La structure fédérale des États-Unis a été conçue pour garantir les libertés individuelles même quand ceux qui sont au pouvoir ne les respectent pas. De la même façon, le fédéralisme européen renforcerait les pouvoirs et contre-pouvoirs qui garantissent les droits fondamentaux des citoyens. En Europe, le fédéralisme est aussi une solution viable pour garantir le contrôle démocratique que demandent les eurosceptiques et les nationalistes en Grande-Bretagne et ailleurs.
De plus, le fédéralisme peut renforcer l’Union européenne dans des domaines de compétence qui provoquent le mécontentement des électeurs sensibles au populisme. Les structures fédérales permettent de protéger ceux qui ne sont pas en capacité de se protéger de l’ingérence gouvernementale. Elles peuvent aussi subvenir aux besoins de ceux qui se sentent impuissants, et ainsi diminuer la force d’attraction du nationalisme.
Le fédéralisme protège nos droits fondamentaux des populistes antilibéraux
Le président Trump est considéré comme un dirigeant intolérant et antidémocratique, ce qui a servi à rappeler un des arguments en faveur du fédéralisme. L’argument de James Madison selon lequel “Il faut de l’ambition pour pouvoir contrer l’ambition” se réfère précisément à ce type de cas : dans le fédéralisme, différents niveaux de gouvernance s’équilibrent afin de garantir les libertés individuelles et d’entraver les dirigeants autoritaires.
Aujourd’hui, aux États-Unis, la menace perçue contre les libertés individuelles émane du niveau central, ce qui requiert l’application du droit des États. À l’inverse, dans le système fédéral européen balbutiant, ce sont certains États membres tels que la Pologne ou la Hongrie qui pourraient menacer des éléments fondamentaux d’une démocratie que sont la liberté de la presse ou l’indépendance du système judiciaire. Et dans cette Europe, le niveau central a jusqu’à présent peiné à protéger efficacement les citoyens contre de tels contrevenants, ce qui révèle la nécessité d’un renforcement des pouvoirs de Bruxelles.
Dans un système fédéral renforcé, le niveau central (dans le contexte européen, la Commission) devrait pouvoir exercer un pouvoir coercitif permettant de mettre fin aux violations des principes fondamentaux de la communauté. Le recours à l’article 7 du traité sur l’Union européenne (TUE), qui constitue le cadre juridique “nucléaire” actuellement en vigueur dans l’UE, nécessite par exemple l’unanimité des États membres. Par conséquent, sur cette question, ce sont les États membres eux-mêmes qui sont par essence les garants des valeurs fondamentales de l’UE, et aucun niveau de gouvernance plus élevé ne permet de contrebalancer leur pouvoir. Il faudrait de l’ambition pour pouvoir contrer l’ambition en Europe, c’est pourquoi une réforme des traités en accord avec les principes fédéralistes serait nécessaire
Ceux qui se sentent frustrés et impuissants semblent avoir une tendance historique à confier le pouvoir à ceux qui, le plus souvent au nom du nationalisme, pourraient un jour finir par exploiter leurs libertés. À une époque où des puissances similaires à Trump luttent encore pour accéder au pouvoir en Europe, la mise en place d’un système fiable de pouvoirs et contre-pouvoirs face à de tels développements demeure une perspective attrayante. Le vote en faveur de personnalités politiques antilibérales qui emploient une rhétorique nationaliste peut être compris comme un appel au secours de ceux pour qui le système existant n’a pas tenu ses promesses. Néanmoins, dans un premier temps, il est nécessaire de s’assurer qu’une situation résultant de ce genre de vote ne se retourne pas de façon encore plus dramatique contre les électeurs.
Ceux dont les droits politiques et les libertés sont menacés, ne peuvent avoir de pouvoir. Dans la mesure où dans certains cas, les structures constitutionnelles nationales seules se sont révélées insuffisantes, le fédéralisme est une voie à explorer pour garantir la liberté des peuples et par conséquent, leur pouvoir au sein de la société.
Le fédéralisme peut répondre aux attentes des nationalistes
Par ailleurs, il est essentiel de s’attaquer aux défaillances du système actuel qui poussent les personnes désespérées dans le giron des populistes. À l’approche du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne, il est apparu clairement que le déficit démocratique au niveau européen était un sujet de préoccupation. L’expression “bureaucrates non élus de Bruxelles” est entrée dans le langage courant notamment à cause des militants pro-Brexit.
La colère des pro-Brexit contre ce déficit démocratique est légitime. Cependant, c’est aux fédéralistes qu’il appartient de faire campagne pour garantir la légitimité démocratique de la branche exécutive au niveau européen. Afin d’assurer un réel contrôle démocratique de la Commission, un système présidentiel, ou peut-être plus vraisemblablement un système parlementaire, serait nécessaire. La mise en place d’un vrai régime parlementaire au niveau européen constituerait une réforme explicitement fédéraliste, et un pas dans ce sens a été fait avec le système des Spitzenkandidaten, soutenu avant tout par des pro-européens.
L’incapacité de l’Union européenne à assurer le contrôle de l’immigration est un autre exemple de défaillance mis en avant par les populistes nationalistes. Encore une fois, comme les pro-européens n’ont eu de cesse de le répéter, une politique plus centralisée d’asile et d’immigration permettrait de résoudre quelques-uns des problèmes les plus urgents. L’attribution de plus de compétences au niveau central pourrait être interprétée comme l’intégration suivant le modèle “sui generis”, mais une politique d’asile centralisée serait également conforme au fédéralisme. Une politique résolument fédéraliste permettrait de faire cesser ce nivellement par le bas de leurs facteurs d’attraction pratiqué par certains États européens qui veulent rediriger l’immigration ailleurs. Par ailleurs, les populistes tendent à accuser les demandeurs d’asile de chercher à aller dans les pays les plus généreux ; une telle politique permettrait également de stopper ce phénomène. Au bout du compte, des politiques sur le plan fédéral permettraient de produire l’ordre et le calme auxquels semblent aspirer ceux qui se plaignent des “flux de migrants incontrôlables”.
Une troisième préoccupation apparente que les populistes nationalistes ont réussi à exploiter : le terrorisme. Nombre d’entre eux souhaitent faire croire à la population que la fermeture des frontières et la discrimination des minorités serait la seule alternative à l’immobilisme et au règne de la terreur. Cependant, l’intégration européenne suivant un modèle fédéral est, ici encore, une alternative séduisante. On pourrait s’attendre, dans un État fédéral, à voir une agence de renseignement centralisée dotée de pouvoirs exécutifs ainsi que d’une base de données centralisée du renseignement ; mais l’Union européenne n’en dispose toujours pas, et ce malgré la liberté de circulation à l’intérieur de l’espace Schengen. Si à cet égard, l’Europe ressemblait davantage à une fédération,elle pourrait devenir plus sûre.
Nous constatons que des solutions fédéralistes permettraient d’apporter des réponses constructives à certaines des préoccupations les plus pressantes exprimées par les nationalistes et populistes en Europe. Présenté correctement, le fédéralisme européen est synonyme de démocratie. Appelez ça comme vous voulez, l’intégration vers une fédération européenne peut aussi mener à une immigration plus ordonnée et à plus de sécurité face à la criminalité et au terrorisme. Les électeurs des partis populistes nous disent que l’Europe actuelle n’est pas démocratique et manque d’ordre et de sécurité. Mais c’est précisément dans les domaines mis en avant par ces partis que l’Europe demeure aujourd’hui un ensemble d’États-nations. Avec une Europe fédérale, il pourrait en être tout autrement.
Pour conclure
Le maintien de compétences formelles au niveau national entraîne un risque d’affaiblissement du pouvoir réel d’institutions démocratiques, dans la mesure où la nature internationale de divers problèmes contraint les États à s’allier d’une manière ou d’une autre avec d’autres États pour élargir leur éventail de choix politiques. Si, dans ce contexte, les États conservent un pouvoir de décision formel, des accords intergouvernementaux à la légitimité démocratique limitée constituent malheureusement l’option par défaut. La solution repose sur des institutions politiques internationales, comme cela a été compris dans l’Union européenne, malgré un déficit démocratique persistant en ce qui concerne l’exécutif.
La coopération en Europe est clairement suffisamment étendue pour être de caractère politique et pas seulement bureaucratique, et les exemples susmentionnés illustrent bien le besoin d’une intégration plus poussée et plus politique. La responsabilité et la démocratie sont les corollaires de la politique dans le système de valeurs que nous partageons. Ce sont les principaux dispositifs permettant de garantir que le pouvoir demeure entre les mains des citoyens.Pour donner à ceux qui se sentent impuissants ce à quoi ils aspirent, nous avons besoin d’Europe. Et pas de n’importe quelle Europe, mais spécifiquement d’une Europe fédérale.
Les populistes réclament qu’on rende des comptes au peuple, qu’on lui rende le pouvoir et qu’on apporte une réponse à ses besoins. Il s’agit là de principes respectables, pleinement en accord avec le fédéralisme. Le fédéralisme peut protéger la liberté (condition préalable essentielle du pouvoir) du côté obscur et antilibéral du populisme. Un modèle fédéraliste parlementaire garantirait, au niveau européen, un meilleur contrôle démocratique par le peuple. En poursuivant l’intégration avec comme référence les stratégies et modèles institutionnels de fédérations existantes, l’Europe peut subvenir aux besoins de la population en matière d’ordre et de sécurité.
Jusqu’à présent, l’Europe des nations et de l’intergouvernementalisme présente un bilan en termes de liberté, de contrôle démocratique, d’ordre et de sécurité que beaucoup jugent insatisfaisant. Le fédéralisme représente une alternative crédible. En effet, il se peut que les principes les plus nobles du populisme soient plus cohérents avec le fédéralisme que ce que la plupart des dirigeants nationalistes n’aimeraient l’admettre.
1. Le 29 septembre 2017 à 16:39, par Stasou En réponse à : Le fédéralisme : une alternative aux populistes
Ou comment retirer encore plus de pouvoir aux peuples.
Depuis le traité de Maastrich, et encore plus depuis le traité de Lisbonne, les états n’ont plus aucun pouvoir en terme d’économie. En effet, c’est l’UE qui l’a récupéré, et plus particulièrement la Commission, qui possède à elle seule le droit à l’initiative juridique. Cela signifie que peu importe le président élu, il devra obligatoirement être ultra-libéral, car l’UE l’est, c’est écrit dans son fondement, suite à Lisbonne.
« Le fédéralisme peut protéger la liberté (condition préalable essentielle du pouvoir) du côté obscur et antilibéral du populisme ». Et si le choix du peuple est tout simplement de sortir du libéralisme ? Vous voudriez que l’Union Européenne l’en empêche, car ce ne sont pas vos opinions ? Aujourd’hui, les arguments des anti UE s’articulent autour de deux points principalement : le très net manque de démocratie, manque de contrôle du peuple. Et la politique ultralibérale qui est menée, en plus des restrictions de budgets toujours plus importantes. Ce n’est pas en allant vers encore plus de fédéralisme, vers encore plus de pouvoirs pour l’Europe que vous parviendrez à faire baisser ce que vous appelez populisme. Vous parviendrez simplement à les empêcher encore plus d’arriver au pouvoir. Sauf que la colère continuera de monter, et le problème ne sera absolument pas réglé, bien au contraire.
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