Même si j’enlève tout suspense dès le début, je vais m’appliquer à démontrer, en passant en revue les différents facteurs qui composent une réelle démocratie, que les avantages du fédéralisme, sur lesquels je mettrai l’accent, entraînent une séparation des pouvoirs, comme celle qui existe en Allemagne, et une plus forte participation citoyenne.
La démocratie, plus qu’une simple question d’organisation
Le fonctionnement démocratique d’un État n’est pas une simple question d’organisation. C’est également une affaire culturelle et sociale. Souvenons-nous de la République de Weimar, qui, bien que construite sur une structure fédéraliste, présentait deux vices importants. Le premier, et, à mes yeux, le plus important, est la culture politique impériale et la méfiance envers la jeune et nouvelle démocratie. Elle n’avait pas encore fait ses preuves à ce moment-là, et la France, à l’époque, juste après la Première Guerre mondiale, ne pouvait être prise comme bon exemple, en raison de la colère de trop nombreux citoyens. Il manquait simplement de formation politique pour comprendre la dimension de la participation d’un peuple et les conséquences terribles qu’aurait le retour dans des structures despotiques. Ces relations importantes entre les citoyens et la politique, qui, au premier abord, n’avaient rien à voir avec l’organisation de l’État, deviendraient la première pierre d’achoppement sur le chemin menant à la démocratie.
Le deuxième malheur de l’époque s’est révélé être la faiblesse de la séparation des pouvoirs, dont le rôle est le contrôle réciproque des institutions. La conséquence la plus visible du manque d’application de cet élément structurel essentiel était la puissance démesurée de l’armée, qui formait un « État dans l’État » et a rapidement poussé à l’évolution de la dictature. Nous devons donc conclure que la recette d’une démocratie ne repose pas uniquement dans le fédéralisme. Une culture politique mûre d’un point de vue social et structurel est nécessaire. Le fédéralisme ne vient qu’en deuxième position, derrière la séparation des pouvoirs, qui est donc bien le principe même de la démocratie : le pouvoir partagé entre tous.
La démocratie est également le fédéralisme des gens
C’est justement ici qu’intervient toute l’importance du fédéralisme. Car il est une expression de la séparation des pouvoirs. En parallèle avec le contrôle réciproque des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, les Länder, les différentes régions allemandes, se contrôlent les uns les autres. Il en ressort une « rectification » permanente, d’une part à travers la concurrence directe entre les Länder, et d’autre part à travers les échanges et les accords (ou désaccords) au Bundesrat, la seconde chambre fédérale allemande. On assiste à un ajustement, dans lequel la communauté joue justement un rôle extrêmement important. L’avantage de cette deuxième chambre fédérale, le Bundesrat, est criant : qui mieux que tout autre peut défendre les intérêts d’un Land ? Le Land lui-même, bien entendu ! Grâce à la répartition extrêmement égalitaire des sièges au Bundesrat (voir www. bundesrat.de), les Länder peuvent défendre leurs intérêts régionaux et aborder différents conflits. Autrement dit, un projet qui ne favoriserait qu’un Land ou, pire, qui désavantagerait une partie de la République ne pourrait pas être imposé. La répartition des pouvoirs dans le sens du fédéralisme est, de cette manière, un outil efficace pour garantir le contrôle démocratique au cœur du processus législatif.
Ce contrôle démocratique et cette répartition des pouvoirs me mènent directement à l’aspect suivant du fédéralisme en tant que recette pour une réelle démocratie. Les systèmes étatiques particulièrement vulnérables connaissent un grand gradient de pouvoir. Cela signifie que la structure de pouvoir entre le citoyen et le gouvernement monte rapidement et contourne certains obstacles qui passaient pour insurmontables. En Allemagne, il y a par contre un processus graduel, à partir du gouvernement et du Bundestag, à travers le Bundestag, jusqu’aux gouvernements régionaux et finalement aux électeurs, les réels souverains. Les Länder peuvent en effet bloquer pour un moment le gouvernement fédéral, grâce à leur influence. Ce pouvoir de véto, même s’il peut être surmonté par le Bundestag, ne présente pas uniquement un avantage structurel, dans le cas d’un gouvernement vraiment incapable. Il a avant tout un aspect psychologique qui ne doit pas être sous-estimé : le citoyen, qui connaît son gouvernement régional et qui y plus lié et attaché, se sent représenté directement à Berlin par les responsables politiques régionaux, et la conséquence est que le sentiment d’impuissance politique est moins fréquent, ou plus rare. Je vais maintenant enchaîner sur la participation citoyenne.
La grande structure a aussi un effet au plus petit niveau
En partant du principe que la démocratie vit à travers la participation de la population au processus politique, et que cette participation devrait être plus que le simple fait d’aller voter tous les quatre ans (ce qui n’est pas forcément une évidence), nous constatons que le gradient de pouvoir, dont nous avons parlé plus haut, favorise justement cette participation. Le fédéralisme, comme il est appliqué en Allemagne, fait que les électeurs ne doivent pas décider uniquement des membres du parlement tous les quatre ans, mais qu’ils doivent également perpétuellement influencer leurs gouvernements régionaux, donc les instances régionales, par leur voix. En effet, les élections régionales étant organisées en général tous les cinq ans, un décalage se produit, de sorte qu’il n’arrive qu’une fois tous les douze ans que les électeurs peuvent se reposer pendant quatre ans. Entre-temps, il y a des « pauses électorales » de un, deux ou trois ans. Et l’organe permanent du Bundesrat, qui est renouvelé petit à petit peut prendre, au milieu du mandat d’un gouvernement fédéral, une autre orientation. C’est encore l’un des joyaux de l’organisation de l’Allemagne.
Le message ? « Tu peux faire changer les choses »
Les personnes qui ont le droit de vote en Allemagne sont sans cesse appelées à participer et leurs perspectives de prise d’influence au niveau régional sont naturellement plus importantes qu’au niveau national. Les perspectives de réussite d’une initiative régionale sont clairement plus importantes. Imaginons que nous désirons lancer une campagne. Il est plus simple de commencer par convaincre 10 millions d’habitants que 80 millions. Les partis et associations politiques ne doivent pas non plus faire leurs preuves au niveau fédéral, lorsque ce n’est pas leur objectif ou lorsqu’elles n’en ont pas les moyens. Le citoyen commence tout en bas et connaît rapidement le succès politique. Ce sentiment positif est finalement renforcé par le Bundestrat, qui, à son tour, exerce une influence sur le gouvernement fédéral et cela renforce en conséquence la motivation du citoyen à s’engager politiquement de manière régionale et nationale. L’idée que sa propre voix compte devient perceptible et réaliste.
Cela est bien illustré par les nombreuses initiatives citoyennes, dont la plupart sont actives au niveau régional. En effet, les citoyens sont, dès leurs 16 ans, mis dans le bain de la participation permanente à la vie politique, également en dehors des périodes électorales. Des signatures sont collectées dans la rue et les résultats sont visibles (voir le référendum populaire sur la privatisation de l’approvisionnement en eau à Berlin, la troisième piste de décollage de l’aéroport de Munich, la décision de ne pas déposer sa candidature, en Bavière, pour les Jeux Olympiques d’hiver de 2022). C’est ici que se referme le cercle, et le fédéralisme influence réellement, par ces détours, la culture politique de l’Allemagne. À travers les possibilités qu’il offre, il éduque les citoyens pour qu’ils soient actifs et promeut la formation politique.
En résumé, nous pouvons conclure que le fédéralisme n’est, structurellement et sociologiquement, pas suffisant pour la construction d’une démocratie. Des caractéristiques telles que la séparation des pouvoirs ou la culture politique de la population jouent un rôle bien plus important. Cependant, force est tout de même de constater par la même occasion que la construction fédérale de la République soutient et renforce les éléments importants, par exemple à travers le contrôle réciproque au sein du Bundesrat, à travers la structure hiérarchique plate du citoyen au gouvernement, à travers les élections régulières et, surtout, à travers les meilleures possibilités de succès des initiatives politiques.
Au final, j’affirme que le fédéralisme présente une bonne cohabitation avec le fonctionnement démocratique d’une société. Un État ne doit pas être organisé de manière fédérale pour que la démocratie s’impose, mais, à terme, c’est un avantage de taille en matière de motivation politique et organisationnelle, et on peut parler d’une recette de réussite de la démocratie. Personnellement, je suis partisan du fédéralisme à l’échelle européenne et d’une Europe des régions. Nous devons dès à présent en poser les bases et nous appuyer sur une décentralisation du pouvoir. À moins que vous ne préfériez une Europe complètement dominée par un petit groupe d’élus ?
1. Le 30 avril 2014 à 13:38, par Lame En réponse à : Le fédéralisme, recette pour une démocratie efficace
Je ne vois pas vraiment en quoi cet article démontre que le fédéralisme contribue à une démocratie plus efficace.
D’abord, il existe des Etats unitaires centralisés et décentralisés qui sont perçus comme étant aussi démocratiques que les grands modèles fédéraux comme l’Allemagne.
Ensuite, certains Etats fédéraux ne sont pas démocratiques. C’était le cas de la Confédération d’Allemagne du Nord, du IIe Reich. C’est actuellement aussi le cas des Emirats Arabes Unis.
En tant que fédéraliste, je suis partisans d’une fédération démocratique et multinationale. L’Europe des régions est un projet centraliste dont la logique est justement d’éliminer autorités nationales au profit des autorités régionales, plus faibles et faciles à contrôler.
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