La question humanitaire au coeur des hésitations des pays européens à renouer avec le régime de Bachar Al-Assad

, par Alexis Cudey

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 La question humanitaire au coeur des hésitations des pays européens à renouer avec le régime de Bachar Al-Assad
Le système de portection européen des civils a directement été mis en place en ce qui concerne la Turquie, mais les discussions sont encore en vigueur en ce qui concerne l’envoi de matériel et de personnel en Syrie. crédit : Commission européenne

Début février, la Turquie et la Syrie ont été frappées par un tremblement de terre faisant plus de 50.000 morts, dont environ 6000 en Syrie. Après le séisme, le régime syrien a cherché à transformer la catastrophe du 6 février en opportunité politique pour demander l’abandon des sanctions visant le pays et faciliter la gestion de cette crise humanitaire. De son côté, l’Union européenne a assoupli ses sanctions contre le régime de Bachar Al-Assad afin d’accélérer le déploiement de l’aide. Mais les sanctions rendent délicat l’envoi d’aide humanitaire à un pays dont le régime cherche à se réhabiliter auprès de la communauté internationale.

Un assouplissement des sanctions rendu nécessaire par la situation humanitaire

A la suite du séisme dévastateur qui a touché la Turquie et la Syrie, le 6 février dernier, l’Union européenne a assoupli ses sanctions contre le régime de Damas, dans la foulée des États-Unis. Un sujet sur lequel les nations occidentales n’avaient jusqu’alors jamais transigé, même durant la pandémie de Covid-19, où les sanctions américaines nuisaient à l’importation de matériel médical. Dans un communiqué du jeudi 23 février 2023, le Conseil européen annonce l’assouplissement des restrictions prises « en réponse à la répression violente exercée contre la population par le régime syrien » lors du soulèvement de 2011. Ce soulèvement s’est depuis mué en une guerre civile sanglante qui a provoqué la mort de plus de 306.000 civils selon un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, publié en juin 2022. En mai dernier, le Conseil a prorogé d’une année supplémentaire les sanctions contre le régime de Damas. Les sanctions de l’Union européenne et des Etats-Unis ont paralysé l’économie du pays et exclu Bachar Al-Assad de la communauté internationale. Depuis une décennie, la Syrie est isolée et paraît ne compter comme alliés indéfectibles que l’Iran et la Russie. La guerre civile a fait basculer près de 90% de la population syrienne dans la pauvreté et provoqué des millions de départs pour l’étranger. En octobre dernier, l’UNICEF estimait que plus de 13 millions de personnes étaient dans la nécessité urgente d’une assistance humanitaire, dont plus de 8,5 millions d’enfants. En visite dans un quartier dévasté d’Alep, le président syrien avait fulminé contre l’Ouest qu’il accusait de “prioriser la politique plutôt que la situation humanitaire". En bref, la communauté internationale a critiqué la lenteur de la réponse du régime syrien, qui en retour a fustigé le poids écrasant des sanctions occidentales. Assez classiquement finalement, le régime syrien et la communauté se renvoient la responsabilité du sort tragique que connaît le peuple syrien depuis douze ans.

Un premier pas européen vers une normalisation des relations avec Damas ?

Au sein même du concert européen, diverses mélodies se sont fait entendre. « Les Vingt-Sept sont sur la même ligne que les Etats-Unis. Par ailleurs, des concessions ont été faites aux Etats membres les plus désireux d’aller vers une normalisation avec Damas comme l’Italie, l’Autriche, la Grèce », explique une source occidentale en charge du dossier syrien. En dépit des sanctions imposées, les Européens restent les principaux donateurs de l’aide humanitaire pour la crise syrienne. Depuis douze ans, l’aide humanitaire de l’Union européenne a dépassé les 27,4 milliards d’euros. En plus d’apports financiers, l’UE co-organise chaque année depuis 2017, avec les Nations unies, une conférence à Bruxelles nommée “Supporting the future of Syria and the region”. Plus récemment enfin, et par l’intermédiaire du mécanisme européen de protection civile (MEPC), 10 pays européens (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Chypre, Finlande, Grèce, Italie, Norvège, Roumanie et Slovénie) ont envoyé en Syrie des fournitures d’urgence pour faire face aux conséquences directes des tremblements de terres.

Rompre l’isolement diplomatique, enjeu pour le régime de Bachar Al-Assad

Cynisme de la situation, le régime de Damas voit dans cet épisode une fenêtre d’opportunité unique pour rompre son isolement diplomatique. La réhabilitation de la Syrie s’est d’abord faite au niveau régional. Le régime du président syrien est en effet marginalisé par plusieurs pays arabes depuis que son pays a été exclu de la Ligue arabe en novembre 2011. Damas avait alors perdu son siège en raison de la répression brutale des mouvements de contestation, initialement pacifiques, de 2011.

Mais certains pays, conscients de l’importance stratégique de la Syrie pour l’équilibre régional, avaient alimenté, déjà, quelques espérances de normalisation, en témoigne l’appel, il y a deux ans, du roi Abdallah de Jordanie au chef de l’État syrien.

Sur la scène régionale, une normalisation de la figure de Bachar Al-Assad est donc en cours auprès de l’arène arabe, inaugurée par l’appel, quelques heures après le drame, du président égyptien pour présenter ses condoléances au président syrien. Ce premier échange entre les deux hommes depuis 2014, année de la prise du pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi, s’est couplé à une poignée de main avec Sameh Choukri, le ministre égyptien des Affaires étrangères, lors d’une rencontre inédite à Damas le 27 février dernier. À cela s’ajoutent, les rencontres successives avec les chefs de la diplomatie arménienne, jordanienne puis émiratie, véritables séismes diplomatiques dans la région après une décennie d’opprobre. Mais également une rencontre très remarquée à Oman le 20 février, avec un chef d’État cette fois-ci, le sultan Haïtham ben Tariq Al Saïd, connu pour son rôle de médiateur régional. Ce rapprochement s’inscrit dans un processus débuté il y a quelques années par la régime de Damas, mais cette fois légitimé par le tremblement de terre de février dernier.

On le voit donc, l’acheminement de l’aide humanitaire de la part de voisins arabes, naguère hostiles, se fait en cascade. En ce sens, les Emirats arabes unis, premier pays du Golfe à avoir rétabli ses relations avec le régime pour ramener la Syrie dans le giron arabe face à l’Iran, ont déjà promis une aide d’au moins 50 millions de dollars et envoyé des avions destinés à l’aide humanitaire. Le Liban également, qui affirme maintenir une politique de distanciation vis-à-vis du conflit syrien, a également envoyé une délégation à Damas, pour la première visite officielle de haut niveau depuis le début de la guerre civile. L’Arabie saoudite aussi, qui a rompu ses relations avec Damas en 2012, a également promis une aide. Enfin, le Qatar, accusé de financer l’opposition armée au régime syrien et qui n’a pas encore normalisé ses relations, a aussi rapidement promis d’apporter une aide. Ainsi, cette aide humanitaire pourrait ouvrir la voie à terme à un engagement diplomatique plus durable avec les pays de son environnement proche, ce qui serait perçu comme un succès diplomatique éclatant pour l’inamovible raïs damascène.

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