Le coronavirus est-il nationaliste ?

, par Basile Desvignes

Le coronavirus est-il nationaliste ?
Pour ses 25 ans, l’espace Schengen fait face à des fermetures massives de frontières intérieures pour cause de pandémie de coronavirus. Crédit : Philippe le Moine - Flickr

« Ce virus n’a pas de passeport, il faut unir nos forces, coordonner nos réponses, coopérer. » Dans son allocution aux Français du 12 mars, Emmanuel Macron a insisté sur le danger d’un repli nationaliste susceptible de diviser l’Union européenne. L’appel du président français semble pourtant avoir été vain : la plupart des États européens ont décidé de fermer leurs frontières et de combattre l’épidémie à l’échelle de leur territoire, plutôt que de gérer la crise au niveau de l’UE.

Alors que des frontières se dressent à nouveau au sein de l’espace Schengen et que les Etats sont incapables de s’accorder, la question est légitime : assiste-t-on au repli nationaliste redouté par Emmanuel Macron ?

La gestion nationale de la crise

Le contrôle et la fermeture des frontières, décidés rapidement et unilatéralement par plusieurs États, illustre la permanence de réflexes nationaux au sein de l’UE. Les solutions nationales ont été priorisées par rapport à une gestion commune de l’épidémie : lorsque la fermeture des frontières européennes a été décrétée le 17 mars, plusieurs États avaient déjà instauré des contrôles stricts, des restrictions ou la fermeture totale de leurs propres frontières.

Ces décisions témoignent d’un manque total de coordination entre États, qui peut mener à des situations absurdes. Après avoir fermé brusquement ses frontières et suite aux nombreuses plaintes de travailleurs transfrontaliers, le gouvernement allemand a dû autoriser de nouveau la circulation entre la Sarre et la Moselle.

Après une série de réponses nationales à la crise, les gouvernements se sont finalement tournés vers leurs partenaires européens. A deux reprises, le Conseil européen s’est réuni afin de coordonner les efforts des États membres dans la crise sanitaire. Les participants ne sont toutefois pas parvenus à s’accorder.

Finalement, aucune réelle mesure n’a été décidée et la solidarité entre États continue de reposer exclusivement sur des accords bilatéraux, sans gestion européenne. L’incapacité du Conseil européen à passer outre les intérêts divergents des États membres a ainsi été mise à jour à plusieurs reprises, notamment le jeudi 26 mars quand l’Allemagne et les Pays-Bas ont refusé la création d’eurobonds, obligations communes qui devraient servir à dégager un budget européen de relance.

Du côté des institutions supranationales, la BCE a annoncé le 19 mars la création d’un programme d’achat d’urgence pandémique qui prévoit principalement un budget de 750 milliards d’euros de rachats d’obligations pour répondre aux coûts socio-économiques de la crise sanitaire. La Commission a mis plus de temps à réagir et semble dépourvue de compétences solides face à l’épidémie. Le 2 avril, l’institution a néanmoins annoncé la mise en place du plan SURE et la mobilisation d’un budget de 37 milliards d’euros venant du fonds de cohésion pour lutter contre les effets du coronavirus.

Union européenne et unions nationales

Une nouvelle fois, l’Union européenne se retrouve sous le feu des critiques. L’indifférence avec laquelle certains États ont laissé l’Italie et l’Espagne s’enfoncer dans la crise est particulièrement critiquée, surtout depuis l’échec des discussions au Conseil européen et le refus des eurobonds.

En conséquence, l’absence de solidarité entre États européens est régulièrement dénoncée. Cette critique n’est pas seulement formulée par les eurosceptiques. Certains Européens convaincus affirment que la crise révèle les limites du fonctionnement de l’Europe intergouvernementale qui s’appuie sur l’investissement des États membres. Pour eux, seul un renforcement des compétences des institutions supranationales permettra l’élaboration d’une réelle réponse européenne.

Une autre attaque concerne la lenteur d’intervention des institutions européennes. Il a fallu en effet attendre plus de deux semaines pour que de réelles mesures soient adoptées par la Commission. Ses décisions sont en plus très peu relayées par les médias. Cette lenteur et la manque de couverture médiatique renforcent certainement le sentiment d’inaction des institutions européennes partagé par de nombreux citoyens.

L’UE est abandonnée par certains de ses défenseurs traditionnels. Le 12 mars, le président italien Sergio Mattarella a déclaré que de « l’UE, on attend[ait] des aides, pas des obstacles ». En Italie, ce discours est aujourd’hui soutenu par l’ensemble des Européens convaincus. Pour la première fois, l’Allemagne se met en repli. Alors qu’Emmanuel Macron appelait à une gestion européenne de la crise sanitaire, le gouvernement allemand a annoncé la fermeture de ses frontières, sans négociation préalable avec ses partenaires. Dans son allocution du 18 mars – Angela Merkel a appelé à respecter les consignes de sécurité et insisté sur la gravité de la situation. A aucun moment, la chancelière n’a souligné la dimension européenne de la crise, marquant une réelle volonté de retrait. Aujourd’hui, peu d’acteurs sont prêts à défendre l’idée d’une gestion européenne de la crise.

Au contraire, et comme le remarque l’historien Marc Lazar qui prend en exemple la situation en Italie, la crise sanitaire et les mesures de confinement semblent encourager un esprit d’unité nationale. Les Italiens ont ainsi réprouvé l’attitude de Matteo Salvini à chaque fois que celui-ci s’est attaqué au gouvernement, sans désavouer ses critiques des institutions européennes. L’historien résume : « plus l’Italie fait nation, plus elle s’éloigne de l’Union européenne ».

L’image de l’UE ne cesse de se dégrader depuis le début de la crise : en mars 2020, 67% des Italiens estimaient qu’appartenir à l’UE est globalement un désavantage, contre 47 en novembre 2018. En France, l’opinion publique s’est rangée derrière Emmanuel Macron qui a vu sa popularité grimper en flèche et atteindre 51% (+13 points en un mois, meilleur score depuis avril 2018).

Les exécutifs semblent finalement peu atteints par les critiques concernant leur gestion de la crise, ce qui ne profitent pas aux forces d’opposition. La confiance dans les leaders politiques de l’opposition est très hétérogène et il est aujourd’hui impossible d’en tirer des conclusions définitives. De même, il est encore tôt pour déterminer si la crise sanitaire bénéficie ou non aux mouvements nationalistes.

Quel rôle pour les institutions européennes ?

Les nationalistes voient dans la crise sanitaire que nous traversons un nouveau moyen de critiquer l’UE et son fonctionnement. Leurs manœuvres semblent pour le moment peu fructueuses : ce sont les gouvernements qui enregistrent des hausses de popularité, phénomène qu’on retrouve souvent en temps de crise.

La crise sanitaire est également une nouvelle épreuve pour l’UE. Comme lors de la crise financière et économique en 2008 ou lors de la crise des migrants en 2015, les institutions européennes font face à de nouvelles critiques et doivent prouver leur efficacité contre ce nouvel enjeu. Malgré l’ampleur de la crise, il ne faut pas oublier que l’UE a démontré, ces dernières années, sa capacité à se réinventer pour répondre aux crises qu’elle traversait. C’est ce que décrit le philosophe et historien Luuk Van Middelaar dans son essai Quand l’Europe improvise, qui explique qu’à chaque crise émergent de nouveaux acteurs « à même de trancher et agir ».

Jusqu’à aujourd’hui, les États ont endossé ce rôle. C’est pourquoi la popularité des gouvernements augmente alors que l’UE est vivement critiquée. En effet, les institutions européennes se sont tenues en retrait, incapables de faire émerger un consensus, trop lentes ou disposant de peu de moyens. L’épidémie est toutefois loin d’être terminée. Il reste à savoir si l’UE réussira à imposer une gestion européenne de la crise.

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