Le new populism : tombeau ou renaissance pour l’Union européenne ?

, par Julien Lepotier

Le new populism : tombeau ou renaissance pour l'Union européenne ?
CC - Flickr

Autriche, Pologne, République tchèque, Allemagne… L’ensemble des pays européens sont touchés par une montée des populismes. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’effondrement des partis de gouvernement n’est pas dû (uniquement) à la crise économique. En effet, des pays qui affichent des résultats positifs sur le plan économique comme le Danemark ou l’Autriche sont également concernés. Cette crise demeure inédite par son ampleur, l’Union européenne suscitant la défiance même dans des pays traditionnellement europhiles. Ce constat impose une remise en question plutôt qu’un jugement méprisant à l’égard des millions d’électeurs qui ont voté pour les partis populistes. Si nous voulons sauver le projet européen, nous devons reconquérir les esprits des européens et donc proposer un nouveau paradigme radicalement différent de la politique actuelle.

La crise des démocraties libérales

Cette crise dépasse malheureusement les frontières de l’Union européenne. La victoire de Donald Trump, dans la patrie du libéralisme politique et économique, en est un exemple patent. L’occident se trouve plongé dans une crise démocratique à l’heure où les défis n’ont jamais été aussi nombreux, aussi bien sur les questions économiques, environnementales mais aussi sur les droits de l’homme. Impossible de comprendre ce new populism, sans se retourner sur les quarante dernières années qui se sont écoulées.

L’Histoire a souvent été construite par l’affrontement entre plusieurs idéologies et l’Europe a été marquée par plusieurs divisions importantes, souvent religieuses, pour n’en citer que quelques-unes : le grand schisme d’Orient en 1054 ou les luttes entre les protestants face aux catholiques. Notre histoire contemporaine a été marquée par des affrontements politiques, pendant la Guerre froide. On connaît tous les événements qui s’en suivirent : la chute du mur de Berlin et l’éclatement du bloc communiste que Fukuyama qualifiait de « fin de l’histoire », la victoire de la démocratie libérale sur le communisme. Mais le soulagement s’est rapidement transformé en vide. En effet, la bataille entre les deux idéologies qui ont marqué le XXème siècle étant vraisemblablement révolue, quelle(s) idéologies structureront le XXIème siècle ? Une question qui reste pour l’instant sans réponse, même si plusieurs pistes émergent.

Dans le même temps, les territoires doivent affronter une double révolution : la mondialisation de la production/vente de marchandises d’une part ; l’émergence du numérique, d’autre part. Aujourd’hui, on peut considérer que ces changements ont fait des gagnants, mais aussi des perdants : si on analyse la carte électorale, la montée des populistes s’observe majoritairement sur les territoires laissés à l’écart face à ces deux révolutions. Ces révolutions ont permis à l’Asie de redevenir progressivement le continent le plus riche et le plus développé du globe, rappelant que la domination occidentale sur le monde depuis le début de la colonisation est une exception dans l’histoire, Chine ou Inde ayant été les principales puissances de ce monde jusqu’à la renaissance. Alors, si ces changements génèrent bien des opportunités, ils nous imposent d’accepter de repenser notre place dans le monde. Face à cette nouvelle donne, les nations, pierre angulaire des structures politiques et économiques depuis le XIXème siècle, sont remises en cause. La montée des populismes peut être analysée comme le souhait de sauvegarder les états nations, faute d’une alternative crédible jusqu’à maintenant. La démocratie libérale est le seul système garantissant la participation des citoyens et l’égalité civique. Une refondation est nécessaire si on veut lui permettre de survivre. Une telle manœuvre doit conduire à proposer aux citoyens une refonte de l’Union européenne adaptée aux défis de ce siècle, qui sera une alternative aux états-nations du XXème siècle et une réponse crédible face aux défis posés par les nouveaux états continents comme la Chine et l’Inde.

Un continent face à des défis colossaux

C’est ainsi que l’Union européenne, construite avec le soutien tacite des peuples, est confrontée à une méfiance voire défiance de plus en plus forte. Face aux difficultés, les populismes se fondent sur un discours reposant sur la crainte : « la mondialisation a tué notre économie, l’immigration n’est plus contrôlée en Europe, Bruxelles n’est qu’une technocratie », etc. Ils accompagnent ces discours de propositions comme le protectionnisme pour relancer l’économie nationale ou encore la fermeture des frontières pour protéger le pays des vagues de migration. Des solutions simples en apparence qui cachent la nécessité d’une réponse européenne à de nombreux enjeux. Ces solutions sont une hérésie. Aujourd’hui, un certain nombre de défis exigent une réponse au moins européenne, voire mondiale : le climat, le terrorisme, la protection des données personnelles, la finance, les migrations, la conquête de l’espace, le commerce, les biotechnologies et l’émergence de l’homme augmenté, l’intelligence artificielle… Qui peut sérieusement concevoir que le climat ou la protection de nos données numériques sont des sujets qui peuvent être résolus à l’échelle d’un État ?

Il existe aussi une confusion autour de l’idée de « nation ». Non, la nation n’est pas morte. En tout cas, pas la nation en termes de caractéristiques identitaires et culturelles unifiant un peuple. Au contraire, l’Union européenne est « unie dans la diversité », alors que la définition réductrice de la « nation » avancée par les extrêmes se sert d’une peur irrationnelle de « l’envahisseur » ! Finalement, cette crise du repli sur soi exige que les élites économiques et politiques aux échelles nationale et européenne assument leur responsabilité de gouvernant. En se concentrant sur les marginalisés de la mondialisation, en veillant à un équilibre entre flexibilité du droit du travail et protection sociale, entre autres, c’est avec une grande ambition morale et pratique que les dirigeants doivent regagner la confiance de leurs citoyens. A bas les fausses promesses : les projets politiques doivent être fédérateurs, pédagogiques, pragmatiques, loin du mille-feuille administratif et technocratique qui attise les revendications de tous bords.

Une Europe des projets, complément indispensable au saut fédéral

Redéfinir le projet européen au XXIème siècle : voilà donc le vaste chantier dans lequel nous sommes tous, européens, engagés. L’étape préalable à la réussite du rebond européen consiste en la définition du projet européen pour les années à venir. Le président Emmanuel Macron semble définir une esquisse : nous devons défendre et sauvegarder coûte que coûte notre modèle économique et politique dans un contexte où d’autres systèmes politiques avec des valeurs bien différentes, comme la Chine, sont voués à devenir des puissances centrales de notre monde multipolaire.

Au risque de heurter certaines sensibilités, je crois enfin que la constitution d’une fédération européenne est la seule solution si l’on veut conserver notre modèle unique et, a posteriori, notre influence globale. Car sans forme d’unification juridique, politique, et économique aboutie, respectueuse de la diversité des citoyens, nous deviendrons spectateurs, et non acteurs de notre avenir : les décisions sur l’intelligence artificielle et le big data seront prises sans nous. Bref, nous aurons perdu la maitrise de notre destin, pour paraphraser la Chancelière allemande.

Réformer les institutions avec un Parlement bicaméral, comprenant une Assemblée élue par les citoyens, puis d’un Sénat européen représentant les régions et états de l’UE, et d’un gouvernement formé en fonction de la majorité de l’assemblé élue, est-ce si impossible ? Les compétences de l’Union seraient renforcées, unifiées dans le domaine de la défense, le spatial, la recherche, les infrastructures… L’UE pourra parler d’égal à égal avec les états continents (Chine, Inde…) pour défendre la politique que souhaitent les européens, puisque son gouvernement sera le reflet des résultats des élections européennes. De plus, l’organisation de l’UE sera lisible et les principaux responsables seront élus par les citoyens. Deux critiques majeures de l’Union européenne, opacité et manque de démocratie, seront de fait supprimées par la réalisation d’une fédération européenne. La Constitution citoyenne pour l’Europe, fruit d’une Convention européenne de la jeunesse organisée par les Jeunes Européens - France, pose en détails les pistes de cette fédération européenne. Les consultations européennes, organisées à partir d’avril dans seize pays de l’Union européenne, seront l’occasion de mettre en avant cette constitution, notamment auprès de la jeuneuse.

En complément de la gouvernance, qui est un chantier indispensable, mais qui prendra du temps, nous devons lancer sans attendre les chantiers indispensables pour faire face aux défis actuels : une politique migratoire commune avec un corps fédéral des gardes-frontières ; un budget de la zone euro qui permet d’aborder les crises et investir ; une politique agricole commune qui accompagne une agriculture durable ; des règles communes vis-à-vis des acteurs du numérique ; une convergence fiscale au lieu d’un guerre fiscale mortifère… Cette démarche, complémentaire de la constitution d’une fédération européenne, est indispensable pour sortir définitivement de l’ornière des dix dernières années et restaurer la confiance des citoyens. Si les pistes précédentes sont évoquées depuis des années, il est temps pour les états de passer de la procrastination permanente à l’action ! L’efficacité des politiques menées étant la meilleure réponse possible face aux populistes. Les États seront donc au centre de cette transformation de l’UE, la mobilisation des citoyens sera la clé pour permettre la réalisation de cette révolution copernicienne.

Vous l’aurez compris, l’Europe peut disparaître si nous ne réalisons pas les chantiers nécessaires à sa survie. Sa sauvegarde demeure l’unique solution pour que l’on continue à maitriser notre destin et à défendre nos valeurs humanistes, mais cela va nécessiter de sortir de l’inertie de ces dernières années… Enfin, au-delà de l’UE, nous devons collectivement réinventer une nouvelle idéologie face aux nouveaux états nationalistes et autoritaires, dans un monde où la liberté n’est plus un objectif pour bien des nations. Ce nouveau modèle de société devra avoir comme base la transparence, la sauvegarde de la planète… Tout reste à faire. Voici un défi ambitieux pour notre génération.

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