La Présidence allemande du Conseil, un moment décisif ?

Interview diffusée dans l’émission « Place de l’Europe », animée par les Jeunes Européens - Strasbourg

, par Gwenn Taburet, Rémi Jabet, Théo Boucart

La Présidence allemande du Conseil, un moment décisif ?
Sabine Thillaye, présidente de la Commission des Affaires européennes à l’Assemblée Nationale. Crédit : Sabine Thillaye / Assemblée Nationale

ENTRETIEN. Quel bilan pour la présidence allemande du Conseil de l’UE ? Les six mois de présidence tournante assurés par Berlin ont été marqués par de nombreux évènements au niveau européen, tels que la mise en place du Pacte vert, la gestion de la crise du coronavirus, ou encore le vote du budget européen et du plan de relance Next Generation EU. Sabine Thillaye, présidente de la commission des Affaires européennes à l’Assemblée nationale, a répondu aux questions de Théo Boucart dans l’émission Place de l’Europe, présentée par Les Jeunes Européens – Strasbourg.

Théo Boucart : Une première question volontairement assez large, Madame la Députée. Quel est le bilan de la présidence allemande du Conseil, eu égard à l’actualité européenne très chargée de ces derniers mois ?

Sabine Thillaye : Je dirais qu’il est encore un petit peu tôt pour faire un bilan final, parce qu’il reste encore un petit peu de temps à la présidence, mais il y a peut-être déjà plusieurs choses que nous pouvons retenir. Tout d’abord, nous pouvons souligner que la présidence allemande a été largement perturbée par la pandémie, tout comme nous tous l’avons été. Ce qui est un peu regrettable pour les Parlementaires comme nous, c’est que toutes les réunions interparlementaires entre les commissions des Affaires européennes des Etats membres, où nous avions beaucoup d’échanges, sont très perturbées et nous nous rencontrons par visio-conférence, ce qui est beaucoup moins évident pour évoquer certains sujets.

Pour revenir vraiment à votre question, je porte plutôt un regard assez positif sur cette présidence, parce que l’Allemagne a mis plusieurs points à l’ordre du jour de la présidence du Conseil. Le premier concernait la coordination pour faire face à la pandémie. L’Allemagne a organisé plusieurs réunions avec les ministres de la santé, mais c’est vrai qu’il a été difficile de se coordonner, même à l’intérieur de l’Allemagne, la santé étant une compétence des seize Bundesländer, et non une compétence fédérale. C’est un peu la même chose au niveau de l’Union européenne, la santé est une compétence des États membres et non de l’Union. C’est une première difficulté, mais cela nous a fait prendre conscience que l’Union de la santé devait absolument rester à l’ordre du jour après la présidence allemande, et qu’il fallait confier à l’UE des compétences en termes de santé.

Par ailleurs, le gros sujet de la présidence allemande a été le Cadre Financier Pluriannuel (CFP) et le plan de relance. Je crois que sur ces points-là, il y a eu beaucoup d’avancées. Toutefois, le temps presse, parce que nos économies ont besoin de soutien, tous les porteurs de projets européens ont besoin de visibilité. Le plan de relance a fait l’objet d’un trilogue le 10 novembre, mais malheureusement vous avez bien suivi dans la presse que cela bloque actuellement sur la conditionnalité des fonds avec le respect de l’État de droit. La Hongrie et la Pologne s’opposent actuellement assez fortement, et chose étonnante, elles sont soutenues par la Slovénie, un autre État membre. La majorité des États membres sont toutefois d’accord qu’il faut être intransigeant sur les valeurs fondamentales sur lesquelles l’UE se construit.

TB : Vous parliez au début d’une coopération interparlementaire. Quel est le rôle du tandem franco-allemand dans la préparation de la présidence allemande, ainsi que dans sa mise en place effective ?

ST : Il n’y a pas de rôle particulier du tandem franco-allemand quant à la préparation de cette présidence. Cette préparation commence deux ans en amont. L’Allemagne a toutefois beaucoup plus travaillé, comme le font d’ailleurs tous les États membres, en coordination avec les pays de la troïka, dans ce cas le Portugal et la Slovénie, qui assurent les présidences après l’Allemagne, et avant la France.

On a bien vu qu’il y a une dynamique franco-allemande qui est très importante et qui s’est mise en place particulièrement pour les négociations autour d’un emprunt commun qui doit soutenir le plan de relance. Il s’agit d’un accord franco-allemand du mois de mai, lorsque l’Allemagne a montré son accord, ce qui représente un saut qualitatif consenti par le pays, chose nécessaire pour soutenir nos économies, mais qui n’était pas dans sa perspective avant.

TB : Justement, l’une des principales réalisations de la présidence allemande est le plan de relance Next Generation EU, adopté lors du Conseil européen de juillet dernier. Comment cet accord est-il perçu dans l’opinion publique allemande ?

ST : Je peux peut-être d’abord parler de mes collègues allemands du Bundestag, je crois qu’il y a un accord transpartisan autour de cet accord, ce qui est assez étonnant. D’après ce que j’ai vu dans les discussions, tout le monde était quand même conscients qu’il fallait faire ce pas en avant.

Même quand je regarde les journaux allemands et certains sondages, on constate la même situation. En octobre, 48% des Allemands pensait que l’UE devrait avoir plus de moyens financiers pour faire face aux conséquences de la pandémie. Ce n’est pas tout à fait la moitié, mais presque, et c’est quand même important. On voit ici un changement de paradigme qui s’opère en Allemagne, surtout quand on pense à la crise de 2008, lorsque nous avions l’opposition pays vertueux / non-vertueux. Je pense que quelque chose de plus important est en train de se jouer, et je crois que l’opinion publique allemande soutient cette démarche.

TB : Dernière question un peu plus personnelle, puisque vous êtes présidente de la commission des Affaires européennes à l’Assemblée nationale. Quelle est le rôle de cette commission dans la préparation de la présidence française du Conseil, prévue au premier semestre 2022 ? Est-ce que vous avez également des contacts avec la commission des Affaires européennes du Bundestag ?

ST : Oui, nous essayons de travailler de plus en plus étroitement ensemble, entre nos deux commissions. Vous savez également que je suis l’une des initiatrices de la mise en place de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, composée de cent parlementaires, cinquante Français et cinquante Allemands, et qui reflète la composition de leur Parlement, c’est-à-dire les groupes politiques et les commissions. L’Assemblée parlementaire doit développer des méthodes pour que nous travaillions plus étroitement ensemble.

Dans ce cadre-là, les commissions des Affaires européennes sont particulièrement représentées et renforcent leur partenariat. Lorsque nous n’avons pas de réunions à huis-clos, nos amis allemands peuvent assister à nos réunions de commissions, et nous pouvons également venir à leurs réunions à Berlin. Malheureusement la pandémie ne nous a pas encore permis de vraiment mettre ça en œuvre, mais le 22 juillet dernier, un collègue allemand a assisté à la présentation d’un rapport sur la politique européenne de voisinage, afin de se rendre compte de nos avis. Je crois que c’est très important de mieux se connaître au niveau européen.

Nos deux commissions ont également réactiver le triangle de Weimar au niveau parlementaire, endormi depuis 2012. Nous avons fait plusieurs réunions avec nos collègues polonais, ce sont des discussions assez franches qui permettent de faire passer des messages.

Nous avons enfin initié assez récemment, début 2019, le triangle de Montecitorio avec nos amis italiens. L’Italie est un grand État fondateur de l’Union européenne et surtout un pays majeur démographiquement et économiquement, surtout après le Brexit. C’est d’autant plus important que ces dernières années ont été marquées par des divergences, que ce soit entre Italiens et Allemands ou avec les Français. Nous avons besoin de renforcer le dialogue, ce que nous essayons de faire par la voie interparlementaire. Actuellement, nous regrettons évidemment de ne pas pouvoir aller à Berlin.

Retrouvez cette interview dans l’émission « Place de l’Europe » diffusée le 14 décembre sur les ondes de RCF-Alsace. Chaque mois, le pôle médias des Jeunes Européens – Strasbourg intervient dans cette émission pour parler d’un grand enjeu de l’intégration européenne.

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