Pour rappel, tous les 6 mois, un État membre de l’UE assure la présidence du Conseil de l’Union. Les deux tâches principales visent à présider les sessions de travail ainsi que représenter le Conseil auprès des autres instances européennes. Afin d’assurer la continuité des travaux, le traité de Lisbonne a institutionnalisé les fameux trios, c’est-à-dire des groupes de trois États membres qui élaborent un programme commun. Ici, on doit l’avouer : le trio polono-dano-cypriote est un exemple-type de trois États aux caractéristiques complètement différentes qui doivent néanmoins travailler côte à côte. Pour ne citer qu’un exemple, le Danemark et la Pologne sont membres de l’espace Schengen mais pas de la zone euro soit tout le contraire de Chypre. De même, on ne peut pas s’attendre aux mêmes capacités d’organisation administrative de la part de la Pologne qui compte 36,6 millions d’habitants, du Danemark et ses 5,9 millions et de Chypre qui n’atteint même pas le million. Ce trio - qui avait même été qualifié en 2011 d’un certain « exotisme »par Anne Dorte Rigeelsen, alors ambassadrice du Danemark en France - a eu et aura également la tâche délicate d’engager les premières négociations sur les cadres financiers pluriannuels (CFP), à l’époque de 2014-2020 et aujourd’hui 2028-2034.
On prend les mêmes et on recommence ? L’élan pro européen animé par la Pologne
Le 1er juillet 2011, comme le 1er janvier 2025, la Hongrie a passé le flambeau de la présidence du Conseil de l’Union européenne à la Pologne, chacune dirigée par deux Premiers ministres auxquels les citoyens européens se sont depuis habitués : le Hongrois Viktor Orbán et le Polonais Donald Tusk. La transition d’une présidence menée par le parti national-conservateur eurosceptique (Fidesz) à une présidence menée par le parti pro-européen (Plateforme civique) n’est donc pas une nouveauté. Sur le plan politique, que ce soit en 2011 ou en 2025, la présidence hongroise a été mouvementée, sur fond de conflit avec la Commission. Fin 2010, le Parlement hongrois a adopté une nouvelle loi controversée sur les médias, accusée de porter atteinte à la liberté de la presse, pour finalement céder sous la pression en février 2011 (Discours de Neelie Kroes). Lors de sa présidence européenne en 2024, Victor Orbán s’est de nouveau démarqué en poursuivant un agenda conforme à ses propres intérêts politiques, par exemple en se rendant à Moscou dans le cadre de sa « mission de paix ».
L’arrivée du trio polono-dano-chypriote est donc encore une fois synonyme d’un élan européen, en partie grâce au rôle entreprenant de la Pologne qui démarre avec force les 18 mois de sa présidence. Ce « semestre polonais » de 2025, rappelle le discours proeuropéen prononcé dès le premier mois de la présidence de 2011 par Donald Tusk, devant le Parlement européen. Dans un contexte de crise économique et financière, il avait alors déclaré : « Je suis certain que la réponse à la crise est plus d’Europe et plus d’intégration européenne » [“I am certain that the answer to the crisis is more Europe and more European integration”]. Cette référence aux propos de Jean Monnet sur la construction de l’Europe à travers les crises révèle les ambitions polonaises - et dans une certaine mesure danoises et chypriotes - de renforcer l’UE dans un contexte géopolitique, non pas de crise, mais de guerre en Ukraine.
Une Europe « forte et sûre », « prospère et compétitive » et « libre et démocratique »
C’est en ces termes que les priorités polonaises, danoises et chypriotes sont résumées dans leur programme commun présenté le 11 décembre dernier. Ces dernières sont pour le moins ambitieuses et s’il faudra attendre l’été et l’hiver pour connaître les priorités respectivement danoise et chypriote, la Pologne a d’ores et déjà annoncé son programme sous le slogan « Sécurité, Europe ! » et les 7 volets du mot d’ordre de sécurité : extérieure, intérieure, économique, information, énergie, alimentation et santé.
Certains points - aussi bien du programme commun que celui polonais - résonnent avec ceux des présidences 2011-2012. On peut citer par exemple l’engagement en faveur de l’élargissement, alors qu’on évoquait déjà à l’époque le statut de candidat officiel de la Serbie, les accords d’association avec l’Ukraine et la Moldavie et le cas de la Turquie, où Chypre se montrait beaucoup plus réservée que la Pologne. De même, si la gouvernance économique occupait une place majeure dans le contexte de la crise de l’eurozone, la compétitivité prend aujourd’hui le relais dans le discours du trio avec un accent porté sur la transition écologique bien que la Pologne ait déjà annoncé dans son programme 2025 : « une approche plus souple de la politique énergie-climat »…
En outre, deux nouveautés qui ont trouvé leur place au cœur du programme commun méritent d’être mentionnées : le soutien à l’Ukraine et le contrôle de l’immigration. La Pologne et le Danemark ont fait entendre leur voix sur ces points ces dernières années. Tout d’abord, les gouvernements polonais et danois ont appelé et appellent à renforcer les politiques de sécurité et de défense, y compris à travers une augmentation des dépenses militaires, la Pologne faisant figure d’excellent élève avec des dépenses dépassant 4 % de son PIB en 2024, alors que l’objectif actuellement fixé par l’OTAN est de 2 %. Le Danemark sort également du lot en passant de 1,3 % en 2021 à 2,37 % de son PIB en 2024 et a pu surprendre ses voisins européens en mettant fin en juin 2022 à son option de retrait de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Concernant l’immigration, Varsovie, Copenhague et Nicosie semblent être sur la même longueur d’onde, et leurs dirigeants figuraient parmi les 15 signataires de la lettre commune du 15 mai 2024 adressée à la Commission sur les nouvelles solutions pour lutter contre l’immigration irrégulière en Europe et se montrent par exemple très favorables aux accords avec des pays-tiers comme celui Italie/Albanie.
Toutefois, si ce programme ne manque pas d’ambition, on peut s’interroger sur son degré de réussite. Si l’on prend l’exemple de la période 2011-2012, des éléments externes et internes aux États membres ont affecté leurs priorités. Les travaux ont dû se concentrer sur la volonté de sortir de la crise de la zone euro, avec par exemple l’adoption du Six-Pack sur la gouvernance économique sous la présidence polonaise, tandis que la présidence danoise, sous le slogan « L’Europe au travail », a mis l’accent sur les mesures d’austérité budgétaire et a veillé au bon déroulement du premier cycle du Semestre européen. Contrairement à ses ambitions, l’accent a été mis davantage sur les questions financières que sur les questions environnementales. De même, les présidences polonaise et danoise avaient été tourmentées par des contextes politiques internes électoraux : présidentiels pour la première et législatifs pour la seconde.
Aujourd’hui, des doutes planent sur la capacité du trio à mettre en œuvre son programme, à commencer par la présidence polonaise. Si le gouvernement de Tusk peut s’appuyer sur le rôle clé qu’il a acquis ces dernières années en tant que chef de file de la résistance à la Russie, il devra tenir compte des conséquences du second mandat de Trump aux États-Unis. Selon Contexte, la marge de manœuvre pour les négociations au Conseil pourrait être limitée par l’instabilité politique tant en Allemagne, avec des élections prévues en février 2025, qu’en France. Sans CFP et avec le début du mandat de la Commission, il sera difficile de conclure les premiers textes avant l’été, c’est-à-dire le début de la présidence danoise.
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