Les citoyens éliront le Président de la Commission à travers le Parlement
Les rapports de force se rééquilibrent dans la désignation du Président de la Commission. Il semble que les Européens se décident enfin à appliquer les règles de la démocratie parlementaire. Il était temps ! Elles ont après tout été découvertes trois siècles plus tôt par les Britanniques même si l’ironie veut qu’ils restent les plus réticents à les européaniser. Mais qu’importe. Le Président de la Commission sera élu selon les règles du suffrage universel indirect. Sans doute faut-il rappeler pourquoi on retient cette méthode plutôt que l’élection au suffrage universel direct. Elle permet d’impliquer le citoyen dans la désignation de la Commission tout en garantissant sa soumission au Parlement puisque la première émanerait du second. Une démocratie forte a en effet besoin d’un Parlement fort. Or en désignant l’exécutif au suffrage universel direct, on court-circuite la légitimité du Parlement, ce qui engendre un déséquilibre institutionnel au sein duquel il devient assujetti à un exécutif d’essence monarchique. C’est pourquoi la Vème République française est le régime le moins démocratique d’Europe et cela en dépit de la « proximité » des Français avec leur exécutif. Cinq partis politiques ont désigné un candidat à la Présidence de la Commission. La gauche européenne se range derrière Alexis Tsipras. Les verts derrière Franziska Keller. Les socialistes & sociaux-démocrates derrière Martin Schulz. Les libéraux & démocrates derrière Guy Verhofstadt. Enfin les conservateurs du parti populaire européen soutiendront Jean-Claude Juncker. Le prochain Président de la Commission européenne sera celui ou celle parmi les personnages susmentionnés dont le parti politique aura remporté les élections européennes.
Le Parlement détient un rôle croissant dans l’attribution des autres portefeuilles
Le Parlement européen élira le Président de la Commission à l’issue d’un processus démocratique continental. Mais il n’a en théorie pas le pouvoir de décider l’attribution des autres portefeuilles. Cette prérogative relève conjointement du Président de la Commission ainsi que du Conseil de l’Union européenne, composé des gouvernements nationaux, voire du Conseil européen, composé des chefs d’État et de gouvernement en ce qui concerne la nomination du chef de la diplomatie européenne. Seulement en pratique le Parlement a la possibilité de s’immiscer dans l’attribution desdits portefeuilles. Une fois ces derniers entièrement attribués, la Commission doit impérativement obtenir l’approbation du Parlement européen sans quoi elle ne peut entrer en fonction. Le Parlement peut donc menacer d’utiliser son véto si l’équipe qui lui est présentée ne lui plaît pas. Ainsi en 2004, il a contraint Barroso à renoncer à deux candidats et à remanier deux portefeuilles conjointement avec les gouvernements européens pour obtenir son approbation formelle. En 2010, alors que Barroso avait désigné la Bulgare Rumiana Jeleva pour occuper le portefeuille des affaires humanitaires, celle-ci a du renoncer à sa candidature après une audition mouvementée menée par le Parlement pendant laquelle il a dénoncé son incompétence et les conflits d’intérêts qui menaçaient son aptitude à exercer correctement ses fonctions. Une fois de plus, le Parlement a obligé le Président de la Commission et un gouvernement européen à choisir un autre candidat pour obtenir l’approbation nécessaire. Cela montre à quel point les citoyens, à travers le Parlement, détiennent un rôle accru dans la désignation d’une Commission de plus en plus politisée.
La responsabilité de la Commission envers le Parlement n’a jamais été aussi grande
La Commission n’a cessé de voir sa responsabilité envers le Parlement croître. Deux principaux outils permettent aujourd’hui de l’engager et de la retenir. Le Parlement peut dans un premier temps renverser la Commission lorsqu’il réunit au moins deux tiers de ses membres pour valider ce qu’on appelle une motion de censure. Bien que cette procédure n’ait jamais abouti, la Commission de Jacques Santer a du démissionner en 1999 pour éviter de la subir quand elle était accusée de corruption et de népotisme. À cette responsabilité collégiale s’ajoute une responsabilité individuelle. Le Parlement et la Commission ont conclu en 2010 un accord interinstitutionnel qui autorise l’assemblée à exiger la démission d’un Commissaire dont elle aurait perdu la confiance. Sans doute revient-il à la même assemblée de se montrer plus crédible en exploitant pleinement les outils à sa disposition. On comprend difficilement ses critiques envers Catherine Ashton alors qu’elle a d’une part approuvé sa nomination par le biais du vote d’investiture (en dépit d’une audition préalable qui pouvait laisser présager son incompétence) et qu’il lui appartient d’autre part de mieux la contrôler, quitte à lui retirer sa confiance si elle est jugée totalement insatisfaisante. De même que l’on peut difficilement comprendre pourquoi l’institution vote un rapport d’une grande sévérité qui déplore notamment une gestion calamiteuse de la crise grecque par la Troïka tout en se retenant d’engager et de retenir la responsabilité du Commissaire en charge des politiques condamnées. On pourrait multiplier les cas indéfiniment. L’institution devrait par exemple se montrer beaucoup plus incisive quant à l’opacité des négociations en cours entre l’Union européenne et les États-Unis pour la signature du traité transatlantique en faisant pression sur le Commissaire au commerce extérieur ou en menaçant de rejeter l’accord tant que l’opacité perdure.
Le Parlement européen a suffisamment d’influence pour protéger les intérêts des citoyens. C’est pourquoi ces derniers sont en droit d’attendre beaucoup de l’assemblée strasbourgeoise dont la responsabilité n’aura jamais été aussi grande.
1. Le 27 avril 2014 à 07:16, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Le Parlement européen n’a pas le droit à l’erreur
Pour mémoire le « déficit démocratique » a été dénoncé en premier lieu par les fédéralistes. Le terme est apparu non pas dans les années 90 mais dès le Congrès des Jeunes Européens Fédéralistes dès 1977 : The first use of the term “democratic deficit” (non, je n’y étais pas).
2. Le 27 avril 2014 à 07:19, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Le Parlement européen n’a pas le droit à l’erreur
Le Parlement européen ne sera influent et ne pèsera que si les électeurs décident d’y envoyer siéger des députés issus de partis désireux de voir l’Europe progresser, c’est à dire certainement pas les deux grands partis au pouvoir dans la plupart des États membres et responsables de l’euroconservatisme actuel.
3. Le 27 avril 2014 à 16:12, par François MENNERAT En réponse à : Le Parlement européen n’a pas le droit à l’erreur
Merci Ferghane pour ce rappel indispensable quant au(x) pouvoir(s) du Parlement. Il nous reste à souhaiter qu’il ne se couche pas devant le Conseil. Cela dépendra, sans aucun doute, de la majorité (i.e. de la coalition, sans grand doute) qui sortira des urnes. Alors, aux urnes, citoyens !
Déficit démocratique : Valéry-Xavier a incontestablement raison. Sauf qu’en 1977, le Parlement n’était pas encore élu au suffrage universel. :-) Mais en 2014, cela fait 35 ans qu’il l’est, et l’on parle toujours de déficit démocratique... Où est l’erreur ?
4. Le 27 avril 2014 à 16:40, par Ferghane Azihari En réponse à : Le Parlement européen n’a pas le droit à l’erreur
Merci pour vos commentaires. Ce que je voulais dire pour le débat sur le déficit démocratique, c’est qu’il a pris une tournure particulière dans les années 90. Mea culpa si je me suis mal exprimé.
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