« Les institutions européennes font preuve d’une remarquable capacité d’adaptation »

Entretien avec Alexandre Robinet-Borgomano, Responsable du programme Europe de l’Institut Montaigne, au sujet de la réponse européenne à la pandémie de Covid-19

, par Alexandre Robinet-Borgomano, Basile Desvignes

« Les institutions européennes font preuve d'une remarquable capacité d'adaptation »
Source : Pixabay

La crise sanitaire que traverse l’Europe est un nouveau défi pour la construction européenne. Devant la vitesse de propagation du COVID-19, les Etats européens ont réagi de manière dispersée et unilatérale. La solidarité européenne, notamment à l’égard de l’Italie, a fait défaut au profit de réflexes nationaux. La fermeture des frontières au sein de l’Union est à ce titre un tournant historique qui aura probablement des conséquences durables sur l’idée de solidarité européenne.

L’absence de réponse européenne rapide et coordonnée face au coronavirus a été pointée du doigt par plusieurs observateurs. Ce manque de réaction est-il imputable aux Etats membres ou au contraire, aux institutions communautaires ?

L’ampleur de la crise a pris de court tous les décideurs européens, au niveau des institutions comme à celui des États. La Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a d’ailleurs reconnu dans une interview publiée par le Bild Zeitung le 18 mars dernier que la politique avait sous-estimé cette crise, dont le caractère inédit a montré combien la tentation du repli national continuait de travailler les États européens. L’interdiction d’exporter du matériel médical formulée par la France et l’Allemagne, ou la décision prise par plusieurs états membres de fermer les frontières, témoignent de la permanence des réflexes nationaux au sein de l’Union. Cette situation inédite a également révélé combien la capacité d’action des institutions était limitée : les normes, qui fondent leur pouvoir, ne leur permettent pas de décider et d’agir en temps de crise.

Les institutions européennes semblent désarmées face à la crise sanitaire, enjeu pourtant typiquement transnationale. La situation peut-elle aboutir à un élargissement des compétences européennes et à la création d’une « Union de la santé » adaptée à ce type d’urgences ?

Si la politique de santé relève de la compétence des États membres, l’Union européenne a déjà un rôle important à jouer dans leur accompagnement. L’art. 168 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit ainsi que l’Union « complète » les actions menées par les États dans le domaine de la santé, en encourageant la coordination des politiques nationales et en menant des actions de prévention. Mais le Traité prévoit également que l’UE agit contre les grands fléaux et les menaces transfrontalières sur la santé, en favorisant la recherche sur leurs causes, leur transmission et leur prévention. Un Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, basé à Stockholm, est précisément chargé d’évaluer et surveiller les risques sanitaires émergents, afin de coordonner les réponses à ces risques... Plus que de nouvelles compétences, l’Union a besoin de moyens financiers et de fonctionnaires de terrain pour accomplir les missions qui lui sont déjà attribuées.

Les institutions et Etats européens peuvent-ils déjà s’appuyer sur certains mécanismes comme la réserve médicale « resCUE », activée pour la première fois par la France en janvier 2020 ?

Le 19 mars 2020, le Commissaire chargé de la gestion des crises, Janez Lenarčič, a annoncé la création d’une réserve médicale « rescEU » afin de rassembler rapidement les équipements nécessaires à la lutte contre le coronavirus comme des masques de protection, des respirateurs artificiels et du matériel de laboratoire… Selon le Commissaire « cette réserve permettra de soutenir les États membres qui sont confrontés à des pénuries de matériel nécessaire pour traiter les patients infectés, mais aussi de protéger les professionnels de la santé et de ralentir la propagation du virus ». La réserve RescUE, qui est un élément central du mécanisme européen de protection civile, était jusqu’alors essentiellement orientée vers la lutte contre les incendies de forêts… Sa nouvelle orientation témoigne d’une remarquable capacité d’adaptation des institutions, mais la constitution de cette réserve médicale prendra évidemment du temps. A cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que le Commissaire Michel Barnier avait appelé dès 2006 à la création d’une force européenne de protection civile pour mieux préparer l’Europe face aux crises et prévenir ces situations d’improvisation.

Dans les années 1950, le projet d’une Communauté Européenne de Santé a déjà été abandonnée car les Etats européens désiraient conserver leur souveraineté en la matière. Pensez-vous qu’ils soient aujourd’hui favorables à une telle évolution ?

C’est peu probable, même si la santé constitue l’une des premières préoccupations des citoyens européens, et ce bien avant le déclenchement de l’épidémie. Les consultations citoyennes sur l’Europe, organisées en 2018 à l’initiative du Président français Emmanuel Macron, avaient déjà montré que la politique européenne en matière de santé représentait l’une des principales attentes des citoyens vis-à-vis de l’Union. Plusieurs pistes ont alors été envisagées, allant de l’harmonisation des systèmes de santé à un meilleur contrôle des laboratoires pharmaceutiques. Le vrai sujet aujourd’hui, c’est celui du renforcement de la recherche médicale au niveau européen. Il est nécessaire de réorienter les budgets européens alloués à la recherche vers le secteur médical et de mieux coordonner les efforts des laboratoires européens pour accélérer la mise au point d’un vaccin contre le COVID-19. A long terme, cet effort dans la recherche doit également permettre d’assurer une souveraineté européenne en matière de santé.

Lors des dernières crises, l’Union européenne a su s’adapter en s’appuyant sur un centre résolument confiant dans l’idée européenne. Aujourd’hui, l’Allemagne est tentée par une politique de repli. Les initiatives d’autres Etats membres peuvent-elles relancer l’idée de solidarité et de coopération européenne ?

Si l’Allemagne est tentée par une politique de repli, comme je l’expliquais sur le site de l’Institut Montaigne, il convient de distinguer le pays de son Gouvernement : au pouvoir depuis plus de 15 ans la Chancelière est visiblement marquée par une forme de lassitude ou de désillusion vis-à-vis de l’Europe. Rappelons que ses appels à la solidarité européenne étaient restés lettre morte lorsqu’elle avait tenté d’imposer une solution européenne à la crise migratoire en 2015… Pour autant, de nombreux Länder ont ouverts leurs lits d’hôpitaux à des patients français ou italiens, et les Verts allemands trouvent dans cette crise un moyen de mettre en valeur leur engagement pro-européen. L’idée européenne n’est pas morte en Allemagne. Les initiatives d’autres Etats membres peuvent évidemment relancer l’idée de solidarité et de coopération en Europe, à condition de ne pas se focaliser sur des projets rejetés depuis longtemps par Berlin… Ne soyons pas bornés. La solidarité et la coopération en Europe peuvent trouver d’autres voies qu’une mutualisation des déficits, que le Président Macron qualifiait, à juste titre, « d’indicible allemand ».

La Chine et la Russie mènent aujourd’hui une « politique de générosité » en Italie dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Quelles conséquences peuvent avoir ces manœuvres sur le long terme ?

Cette « politique de générosité » pourrait conduire à renforcer l’attractivité du modèle néo-autoritaire porté par la Chine comme par la Russie. L’Ambassadeur Michel Duclos, conseiller spécial de l’Institut Montaigne pour les questions géopolitiques, a bien montré que la "compétition entre puissances", non seulement faisait passer au second plan la solidarité internationale et se traduisait par une étonnante concurrence, en termes de "soft power", entre la Chine et ses principaux rivaux. Alors que la Chine a envoyé moins de manques à l’Italie que la France et l’Allemagne, c’est elle qui récolte les fruits d’une aide parfaitement mise en scène. Sur le long terme, ces manœuvres devraient conduire l’Union européenne à repenser la façon dont elle communique sur ses actions.

Quelles seraient, selon vous, les conditions pour que l’Union européenne sorte renforcée de cette crise ?

La crise a suspendu en quelques jours tout ce qui faisait la force du projet européen : l’absence de frontières, la discipline budgétaire, le libre concurrence et l’idée même de solidarité… Le Président Jacques Delors a raison de voir dans la situation actuelle un « danger mortel » pour l’Europe.

Je vois trois conditions qui pourraient permettre à l’Union européenne de sortir renforcée de cette crise. Il faudrait tout d’abord que le laboratoire qui parviendra à produire le vaccin contre le COVID-19 ait bénéficié du soutien de l’Union européenne, et que les institutions jouent un rôle central dans la diffusion du vaccin, sur le continent et au-delà. Il faudrait ensuite que l’Union européenne apporte un soutien massif à l’économie européenne pour prévenir son effondrement. Plus que des « corona bonds » il est temps de mettre en place un « corona fund », qui permettra à l’Union européenne après la crise de disposer d’un budget à la hauteur de ses ambitions. Il faudrait enfin que l’Union européenne évite de sacrifier son Green Deal sur l’autel de la relance... Les plans de soutien à l’économie impulsés par les Etats membres et la Commission peuvent et doivent contribuer à soutenir un nouveau modèle de croissance, respectueux de l’environnement et tourné vers les emplois de demain. Si ces conditions sont réunies, la crise marquera l’avènement d’un nouveau modèle européen.

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