La rentrée littéraire, un événement culturel au service du secteur du livre
La rentrée littéraire est une tradition en France depuis le XXe siècle, bien qu’il soit difficile de la dater exactement. Elle s’installe avec le prix Goncourt, au XIXe siècle, mais l’expression rentrée littéraire et la tradition qui va de pair s’imposent au cours du dernier siècle, pendant l’entre-deux guerres. Cette rentrée littéraire dure car elle sait s’adapter au public français. La mise en place progressive d’une deuxième rentrée littéraire en janvier, moins importante en nombre de sorties et moins relayée médiatiquement, permet au marché de la littérature d’être animé de janvier à mars, en attendant le salon du Livre de Paris qui se tient en avril.
Elle permet aux auteurs et à leurs nouveaux romans de concourir aux nombreux prix français : le Goncourt, le Femina, le Renaudot… Les prix littéraires récompensent les livres parus pendant l’année, mais l’attention médiatique est telle durant la rentrée littéraire que les jurys se concentrent la plupart du temps sur les nouveautés parues entre août et novembre. Le système des prix littéraires a également évolué pour devenir plus transparent. Le lobbying auparavant jugé excessif n’a pas disparu mais des prix prestigieux ont également été remportés par des petites maisons d’édition indépendantes. Les prix littéraires durent dans le temps car ils se sont adaptés aux attentes des lecteurs : la création du prix Goncourt des lycéens en 1988 vise un lectorat jeune et étudiant, et relance ainsi l’intérêt d’une génération entière pour les prix littéraires.
Un événement à des fins commerciales
Le premier avantage de la rentrée littéraire est de garantir une grande visibilité médiatique aux romanciers français d’août à novembre. Elle fournit des repères aux lecteurs via les prix littéraires, avant la lucrative période des achats de cadeaux de fin d’année. Elle permet également à la littérature de rester attractive face au rayonnement montant d’internet, de la musique, du cinéma et des jeux vidéo.
Les libraires réalisent pendant cette période près d’un tiers de leurs ventes. On observe en effet une augmentation importante de la production de livres entre août et octobre chaque année. Cette production baisse en novembre et en décembre et remonte moindrement à partir de janvier, à l’occasion de la deuxième rentrée littéraire
Pour que les prix littéraires connaissent un rayonnement optimal, les organisateurs des prix travaillent avec d’autres acteurs du secteur du livre : libraires, journalistes littéraires et bibliothécaires qui orientent les lecteurs vers les ouvrages qui leur plaisent le plus. Les lauréats des prix bénéficient également d’une grande visibilité lors des principaux salons et festivals littéraires. La rentrée littéraire donne aussi une place à la littérature dans les médias : on n’entend jamais autant parler de livres que pendant les quatre derniers mois de l’année.
La tradition de rentrée littéraire permet au secteur de l’édition de tirer un maximum de profits. Le Goncourt est le plus populaire et le plus convoité car le lauréat du prix se vend en moyenne à 400 000 exemplaires chaque année. La rentrée a donc pour objectif pour les éditeurs de stimuler les ventes de livres, ainsi que d’obtenir de bonnes critiques et idéalement d’obtenir un prix avant les fêtes de fin d’année.
La course à la rentabilité, pendant laquelle les éditeurs cherchent à générer le plus de profits possibles, est jugée « inquiétante » par Aline Sirba, chroniqueuse littéraire spécialisée dans la littérature contemporaine : depuis les années 2000 et 2010, un nombre grandissant de livres est produit chaque année, dont on ne retient que les meilleurs, et les invendus vont au pilon. Cette course mène les spécialistes du livre à faire des choix et donc à passer à côté d’autres œuvres littéraires.
Une spécificité française
La rentrée culturelle française correspond à la reprise de la vie culturelle après la pause estivale. On parle du phénomène de la rentrée littéraire au même titre que la rentrée de l’opéra ou du théâtre, qui ont toutes lieu à partir de septembre. Elle est à la littérature ce que le Festival de Cannes est au cinéma, par sa symbolique et ses conséquences économiques similaires dans l’hexagone.
Cette tradition française intéresse le public européen. La rentrée littéraire donne à la littérature française de la visibilité car les éditeurs des pays intéressés par la littérature étrangère suivent les sorties de la rentrée littéraire pour choisir les livres dont ils achèteront les droits pour les traduire et les commercialiser dans leur pays. L’Allemagne est un pays demandeur de littérature française, et la rentrée littéraire est idéalement située dans le temps : un mois avant la foire du livre de Francfort (Frankfurter Buchmesse), la plus grande foire du monde dans le domaine de l’édition, qui se tient pendant quelques jours à la mi-octobre.
L’Allemagne met en place une variante à la rentrée littéraire, les maisons d’édition regroupent les sorties de romans les plus prometteurs autour de leurs grands salons littéraires, plutôt qu’à la rentrée, et c’est un système qui fonctionne aussi bien médiatiquement que commercialement.
La Belgique et la Suisse reproduisent un système similaire à la rentrée littéraire, leur proximité avec la France et leur usage de la langue française leur permet de profiter de la rentrée littéraire française, sans que celle-ci ne prenne autant d’ampleur qu’en France.
Malgré l’existence de prix littéraires prestigieux à l’étranger, on en compte moins qu’en France et ils sont moins médiatisés. Le prix Goncourt est le plus prestigieux car il est le plus ancien dans le monde, il précède le Booker Prize anglais et le Buchpreis allemand qui en sont des imitations.
Aline Sirba explique que si la rentrée littéraire n’est pas copiée autre part en Europe, c’est parce qu’elle nécessite un alignement des éditeurs, ces éditeurs devant eux-mêmes avoir assez d’auteurs à présenter et donc disposer des fonds nécessaires pour publier ces auteurs. Ensuite, pour que cette rentrée devienne une tradition, elle doit avoir lieu pendant plusieurs années et être accompagnée d’une exposition médiatique. Chose plus simple en France qu’ailleurs, car les éditeurs y sont regroupés sous des grands groupes : la collaboration entre maisons d’édition est plus simple.
Aline Sirba souligne également qu’en Espagne, mais c’est aussi le cas dans la majorité des pays européens, il n’y a pas autant de librairies qu’en France, donc pas autant d’espaces de ventes de livres indispensables à la tenue de la rentrée littéraire.
Ainsi, malgré son succès qui dure, le système français de rentrée littéraire n’est pas imité par les autres pays, et ne le sera probablement pas dans le futur proche.
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