L’ère du soupçon
La multiplication des « affaires » touchant des politiques traduit un intérêt croissant des citoyens pour la probité de leurs représentants. Il est d’ailleurs intéressant de voir qu’en Europe, ce sont les Roumains qui ont montré la voie en manifestant dans le froid durant des semaines pour contraindre leur gouvernement à faire marche arrière sur un projet de loi qui aurait allégé les sanctions en matière de corruption. Les manifestants se sont fait entendre en tapant sur des casseroles pour dénoncer la corruption, mal endémique dans ce pays qui a pourtant fait de grands progrès. Une idée vite reprise en France où les deux principaux candidats à l’élection présidentielle font l’objet de poursuites judiciaires pour détournement de fonds publics. Du jamais vu ! Autre favori des sondages, le nouveau venu sur la scène politique Emmanuel Macron semble presque épargné, alors même qu’on lui reproche d’avoir largement sous-estimé son patrimoine auprès de l’administration fiscale.
Au-delà de la mise en cause de personnalités politiques de premier plan, ces évènements interviennent dans un contexte de défiance à l’égard des élites dans les démocraties. Cette défiance s’explique assez simplement. Il n’y a pas si longtemps, toute personne voulant faire carrière devait faire un choix entre le pouvoir et l’argent. L’un et l’autre n’étant pas compatibles. Mais avec la dérégulation progressive, on a assisté à une explosion des allers-retours entre les sphères de pouvoir et les sphères économiques. Il est devenu plus que jamais facile de cumuler pouvoir et argent. L’illustration la plus frappante ces dernières années en Europe est le recrutement de José Manuel Barroso, ancien président de la Commission européenne, par la banque d’affaires Goldman Sachs. Cette dernière avait aidé la Grèce à maquiller ses comptes pour faire partie de la zone euro à l’époque où José Manuel Barroso était lui, chargé de s’assurer que les règles étaient bien respectées. Ce phénomène, dit des « portes battantes », suscite un rejet massif de la part des citoyens sans pour autant que cela soit suivi d’effets.
Une opportunité à saisir
Alors que l’Europe est en panne et que l’on parle d’une construction européenne à plusieurs vitesses, le sujet de la corruption offre pourtant une occasion en or aux responsables européens pour relancer le projet communautaire. La demande des citoyens est forte et le sujet est rassembleur. On se demande ce que les uns et les autres attendent.
Anodin en apparence, le sujet pourrait être l’occasion de ramener par des réalisations concrètes la construction européenne sur le devant de la scène. Ce serait l’occasion de mettre en œuvre un parquet européen chargé de lutter contre les crimes et délits financiers, d’instaurer une justice continentale avec des tribunaux dans chacun des États-membres pour juger ces infractions. Ce serait aussi l’occasion de mettre en place une police européenne compétente pour intervenir sur des affaires d’ampleur, afin d’améliorer la coordination et l’efficacité des actions menées.
Les opposants à la construction européenne ne cessent de parler des « technocrates de Bruxelles » dont les préoccupations seraient éloignées des citoyens. Après l’échec de la CED, les pères fondateurs de l’Europe ont mis en place la Communauté Economique Européenne pour unifier le continent par l’aspect économique, ce qui s’est traduit par un enrichissement conséquent des Européens. Embourbée dans la comitologie, paralysée par l’intergouvernemental, l’Europe ne fait plus rêver. Au point que nombreux sont ceux qui doutent de son utilité.
Rendre l’Europe visible est plus qu’une nécessité. C’est une question de survie pour une construction communautaire qui cherche un nouveau chemin. La lutte contre la corruption peut de façon pragmatique être ce chemin. En répondant à un besoin profond des citoyens européens, l’Europe a les moyens de relancer à peu de frais un projet enlisé. Qui, en effet, oserait contester le bien-fondé de la lutte contre la corruption ?
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