Les intérêts, principalement économiques, de l’Union européenne en Asie et au Moyen-Orient lui font parfois oublier une réalité de terrain qui peut parfois faire froid dans le dos. Dialoguer avec le Kremlin, c’est dialoguer avec une puissance militaire en plein essor que l’on a trop tendance à sous-estimer. Voici donc une liste (non-exhaustive) des différentes raisons qui devraient pousser les puissances européennes à éviter l’option d’un dialogue trop diplomatique, et surtout trop laxiste, avec Vladimir Poutine.
Parce que la Russie est en guerre contre l’Ukraine
La première raison qui vient à l’esprit est évidemment la situation géopolitique en Ukraine. Il est parfois tentant de répéter qu’il n’y a pas de guerre en Europe, et de nommer ce qu’il se passe là-bas, à l’Est de l’Europe de l’Est, un « conflit » (voire conflit armé pour les plus téméraires). La réalité n’est cependant pas aussi délicate et ne se préoccupe guère des questions de vocabulaire diplomatique : l’Ukraine est en guerre, contre son voisin, la Russie, et défend tant bien que mal sa frontière et son territoire. Si lors des premiers mois de cette guerre le Kremlin cherchait à se distancer en jurant que l’armée russe n’y était pas impliquée, la rhétorique a désormais changé et le rôle de l’armée russe n’est plus à prouver. Ainsi, comment peut-on réfléchir à entretenir un dialogue ouvert et compréhensif avec la Russie, lorsque cette dernière attaque un de nos alliés, sachant que ce « conflit armé » se situe aux portes de l’Union européenne et pourrait donc devenir une menace directe si l’armée ukrainienne ne tenait pas ses positions si fermement ? N’oublions pas que la Russie de Vladimir Poutine n’a pas hésité à revendiquer une supposée légitimité sur le territoire de la Crimée ukrainienne…
Parce que la guerre de l’information est une réalité
En parallèle à cette guerre qui n’en porte jamais le nom officiellement, se trouve une autre guerre qui elle, ne dit pas son nom clairement, bien qu’étant très officiellement inscrite dans la stratégie de défense de la Russie. [1]
Les récentes accusations concernant une influence russe sur les élections américaines, ou même sur le référendum du Brexit, ou les élections françaises et allemandes, ne sont qu’une partie infime d’un iceberg stratégique mis en place depuis quelques années déjà. Il est très rare que des journalistes parviennent à prouver les liens directs entre les « usines à trolls » et le Président russe. Il a toutefois été prouvé plusieurs fois que nombre de ses plus proches conseillers et contacts sont soit directement impliqués (rôle « exécutif », tel que M. Rykov, par exemple), soit indirectement (financements, notamment). [2] Ce comportement devrait servir d’avertissement pour l’Union européenne, qui au lieu d’augmenter substantiellement son budget pour contrer ce type d’attaques, se retrouve à débattre de la suppression du site « EUvsDisinfo ».
Parce que la « ligne rouge » a été franchie bien trop de fois
Le troisième argument est également d’ordre militaire (décidément…). En effet, la Russie soutient le régime de Bachar El-Assad en Syrie, avec l’aide de l’Iran et de la Turquie. Très récemment encore, la fameuse « ligne rouge » dessinée par Barack Obama alors qu’il était encore Président des Etats-Unis a été franchie, une fois de plus. Une attaque avec un gaz toxique semble avoir eu lieu, avec pour cible principale, des victimes civiles, enfants inclus. Si l’Union européenne veut espérer avoir un semblant de poids au niveau mondial en matière de diplomatie étrangère et de défense, il serait judicieux de n’avoir aucune marge de tolérance vis-à-vis de ce sujet. La présence de la Russie au Conseil de Sécurité des Nations Unies force les autres nations à dialoguer un minimum avec elle. Cependant, ce dialogue devrait être restreint au strict minimum, et des sanctions devraient probablement être prises, à la hauteur des évènements. Si un soupçon de tentative d’assassinat d’un ex-espion au Royaume-Uni déclenche une telle avalanche d’indignation, un cas avéré et un fort soupçon d’attaque chimique sur des populations civiles devraient avoir bien plus de conséquences, logiquement…
Au nom des droits de l’homme et de la liberté
Que dire, après ces trois premiers points ? Rappeler, peut-être, que Vladimir Poutine développe une politique ouvertement homophobe, et s’évertue à détruire toute opposition (Alexei Navalny n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres) ? Qu’il n’y a en Russie plus aucun espace laissé aux droits de l’homme, à la liberté de la presse, à la liberté d’expression, et aux autres valeurs que l’Union européenne est censée défendre et promouvoir ? Il est néanmoins délicat de fermer la porte à la Russie lorsqu’on l’ouvre à l’Arabie Saoudite, par exemple. D’où la nécessité accrue d’avoir une stratégie de défense commune, une armée commune, une voix unique et unie face à de tels adversaires. Le message des droits de l’homme ne passe plus sur la ligne Bruxelles-Moscou, de toute évidence…
Ces points nous amènent ainsi à la conclusion suivante : il est effectivement possible de parler à Vladimir Poutine, parfois même de parler avec lui, de discuter. Cependant, le Président russe joue la sourde oreille à chaque fois que le discours lui déplaît, et de ce fait, il est impossible d’établir un véritable dialogue avec la Russie. Il est donc impératif pour l’Union européenne de cesser ce dialogue inefficace et inutile, qui ne sert qu’à montrer à l’homme fort de Russie que les puissances européennes marchent à pas feutrés lorsqu’il fait une entrée digne d’un Tsar. Peut-être que le seul moyen d’obtenir le respect de Vladimir Poutine et donc de la Russie, sur la scène diplomatique, est de montrer que l’on peut nous aussi, être forts. Encore faut-il pour cela faire preuve d’unité, n’en déplaise à certains mouvements populistes…
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