La nature même du scrutin, avec l’élection à la proportionnelle, produit une polarisation particulière : tout groupe politique ancien ou émergeant se sent l’envie et le droit de participer. De plus les dysfonctionnements, dans grandes organisations politiques pour les élections européennes elles-mêmes, alimentent les critiques et les rejets. Comme c’est une opportunité politique et médiatique pour exister facilement, le danger est énorme de voir se multiplier les listes. Dans le contexte de morosité anti-européenne, la dispersion des voix, légitime, peut entrainer des résultats inattendus et graves.
En effet le paysage est balisé par quatre mouvances : les pro-européens progressistes, les pro-européens conservateurs, les traditionalistes et les nationalistes.
Chacune est bien sûr hétérogène, mais leur identification permet de se représenter les futures batailles électorales, les alliances et les jeux de pouvoirs.
Les nationalistes veulent détruire l’Union européenne et bloquer les projets qui conduisent à plus d’Europe. L’Europe fédérale, les fédéralistes, Bruxelles, le partage des souverainetés sont leurs ennemis déclarés. Leur fond commun comprend aussi la xénophobie et divers racismes. Démonter leur programme pour informer les citoyens est un devoir. Ils revêtent des formes anciennes de fascisme et de nazisme ou adoptent des formules plus honorables de néonationalismes. Au total ils pourront constituer un agrégat dangereux au sein du Parlement européen. La lutte contre leur influence durera bien au-delà de la campagne électorale.
Les traditionalistes, comme je propose de les nommer, restent enfermés dans des visions nationales pour la résolution des problèmes qu’ils soulignent et mettent en avant dans leurs programmes. Leur capacité de tolérance face à l’Europe existante est variable selon les sujets, souvent pleine de contradictions. Leurs critiques vives sont partielles et évolutives.
Les uns sont conservateurs économiquement, socialement et culturellement. Ils appartiennent aux droites nationales classiques. Ils défendent et représentent des groupes sociaux ou corporatistes plus ou moins étroits.
D’autres défendent des valeurs populaires, de gauche, pour plus d’égalité sociale. La priorité donnée aux luttes défensives borne l’horizon. L’appel au levier du sentiment national pour contrer les dominants est inscrit dans un protocole de longue date, avec un vernis internationaliste qui s’est largement effrité.
Ces deux sous-groupes rêvent d’une société plus simple et plus lisible, comme « avant », à la différence de l’Europe actuelle perçue comme trop complexe et qu’ils méconnaissent souvent. Ils sont le vivier dans lequel les nationalismes peuvent encore trouver leurs marges de progression.
C’est pourquoi les deux groupes pro-européens doivent assumer une lourde tâche politique : empêcher que les « traditionalistes », conservateurs ou progressistes, basculent dans les nationalismes.
Les pro-européens conservateurs veulent une Europe, qui pourrait devenir fédérale pour certains d’entre eux, mais qui conserve le système économique et de répartition des richesses, les dominations existantes, quitte à accepter quelques régulations partielles dans le cadre européen. Des critiques constructives contre les institutions européennes sont formulées dans certains cercles. Mais disposant d’une majorité relative au parlement européen (PPE) et avec un parti proche (ADLE) cette mouvance influence dans le sens du libéralisme économique toutes les politiques de l’Union européenne à travers les Commissaires européens et les gouvernements nationaux majoritairement de leur bord.
Les pro-européens progressistes s’expriment de façon contradictoire par rapport au projet fédéral pour l’Europe. Pour la gauche sociale-démocrate, il est projeté dans un avenir lointain et elle n’en fait pas le cœur de son combat. Le poids du groupe Socialiste et démocrates (SED) dans le Parlement européen est tel que l’hypothèse est avancée qu’ils puissent être la force majoritaire d’où serait issu le futur président de la Commission. Pour Europe-Ecologie/les Verts au contraire, le choix fédéraliste est clair. La Gauche Unie Européenne (GUE) constitue un cas particulier. L’acceptation des règles du jeu de l’Union européenne et la participation active et constructive aux travaux s’accompagnent de critiques virulentes, impulsées ou relayées par ses bases militantes inscrites le plus souvent parmi les « traditionnalistes » décrits précédemment.
Certains responsables et analystes ont la tentation de placer cette expression politique sur le même plan que les nationalistes. C’est objectivement une erreur et de plus une faute politique pour l’avenir. Seul un travail politique solide et exigeant d’échanges et de coopération permettra de d’élargir les apports essentiels de cette mouvance à la suite de la construction européenne.
Pour une expression autonome des fédéralistes européens progressistes.
Tout en conservant leurs divergences, les pro-européens seront conduits à s’allier entre eux en temps voulus : aujourd’hui pour combattre les nationalistes et demain pour contribuer au saut fédéral. Ils continueront ainsi à être les promoteurs d’une Europe démocratique.
Mais aujourd’hui, il manque une expression politique autonome et assez puissante qui conjugue le projet fédéral européen et des choix progressistes : lutte contre les inégalités, luttes contre les puissances financières, plus d’égalité, plus de défense des plus faibles, protection des environnements, solidarité internationale. L’émergence de quelques initiatives ouvre un espoir que j’espère voir fleurir.
En effet, des mouvements s’expriment (Sauvons l’Europe ! Groupe Roosevelt), des actions sont lancées, les Initiatives citoyennes européennes -ICE- se multiplient, dont celle « pour un plan de développement européen extraordinaire de développement durable et pour l’emploi ».
Et donc demain des fédéralistes européens pourront peser dans la campagne des élections européennes pour contrer les nationalistes, en portant l’espoir d’une Europe plus juste, plus démocratique, plus sociale.
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