La transposition en droit européen de l’imposition minimale des entreprises de l’OCDE

, par Rosalie Vuillemot

Toutes les versions de cet article : [English] [français]

La transposition en droit européen de l'imposition minimale des entreprises de l'OCDE
Crédits : Paolo Gentiloni Commissaire des Affaires économiques et monétaires de l’Union lors d’une PE sur la taxation des entreprise (multimedia.europarl)

L’imposition minimale des multinationales - décidée dans le cadre de l’OCDE à hauteur de 15% de leur chiffre d’affaires - est historique. Encore faut-il qu’elle soit mise en œuvre par les pays signataires. Au sein de l’Union européenne, cette mise en œuvre vient d’être retardée d’un an.

L’adoption d’une taxe historique : le minimum de 15% du chiffre d’affaires des sociétés

Le Cadre inclusif sur le BEPS OCDE/G20 est instauré à partir de 2015. Les États parties souhaitent dans ce cadre combattre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), ce qui fait référence aux stratégies de planification fiscale des entreprises pour exploiter les différences entre les règles fiscales nationales et internationales, et en vue de transférer artificiellement des bénéfices dans des territoires où elles n’exercent pas ou peu d’activité réelle, mais qui prévoit une faible imposition, ce qui aboutit à une charge fiscale faible voire nulle.

Après le retour des États-Unis dans les négociations sur le cadre inclusif BEPS, l’OCDE a adopté en juillet 2021 la Déclaration sur une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie. Ces deux piliers concernent la réforme des règles fiscales internationales, d’une part, et le paiement par les entreprises d’une juste part d’impôt partout où celles-ci exercent leurs activités, d’autre part. En octobre dernier, 137 juridictions membres de l’OCDE acceptent cet accord.

Le contenu des règles d’imposition dans le cadre du pilier 2

Le pilier 2 repose sur les règles GloBE, qui viennent fixer le montant de l’imposition minimale des entreprises multinationales dont le chiffre d’affaires dépasse les 750 millions à 15%. Un « impôt complémentaire » est imposé sur les bénéfices réalisés dans toute juridiction, dès lors que le taux effectif d’imposition y est inférieur au taux minimum de 15 %. Le nouveau dispositif pourrait rapporter, selon l’OCDE, jusqu’à 150 milliards de dollars.

Elle aura pour effet de remplacer les taxes nationales sur le numérique.

La taxe française sur les services du numérique de 2019 s’applique à deux types de services. Les interfaces numériques (ou services d’intermédiation) d’une part, qui permettent à un utilisateur localisé en France d’entrer en contact avec d’autres utilisateurs en vue de la livraison de biens ou de la fourniture de services. La vente de services publicitaires ciblés par une plateforme d’autre part, qui s’appuie sur les données récoltées lorsque des utilisateurs la visitent.

La France n’était pas seule à avoir adopté ce genre de taxe, puisque l’Autriche, l’Italie et le Royaume-Uni avaient également voté des « taxes Gafam nationales ». La nouvelle taxe de l’OCDE, après avoir été acceptée par les Parlements nationaux et dès lors qu’elle sera entrée en vigueur (ce qui est prévu pour 2023), remplacera ces taxes nationales.

La transposition retardée de ce dispositif en droit de l’Union européenne

Le 22 décembre 2021, la Commission européenne a proposé une directive transposant l’accord de l’OCDE. Reprenant les éléments de la législation modèle de l’OCDE, elle opère quelques ajustements, afin de respecter le droit de l’Union européenne, en particulier la liberté d’établissement.

Les ministres des finances des États membres, réunis en Conseil de l’UE ce 15 mars 2022, n’ont pas trouvé de consensus sur le texte.

La Pologne, la Suède, Malte et l’Estonie, sont particulièrement réticentes à cette imposition minimale, car elles ont basé leur modèle de développement économique sur l’attractivité fiscale de leur territoire. Un retard dans la transposition des règles de l’OCDE est donc à prévoir ; Bruno Le Maire évoquant dans une conférence de presse un délai s’étendant jusqu’en décembre 2023, là où l’entrée en vigueur du texte était initialement prévue pour décembre 2022.

À la suite d’un accord des ministres au Conseil de l’Union européenne, le Conseil, réunissant les chefs de gouvernement, le Parlement européen, et les Parlements nationaux devront aussi signer le texte ; ce qui s’avère déjà compliqué - le Parlement suédois s’étant déjà prononcé largement en désaccord.

Ce retard démontre les difficultés qu’ont les États membres à trouver des accords en termes de politique fiscale, d’ailleurs soumise à des procédures compliquées et longues en droit européen : règle de l’unanimité, peu de marge de manœuvre des institutions supranationales auxquelles on préfère la compétence des acteurs intergouvernementaux (le Conseil et le Conseil de l’UE).

L’augmentation des compétences de l’UE en matière de fiscalité directe en question

L’UE avait pour projet d’adopter une taxe « redevance numérique » avant 2023, mais la relance des négociations au sein de l’OCDE a signé la fin de la taxe UE.

Ces dernières années, l’UE a pris un nombre considérable de mesures pour lutter contre l’évasion fiscale. Cela peut être expliqué par le fait que l’UE souhaite être un acteur majeur en la matière sur la scène internationale. Mais également par le fait que l’opinion publique se soit emparée de ce sujet après divers scandales financiers (pour n’en citer qu’une, l’affaire des Panama Papers). L’UE se saisit donc, à travers différentes mesures ayant pour but de lutter contre l’évasion fiscale, de compétences concernant la fiscalité, qui en principe doivent rester de la compétence des États membres.

La directive de 2018 sur l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières prévoit un échange automatique d’informations pour certaines entreprises concernées.

La directive anti-évasion fiscale (anti tax avoidance directive ou ATAD 1) de 2016, transposée en France par la loi de finances pour 2019, définit des mesures anti-abus juridiquement contraignantes qui visent les principales formes d’évasion fiscale pratiquées par les grandes multinationales. Elle comporte notamment des règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées (SEC), des règles de limitation des intérêts, une clause anti-abus générale, l’encadrement de dispositifs hybrides, ainsi que des règles d’imposition à la sortie. Des règles de transparence pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale, mettant en œuvre le plan d’action BEPS de l’OCDE y sont également inscrites. La directive ATAD 2 vient rajouter quelques règles, notamment sur les déséquilibres hybrides avec les systèmes fiscaux des pays tiers (ATAD 1 ne créant des règles qu’entre États membres).

L’UE met aussi à jour la liste des juridictions fiscales non coopératives.

Par ailleurs, la Commission a adopté en 2021 une communication sur la fiscalité des entreprises pour le XXIe siècle, qui présente des projets sur un cadre pour la fiscalité des entreprises dans l’UE, un « bouquet fiscal de l’UE à horizon 2050 », ainsi qu’un programme fiscal pour les deux prochaines années.

L’UE se saisit donc, à travers des mesures sur l’évasion fiscale, de compétences concernant la fiscalité, qui en principe doivent rester de la compétence des États membres

Le nouveau paquet sur l’ajustement à l’objectif 55 contient également une taxe environnementale, le mécanisme d’ajustement aux frontières, adopté en mars 2022, et prévoyant la taxation des produits importés dans l’Union européenne si ceux-ci ne respectent pas les normes européennes. Il est intéressant de voir que l’UE pousse à la mise en place de taxes « comportementales », visant à sanctionner certains comportements ainsi que de renforcer certaines politiques (en l’occurrence, l’environnement). Ce faisant, l’effet extraterritorial du droit de l’Union (imposant des obligations environnementales aux entreprises implantées dans les États tiers souhaitant exporter des produits dans l’UE) et la volonté de la création d’un modèle européen de valeurs, pouvant s’exporter sur les autres continents, sont renforcés. C’est à ce titre, pour apparaître comme un acteur précurseur de la justice fiscale internationale, que l’UE souhaitait voir transposer l’imposition minimale rapidement dans son ordre juridique.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom