Le Cadre financier pluriannuel 2028-2034 : définir les priorités et leurs financements pour 7 ans
Le budget de l’Union européenne est construit sur sept ans sous la forme d’un cadre financier pluriannuel (CFP). Le CFP détermine les recettes et les plafonds de dépenses pour chaque grande politique et programme européen (Politique agricole commune, Erasmus, Politique de cohésion, etc). L’enjeu est crucial, car il s’agit d’identifier les priorités de l’Europe sur le long terme et l’allocation efficiente des 1 074,3 milliards d’euros (montants du CFP 2021-2027) du budget européen. Une fois un accord trouvé, le CFP est très rigide et il ne sera possible de le modifier qu’à la marge pendant les sept années suivantes. L’évolution rapide de l’environnement international, fait de crises, et les conséquences de plus en plus dangereuses du changement climatique obligent les États membres et la Commission européenne à avoir le nez creux.
La période budgétaire 2021-2027 s’est distinguée par une innovation que personne n’aurait pu soupçonner de se produire si la crise de la Covid n’avait pas eu lieu : l’Europe a créé sa propre dette pour relancer son activité économique. Face aux conséquences dramatiques de la crise du Covid-19, les 27 États membres se sont accordés en 2020 sur un plan de relance à 750 milliards d’euros, intitulé « NextGenerationEU » (NGEU) pour relancer la croissance européenne en investissant dans la transition numérique, verte et l’innovation. De ce fait, le budget européen a presque doublé par rapport au cadre financier initial. En contrepartie de cette injection d’argent massive et rapide - les 750 milliards d’euros devant être injectés dans l’économie au plus tard d’ici fin 2026 - l’UE et les Etats membres se sont engagés à commencer à rembourser la dette NGEU à partir de 2028, sur une durée de 30 ans.
Un casse-tête pour concilier le remboursement de la dette NGEU et la nécessité d’augmenter les dépenses de l’UE
La dette n’est pas la seule ombre au tableau. Outre son remboursement, l’UE doit s’acquitter des coûts d’intérêt de l’emprunt qui doivent être réglés chaque année, dès à présent. Et s’ils étaient à un tarif avantageux en 2020 au moment de l’accord, la dégradation de la situation internationale a renchéri les prix d’emprunts. Ainsi, selon la Commission européenne, le surcoût lié aux paiements des intérêts est estimé à 15 milliards d’euros, soit le double par rapport aux montants des intérêts initialement programmés sur la période 2021-2027. À partir de 2028, la Commission estime que le remboursement de la dette NGEU s’élèvera à entre 25 et 30 milliards d’euros par an. À titre de comparaison, cela équivaut à peu près au coût du programme Erasmus… sur 7 ans.
Dans le même temps, la dynamique est à la hausse des dépenses de l’UE pour faire face aux défis mondiaux que sont la compétitivité de l’industrie européenne, l’accélération de la transition verte et numérique, la hausse des dépenses en matière de défense et la poursuite du soutien à l’Ukraine. Le budget européen ne représente jusque-là qu’environ 1% du PIB européen.
D’autant que la solution à cette difficile équation ne devrait pas venir de la contribution à la hausse des États membres. En effet, chacun verse une contribution annuelle au budget européen dont le montant dépend du poids économique de chaque pays. Les contributions nationales représentaient 64% des recettes de l’UE en 2023. Le contexte budgétaire en Europe pousse les Etats membres à consolider leur budget vis-à-vis de leur stock de dettes : la France en est le meilleur exemple actuellement. La Commission européenne s’attend donc à ce que les contributions nationales stagnent, voire qu’elles puissent potentiellement baisser lors du dialogue budgétaire à venir sur le CFP 2028-2034.
De nouvelles ressources propres comme seule échappatoire au triangle d’incompatibilité ?
Le scénario de la hausse des contributions nationales étant peu probable, les solutions pour résorber ce triangle d’incompatibilité sont à chercher dans l’autre source de recettes de l’UE, à savoir les ressources propres. Elles proviennent aujourd’hui principalement d’une fraction de la TVA, des droits de douane, d’une petite partie du système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE) ou encore de la taxe plastique. Et pour dégager d’amples recettes, deux options sont sur la table : élargir la base fiscale d’une taxe européenne existante ou créer une nouvelle source de taxation.
La Commission européenne avait déjà envisagé, de concert avec les Etats membres, le remboursement de la dette NGEU en partie à partir de nouvelles ressources propres. Au moment de trouver un accord politique sur le plan de relance NGEU en 2020, les Etats membres se mettent aussi d’accord sur une feuille de route en vue de la mise en place de nouvelles ressources propres. En décembre 2021, puis juin 2023, la Commission européenne a proposé les nouvelles sources de revenus pour le budget propre de l’UE suivantes : une extension des domaines couverts (secteur maritime, routier et de la construction) par le système d’échange des quotas de l’UE (SEQE-UE) et une meilleure répartition en faveur de l’UE s’agissant des revenus dégagés, la création du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM en anglais) et la redistribution d’une part de la taxation minimale des profits des multinationales (issue de l’accord OCDE/G20 sur la fiscalité internationale signé en 2021).
Mais depuis les propositions faites par la Commission européenne, peu d’avancées concrètes ont été réalisées sur l’instauration de nouvelles ressources propres et les négociations sont aujourd’hui au point mort sur les propositions de 2023. S’agissant du CBAM, il a fait l’objet d’un accord politique sur sa mise en place, mais un texte supplémentaire doit encore être adopté à l’unanimité des États pour transformer les recettes dégagées en ressources propres pour l’Union, ce qui devrait aboutir sous la nouvelle présidence polonaise du Conseil de l’UE. Mais avec 1,5 milliard d’euros de revenu attendu, c’est bien trop peu pour espérer éponger la dette NGEU. Pour le reste des ressources propres sur la table, point de fumée blanche, alors que la réforme du SEQE-UE pourrait rapporter 26 milliards d’euros par an, tandis que l’imposition minimale des profits multinationales amènerait environ 15 milliards d’euros chaque année dans les caisses de l’Europe.
En l’absence de nouvelles ressources propres, les États membres devront se résoudre à réduire le montant de politiques ou de programmes existants pour financer, ne serait-ce que la montée en puissance de la défense européenne. Un exercice périlleux car il est peu probable que la France s’accommode d’une réduction du budget de la PAC. La Pologne, qui vient de prendre la présidence du Conseil de l’UE, devrait fixer le maintien d’une politique de cohésion généreuse en ligne rouge et il reste 25 autres États membres à contenter. Et même en cas d’accord sur de nouvelles ressources propres au Conseil, puis au Parlement européen, le parcours du combattant pour une adoption définitive ne ferait que commencer. En effet, les traités européens obligent à passer par une ratification nationale dans chaque Etat membre. En somme, un processus presque aussi long et complexe que celui d’une révision des traités…
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