La politique européenne des réfugiés depuis 2015 : un conte d’immoralité

« Grand Format Européen » sur les crises migratoires en Europe

, par Annika Pietrus, traduit par Jérôme Flury

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La politique européenne des réfugiés depuis 2015 : un conte d'immoralité
Des gilets de sauvetage sur une plage en Grèce. Source : Licence Pixabay

En septembre 2015, les images d’un petit corps sans vie, secoué par les vagues sur une plage de Turquie, sont devenues virales. Le corps a rapidement été identifié comme étant celui d’Alan Kurdi, un garçon de trois ans qui avait fui la guerre civile en Syrie avec sa famille et qui a coulé en mer Méditerranée au cours de son périple vers la Grèce. Ces images ont entraîné une vague d’empathie envers la situation difficile de dizaines de milliers de réfugiés qui tentaient de traverser la mer, fuyant la guerre, la persécution, la faim et la mort pour rallier ce qu’ils considéraient comme un refuge sûr : l’Europe.

Près de cinq ans après la mort du petit Alan Kurdi, et après que des milliers d’autres ont franchi la mer, l’empathie en Europe a été captée par des noms tels que Moria. Moria est un camp de réfugiés situé sur l’île grecque de Lesbos, qui, bien qu’étant précédemment une destination touristique réputée pour son charme et son histoire, est devenue l’illustration de la souffrance des réfugiés aux frontières de l’Europe.

L’Europe fait la sourde oreille

Ancienne base militaire, le camp de Moria a une capacité de 3 000 personnes. C’est aujourd’hui le lieu de vie de près de 13 000 âmes, dont plus de 1 000 sont des enfants isolés. Des tentes étroites, pas d’électricité, peu de soins médicaux, de longues files d’attente pour la nourriture font de Moria un terrain grouillant d’espoirs déchus, propice aux agressions. Deux jeunes hommes provenant du Yémen et d’Afghanistan ont péri, sans nom et sans visage, dans le camp cette année. Les circonstances évoquent la « Jungle de Calais », un camp de réfugiés non officiel en France, qui était géré par des volontaires et a été fermé par le gouvernement français en 2016. A en juger par les camps de réfugiés qui se situent à ses frontières, l’Europe, que ce soit volontairement ou non, a adopté une politique de dissuasion. Les réfugiés qui tentent de pénétrer le territoire européen sont reçus dans des conditions déplorables et par un long et formel processus d’intégration vers et avec les Etats européens, en espérant manifestement que ces réfugiés pourraient abandonner et retourner en Turquie ou dans leurs pays d’origine.

Dissuasion ou non, les oreilles de l’Europe sont plus proches des appels à l’aide du gouvernement grec, et un changement dans cette attitude n’est pas à espérer prochainement. Il ne faut pas rejeter la faute uniquement sur les pays notoirement connus pour leur hostilité dans les discussions européennes autour des réfugiés, comme la Hongrie, la Slovaquie ou la Pologne. Bien que le Premier ministre hongrois Victor Orban soit réputé pour son opposition à l’accueil de réfugiés, des pays comme la France et l’Allemagne ont commencé à douter de leurs propres positions sur le sujet.

Une discussion nécessaire

L’Allemagne, un des principaux pays d’accueil pour les réfugiés en Europe, tout comme la France, a fait preuve d’une culture de l’accueil et de l’intégration durant le la période la plus intense de l’afflux des réfugiés en 2015. Mais, alors que les demandes d’asile augmentaient, il en a été de même avec le populisme d’extrême droite. La limitation des admissions, dont le regroupement familial, tout comme les expulsions sont juste quelques-uns des sujets évoqués dans ce qui semble être une discussion sans fin bourrée de sous-entendus d’extrême-droite.

Certes, des pays comme l’Allemagne sont encore favorables à l’accueil d’un nombre modeste de réfugiés arrivant en Italie par bateau, après la décision du précédent ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, de fermer les ports italiens aux bateaux de secours des réfugiés. Mais cette décision de l’Allemagne ne vient pas justifier la politique générale menée par l’Europe sur la question migratoire et le manque de solidarité entre les Etats membres. Pour plusieurs d’entre eux, le mot « solidarité » perd soudainement tout son sens à partir du moment où la question des réfugiés apparaît à l’horizon. La preuve de ce comportement est fournie par l’échec du système de quotas qui aurait nécessité qu’une majorité des Etats membres partage l’afflux de réfugiés. Hongrie, Slovaquie et République Tchèque s’y opposent, tandis que plusieurs autres Etats membres s’interrogent à propos de ce système.

Au lieu d’agir uni, les Etats membres européens se renvoient la balle et racontent leur propre version des faits. Une version des faits qui oppose nous, les Européens, face à eux, les réfugiés. C’est un récit de division, de peur des différences, d’une fausse victimisation et de fierté nationale. Les conséquences sont visibles dans les résultats électoraux des partis européens d’extrême-droite.

Indéniablement, les voix de l’extrême-droite ne peuvent plus être ignorées et les débats sur les politiques européennes, dont la politique des réfugiés, ne peuvent plus être reportés. Cependant, ces discussions ne doivent pas juste avoir lieu pour apaiser la droite européenne. L’Union européenne doit assumer ces débats pour décider de l’image qu’elle veut montrer au monde, et surtout pour que les réfugiés attendant dans les camps comme à Moria puissent débuter une nouvelle vie.

Les valeurs fondamentales européennes sont basées sur le respect de la dignité humaine et sur les droits de l’Homme. La question est donc de savoir si l’Europe peut s’unir et étendre ces valeurs à tous les êtres humains, y compris ceux qui fuient des situations si défavorables qu’ils sont contraints de quitter leur maison pour finir sur un bateau au cœur de la mer Méditerranée. La pandémie de Covid-19 a remis les camps sur le devant de l’actualité : l’hygiène minimale y régnant est favorable à une propagation particulièrement dangereuse du virus. Mais cela nous ramène au même problème : un manque d’action et l’impossibilité de parvenir à une solution à l’échelle de l’Union. L’Europe n’est pas parvenue à agir avec moralité. Les pires conséquences sont encore peut-être à venir.

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