Sur les réseaux sociaux et à la suite de plusieurs reportages, j’ai vu toute la palette de réactions possibles. Certains accusent l’Union européenne de ne rien faire, d’autres soulignent que si les Etats membres n’ont pas assez d’argent à investir dans les infrastructures de santé, c’est à cause de l’UE elle-même. A contrario, certains saluent la solidarité entre Etats membres, tandis que d’autres s’empressent de saluer l’aide financière de plus de 500 milliards d’euros débloquée il y a une quinzaine de jours.
Cette question est très difficile à traiter et il ne s’agit pas de vous imposer un point de vue. Elle est délicate car elle doit faire appel à de solides connaissances en matière juridique (ce que les Traités prévoient) ; en matière historique (ce qui a déjà été fait par le passé pour traiter les questions sanitaires, comme la grippe H1N1) ; en matière financière et politique (quelles sont les politiques de santé adoptées par les Etats membres).
Par conséquent, j’aimerais explorer la politique de santé de l’Union Européenne, en fournissant quelques données factuelles et juridiques, tout en répondant à deux principales questions : A qui appartient la compétence de gestion des politiques de santé, l’Union Européenne ou les Etats membres ? Quels facteurs peuvent expliquer les différences entre les politiques de santé liées au covid-19 des Etats membres ?
J’ai choisi des questions volontairement larges, afin de laisser de la place à votre propre opinion. De plus, ce sont celles que je juge être les plus pertinentes pour nous donner des connaissances suffisamment solides et nous permettre d’exercer notre esprit critique sur toutes les informations circulant sur internet, pour mieux discerner les plus folles et les plus erronées.
A qui appartient la compétence de gestion des politiques de santé ?
Avant d’entamer mes recherches personnelles, j’avais tendance à penser que la compétence santé devait être une compétence partagée entre les Etats membres, libre de décider de la politique à mener, et l’Union Européenne, apportant financements, informations et conseils. En effet, j’imaginais que les institutions européennes étaient le parfait échelon pour pointer les points forts et faibles des politiques de santé de chaque Etat membre, et leur permettre de s’inspirer mutuellement en échangeant les bonnes pratiques.
J’étais proche de la réalité : la santé est une compétence communautaire d’appui. Chaque Etat membre est donc responsable de sa politique, contrairement à plusieurs idées reçues, selon lesquelles seules les institutions européennes définissent les politiques de santé, sans vraiment consulter les États membres sur les spécificités et besoins de leur population et structures médicales. Selon l’article 168 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, l’Union peut intervenir dans des domaines très larges, en appui : L’amélioration de la santé publique ; L’information et l’éducation en matière de santé ; La prévention des maladies et des causes de danger pour la santé physique et mentale ; La lutte contre les grands fléaux, en favorisant la recherche sur leurs causes, leur transmission et leur prévention ; La surveillance, l’alerte et la lutte contre les menaces transfrontières graves sur la santé ; La réduction des effets nocifs de la drogue sur la santé.
L’objectif assigné à l’Union Européenne est bel et bien d’encourager la coopération entre les Etats membres et principalement, la coordination de leurs politiques sanitaires, notamment pour les régions transfrontalières. L’optique est d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine, dans toutes les politiques européennes.
A cet effet, les institutions européennes peuvent adopter des textes contraignants, à l’instar des directives récentes imposant un certain niveau de nicotine dans les cigarettes. En outre, pour traiter des épidémies ou pandémies, l’Union Européenne peut convoquer en urgence les 27 ministres de la santé, et éventuellement le Conseil Européen, afin d’accélérer la coordination des politiques de santé, tout en favorisant le partage d’informations, de procédés et de résultats d’essais cliniques notamment. Enfin, l’Union Européenne peut assouplir le cadre de certaines politiques existantes : dans le cadre de la crise actuelle, c’est le cas de certaines règles budgétaires, concernant l’endettement maximal fixé à 60% et l’objectif de déficit public maximum de 3% selon les critères du Traité de Maastricht.
En résumé, si les politiques de santé étaient un bateau, les Etats membres tiendraient le gouvernail, tandis que l’Union Européenne serait le matelot préposé à la longue-vue (pour éviter un iceberg, sait-on jamais ?).
Quelle est l’origine des différences en matière de politiques de santé au sein de l’Union Européenne ?
Avant de me lancer dans l’examen des dépenses publiques des Etats membres consacrées à la santé - qui, je le savais, allait m’apporter un éclairage très important sur la santé au sein de l’Union - j’avais entendu parler des différentes attitudes des Etats membres par rapport à la gestion du virus. Certains pays sont fortement touchés, comme la France, l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni, tandis que d’autres affichent très peu de cas, ou de morts, comme l’Allemagne, ou les pays nordiques. Certains pays possèdent plus de lits de réanimations que les autres (c’est le cas de l’Allemagne) et ne manquent pas d’équipements, comme certains pays d’Europe centrale ou nordique. D’autres ont généralisé le confinement, comme la France, l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni, plus ou moins bien respecté d’ailleurs. Or, notons que certains Etats membres ont décidé de déconfiner progressivement, comme l’Allemagne depuis le 20 avril, ou l’Autriche et le Danemark la semaine dernière. En parallèle, plusieurs Etats ont généralisé le test de la population, comme l’Allemagne, alors que d’autre attendent encore leur homologation. Enfin, certains pays d’Europe Centrale ont fermé leurs frontières, telle que la République Tchèque.
Ces pièces du puzzle ne nous permettent pas d’affirmer clairement et objectivement quelle politique de gestion de crise est la plus efficace. Il nous manque du temps, du recul pour l’analyse globale des données officielles (très probablement sujettes à des modifications a posteriori, comme en Chine, quoiqu’à une échelle moindre). Néanmoins, force est de constater que la situation est plus grave d’un pays à l’autre. Cela dépend bien entendu de la gestion de crise actuelle, mais également de facteurs structurels.
Focalisons-nous dans un premier temps sur les dépenses de santé par Etats membre et celles par habitants. Eurostat a publié en février 2020 des données portant sur l’année 2017. Remarquons que la Suède, l’Allemagne et la France consacrent plus de 11% de leur PIB à la santé (prise ici globalement, incluant toutes formes de maladies), alors que la majorité des autres Etats, principalement les pays d’Europe centrale et de l’Est, en plus de l’Italie, y consacrent entre 7 et 9% du PIB.
Les dépenses par habitant offrent un autre éclairage : ceux qui dépensent plus de 5 000 euros par tête sont uniquement le Luxembourg, le Danemark et la Suède. En comparaison, la Roumanie investit 494 euros. Les pays du Sud, comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce investissent entre 1000 et 3 000 euros par habitant. Cependant, de nombreux reportages montrent que leur système de santé est sous financé et détérioré : c’est à cette occasion que de nombreuses personnes critiquent l’Union Européenne, en arguant (occasionnellement) du fait que ces pays ont été contraints à l’austérité, et ont donc fait des coupes budgétaires dans ce domaine. Pourtant, ils se situent dans la moyenne européenne, autour de 2000 euros en 2017.
Examinons le cas particulier de la Grèce : les dépenses de santé, définies comme les ressources économiques allouées à la santé (par les ménages et autres acteurs de financement des soins), ont chuté de presque 8 milliards d’euros, entre 2009 et 2017, après la crise économique. Ces données peuvent donc illustrer l’impact de l’austérité décidée à l’échelle européenne dans le seul cas de la Grèce. peut-être est il judicieux de se garder de toute généralisation hâtive.
En conclusion, cet article aurait pu être intitulé : « Le vrai du faux sur la politique de santé de l’Union Européenne : dialogue avec moi-même pour éclairer un débat complexe ». Complexe est le mot, car il faut considérer plusieurs aspects : les dépenses de santé, le nombre de lits de réanimation, le vieillissement de la population, accentuant les besoins de financement, ou encore les distinctions entre dépenses de santé publiques et privées. Cet article s’est centré sur des données juridiques et financières pour éclairer en partie nos opinions.
D’autres pistes restent à explorer pour évaluer la gestion de la crise du coronavirus : quelle part allouer à la santé dans le prochain budget de l’Union ? Faut-il réduire le poids de l’Union dans la coordination des politiques, et laisser place à une solidarité spontanée entre Etats membres, comme lors de l’envoi de masques par l’Allemagne, la Suède, la République Tchèque ou la France entres-autres ?
1. Le 5 mai 2020 à 10:17, par Pierre Thomas En réponse à : Le vrai du faux sur la politique de santé de l’Union Européenne
Merci pour cet article ! ne peut-on toutefois pas penser que, en imposant des politiques d’austerité (comme en Grèce, évoqué ici) l’UE et la BCE ont orienté, voire même mis des oeillères aux pays, les incitant à réduire leurs dépenses de santé, et donc à avoir une responsabilité conséquente sur la crise sanitaire en Espagne et en Italie ?
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