Le viol : une notion introuvable en Europe

Le droit des femmes : une bataille sans fin ? 3/4

, par Lila Vigne Gillet

Le viol : une notion introuvable en Europe
Portrait de Gisèle Pélicot par Ann-Sophie Qvarnström ©Wikimedia Commons

Le 19 décembre 2024, les 51 accusés du procès de l’affaire Pélicot sont tous reconnus coupables de viol ou d’agression sexuelle, avec des peines allant de 3 à 20 ans de réclusion criminelle, par la Cour criminelle du Vaucluse. Pendant dix ans, Gisèle Pélicot a été droguée et filmée à son insu par son mari, puis violée. L’affaire a eu un retentissement exceptionnel, au-delà des frontières françaises : pas moins de 36 médias étrangers ont couvert le procès.

En Europe, rien qu’en 2018 : 348 000 violences sexuelles ont été répertoriées par les forces de police, 1/3 fut des viols, les victimes étaient 9 fois sur 10 des femmes et 97,6% des personnes mises en cause étaient des hommes.

Une directive européenne incomplète

Le 14 mai 2024, une directive européenne est adoptée par le Parlement européen sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Les États membres ont 3 ans pour la transposer dans leur droit national. Ce texte introduit de nouvelles infractions pénales tout en harmonisant les peines applicables dans l’ensemble des États membres. Parmi ces infractions, figurent les mutilations génitales, le mariage forcé, le partage non consenti d’images intimes, la stérilisation forcée, ainsi que la traque furtive en ligne (cyberstalking).

Avec cette directive, toutes ces infractions seront sanctionnées de manière uniforme, mettant fin à la disparité entre certains États membres qui restent silencieux ou abordent ces actes de manière implicite. Il garantit aussi un meilleur accès à la justice pour les victimes, une meilleure aide avec des lignes d’assistance accessible dans toute l’Europe et des centres d’accueil dédiés.

Cependant, un point essentiel manque : une définition commune du viol. La directive proposait initialement d’inclure le viol dans la liste des euro crimes, des infractions particulièrement graves définies à l’article 83-1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Ces sanctions seraient donc les mêmes dans tous les États membres. Pour cela, ces crimes doivent relever de domaines particulièrement graves et doivent revêtir une dimension transfrontalière.

La définition voulue était la suivante : « 2. Les États membres veillent à ce qu’on entende par acte non consenti un acte accompli sans que la femme ait donné son consentement volontairement ou dans une situation où la femme n’est pas en mesure de se forger une volonté libre (…).

3. Le consentement peut être retiré à tout moment au cours de l’acte. (…) ».

Mais lors du vote, huit États membres s’y sont opposés : l’Allemagne, la France, la Hongrie, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie. Parmi leurs arguments : la définition serait trop floue, le viol relèverait des compétences nationales et non celle de l’Union européenne, et la charge de la preuve risquerait de peser davantage sur les victimes.

Pourtant, neuf États ont déploré le rejet de cette définition : la Belgique, la Croatie, l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, le Portugal et la Suède.

Des définitions nationales contrastées

Les divergences sur la définition du viol reflètent les différences culturelles et juridiques entre les États membres.

Dans le sillage de l’affaire Pélicot, le 1er avril 2025, l’Assemblée nationale française a adopté en première lecture une proposition de loi introduisant pour la première fois la notion explicite de consentement dans la définition du viol.

Le texte prévoit qu’un acte sexuel devra désormais avoir fait l’objet d’un « consentement libre et et éclairé, spécifique, préalable et révocable ». Cette réforme, encore soumise à l’approbation du Sénat, ajoute une exigence fondamentale de clarté sur le consentement.

L’Allemagne, bien qu’hostile à une définition européenne commune, reconnaît depuis 2016 comme viol tout acte sexuel « contre la volonté identifiable d’une autre personne ». Les Pays-Bas, également opposés à l’harmonisation, définissent pourtant le viol comme « un rapport sexuel non consenti ».

En Espagne, depuis octobre 2022, la loi « Sòlo sí es sí » est en vigueur (Seul un oui est un oui). Par cette loi, le viol repose sur l’absence de consentement explicite, lequel peut être retiré à tout moment. La charge de prouver le consentement appartient à l’agresseur et non plus à la victime. De plus, des centres spécialisés ont été ouverts où les victimes peuvent se rendre sans obligation de porter plainte immédiatement.

La Grèce, malgré un taux élevé de féminicides et une faible proportion des femmes à porter plainte, a reconnu dès 2019 qu’un rapport sexuel sans consentement constitue un viol, sans qu’il soit nécessaire de prouver une violence physique.

Une opportunité manquée pour l’Europe

Lors de la publication de la directive sans inclusion d’une définition commune du viol, de nombreuses voix se sont élevées, exprimant déception et frustration.

Pour certains, cette directive représentait une opportunité historique. Comme l’a souligné l’eurodéputée Evin Incir, « on ne peut pas débattre de la violence domestique tout en refusant d’intégrer la définition du consentement dans le viol. » Des associations telles qu’Amnesty International et le Planning familial ont qualifié cette omission d’« occasion manquée de protéger les femmes et les filles victimes de violences sexuelles à l’échelle européenne ».

Cette absence interroge sur la volonté réelle de l’Union européenne de traiter cette problématique de manière harmonisée et ambitieuse.

Une définition commune aurait permis de mieux encadrer les violences sexuelles à travers les États membres. Elle aurait également constitué un progrès majeur pour les pays qui n’ont pas signé la Convention d’Istanbul de 2014, texte clé qui reconnaît les violences faites aux femmes comme une forme de discrimination et impose une responsabilité aux États pour y répondre. Cependant, avec une telle définition, certains pays conservateurs, à l’image de la Hongrie sous Viktor Orbán, auraient tenté d’annuler cette directive devant la Cour de justice de l’Union européenne pour violation des compétences de l’Union.

L’absence de définition commune laisse un flou juridique et une inégalité de traitement des victimes de violences sexuelles à travers l’Europe. Entre 45 % et 55 % des femmes dans l’UE déclarent avoir subi du harcèlement sexuel avant l’âge de 15 ans, tandis que le coût sociétal annuel de la violence contre les femmes est estimé à 290 millions d’euros. En l’absence de norme uniforme, les victimes risquent d’être confrontées à des systèmes juridiques incohérents et peu protecteurs.

Cet article a été écrit dans le cadre de l’édition du Taurillon auvergnat de mai 2025 : « Le droit des femmes : une bataille sans fin ? »

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