Le groupe de Visegrád conteste en effet la pertinence du mécanisme de relocalisation des demandeurs d’asile. Bien qu’affirmé par le juge européen, le principe de solidarité entre les Etats membres peine à s’imposer en ce qui concerne la question migratoire, et semble bien dérisoire face à l’absence de condamnation des propos tenus par la Pologne qui évoquait la nécessité de préserver des Etats « ethniquement homogènes ». Si la Cour a légitimé le mécanisme de répartition, rien n’indique que l’ensemble des Etats européens accepteront de le pérenniser comme proposé par la réforme du régime d’asile européen.
Cette décision du juge de Luxembourg masque difficilement le fait que la politique commune sur l’immigration est, au mieux, inachevée, au pire un moyen de démantèlement de la Convention de Genève de 1951. L’absence de solidarité européenne dans la gestion de la crise migratoire a des implications terribles, mais elle pourrait également être à l’origine de l’émergence d’une opinion publique européenne...
Un système en défaveur totale d’une solidarité européenne
La politique européenne d’asile repose sur un système à la fois insuffisant et inefficace : le règlement Dublin III. Au-delà de la question du respect des droits fondamentaux dans le cadre de la procédure de transfert qui implique une rétention des demandeurs d’asile - mais toutefois validée par le juge de l’Union dans une mesure ne dépassant pas « le temps nécessaire aux fins de cette procédure » (CJUE 2017 Khir Amayry contre Migrationsverket), quand bien même la rétention est interdite en vertu de l’article 5 de la Convention de Genève -, le concept de solidarité entre les nations européennes et les peuples est une question qui doit être posée. En effet, le système Dublin prévoit que l’Etat membre d’entrée dans l’UE est responsable de la prise en charge des migrants et des réfugiés, ainsi que de l’instruction de leur demande.
Cependant, dans les faits, seuls deux Etats membres de l’Union sont confrontés à l’examen administratif et à l’accueil temporaire des migrants : la Grèce et l’Italie. Ce déséquilibre majeur de répartition marque une violation du principe général de solidarité entre les nations européennes, et rend le traitement de l’accueil encore plus incertain du fait d’une surpopulation grandissante des hotspots.
Ces implications variables dans le « poids » que doivent administrer les Etats membres est flagrant, et il apparaît difficile d’insuffler à nouveau un élan de solidarité européenne à ce jour, tandis que les souverainetés nationales demeurent exacerbées dans la gestion de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice, et rendant toute politique européenne impossible.
Le renforcement des frontières et la restriction des règles en matière d’asile
La solidarité lacunaire en matière d’immigration et la crise migratoire ont tout de même permis d’impulser certaines réformes. Si celles-ci demeurent probablement insuffisantes en terme d’intégration, elles ont été surtout la réponse « défensive » à un afflux de réfugiés sur le territoire européen. Le renforcement des frontières européennes, supposé sauver l’intégrité de l’Espace Schengen, a été un combat majeur du Parlement européen l’an dernier, notamment avec la création de l’agence européenne des garde-frontières et garde-côtes (Frontex) en 2016, dont les compétences et les moyens ont été accrus.
Par ailleurs, le Conseil préconise désormais une externalisation des contrôles aux frontières extérieures et souhaite conclure des accords avec les pays voisins et pays de départs des réfugiés, notamment la Libye, en dépit des récentes révélations de tortures et d’emprisonnements des femmes, hommes et enfants, concernant les mesures de réadmissions, et malgré des condamnations de la Cour de Strasbourg pour violation du principe de non-refoulement et de non-expulsion collective.
L’arsenal juridique de l’Union en matière d’asile en cours de réforme - le Paquet Asile - apporte tout de même certains points positifs en étant par certains aspects favorables à la protection internationale et aux droits des réfugiés. Toutefois, ces avancées seront de toute évidence marginales : l’absence de quotas annuels de répartition ou la normalisation des procédures accélérées en sont des exemples.
L’objectif des Etats européens n’est plus l’accueil des réfugiés, dont le statut ne bénéficie désormais plus qu’aux syriens depuis la Déclaration de l’UE et de la Turquie du 18 mars 2016, mais de contrôler les flux migratoires en direction de l’Europe.
Des conséquences inattendues en faveur d’une cohésion sociétale européenne ?
Si cette crise migratoire se révèle être une catastrophe au regard des vies disparues en Mer Méditerranée, et du respect des droits fondamentaux, des conséquences inattendues, plus « bénéfiques » - bénéfique entendu comme en faveur d’une meilleure intégration européenne -, pourraient se révéler. La réforme attendue du nouveau Paquet Asile envisage la politique commune d’immigration de manière davantage intégrée qu’auparavant, renforçant ainsi primauté et uniformité du droit européen, comme par exemple la construction d’une liste commune de pays tiers sûrs.
Ce changement d’approche peut être considéré comme bénéfique à la construction de l’Union européenne, malgré tous les reproches qui peuvent être formulés à l’encontre de la politique d’asile actuelle : il s’agit ici de considérer les outils et non ce qui en est fait.
On semble ainsi entrevoir une prise de conscience collective des européens en ce qui concerne ces sujets, et notamment sur la nécessité d’une action commune en matière d’asile et d’immigration. Serait-ce l’émergence d’une opinion publique européenne, d’une cohésion sociétale au sein de l’Union ?
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