto « tout ira bien ». Mais ce fut une année compliquée, oscillant entre victoires et défaites, notamment sur des sujets importants, comme la paix, l’écologie et, en général, le respect fondamental des droits de l’Homme, des minorités et des migrants.

À Noël, peut-être, nous pouvons décider que 2022 sera une année pleine d’événements positifs. Positifs dans le sens où entre une Conférence sur l’avenir de l’Europe en cours et les projets menés par Next Generation EU - qui devront concrètement faire les premiers pas - il y a des chances pour que 2022 jette des bases solides pour que 2023 soit encore meilleure, et que commence un cercle vertueux où l’année précédente enrichit l’année d’après.

Pour aspirer à l’avenir, il faut porter un regard critique sur le passé, se demander ce qui a fonctionné et ce qui a échoué. En Europe, le constat est facile à faire. L’État-nation a sûrement prévalu sur les anciens systèmes - comme le régime féodal - mais il ne pourra pas résister aux défis de l’avenir. Les discours d’acteurs politiques comme ceux de Le Pen ou de Meloni, pour citer deux femmes, remparts des « valeurs sacrées de la patrie », peuvent fonctionner dans un monde post- mondialisation et post-économie digitale. Mais le 21e siècle n’est pas ce moment historico-culturel. Ce n’est pas une ère de frontières, car on ne peut pas penser et raisonner avec des frontières et des limes à une époque où l’espace est la nouvelle frontière à conquérir et où les nouvelles technologies permettent des connexions instantanées partout dans le monde. Pour aspirer à l’avenir, il faut penser ambitieusement (certains diront utopiquement) au présent, porter son attention sur ce qui se passe en Afrique, sur le chaos que connaît le Moyen-Orient, sur les désaccords entre grandes puissances, sur la survie et l’évolution de l’humanité. Cela doit être rendu solide et cohérent.

Ainsi, à l’avenir, la planète Terre se trouvera dans son entièreté sur la liste des « enfants sages ».

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