Les nuages noirs de la finance s’accumulent au-dessus de la Lettonie

, par Théo Boucart

Les nuages noirs de la finance s'accumulent au-dessus de la Lettonie

La Lettonie, membre de l’eurozone, est empêtrée depuis plusieurs semaines dans une série de scandales financiers éclaboussant l’une des plus grandes banques du pays et le gouverneur de la banque centrale lettone. Cette crise est prise très au sérieux par les institutions et notamment la Banque Centrale européenne (BCE).

La Lettonie est l’avant dernier pays à avoir adhéré à la monnaie unique en 2014. Elle est également l’un des plus petits états de l’eurozone avec 2 millions d’habitants. Son économie ne représente que 0.2% de l’économie de la zone euro mais la difficulté soudaine de son secteur bancaire inquiète. Le spectre d’une contagion n’est jamais loin quand on parle de crise bancaire, tant les capitaux sont mobiles.

En 2008, le pays balte a été frappé de plein fouet par une crise économique et financière extrêmement violente. Le PIB letton a baissé de 25% entre 2008 et 2009 et même si une cure d’austérité très vigoureuse a relancé la croissance dès 2010, la situation économique du pays reste assez fragile avec un chômage toujours élevé et une dette publique en forte augmentation. Le système bancaire est également depuis plusieurs années sous surveillance, non pas que le bilan des établissements bancaires soit surdimensionné par rapport à l’économie lettone, mais parce qu’ils attirent les capitaux étrangers (surtout en provenance de Russie). Le système pourrait donc être fortement ébranlé en cas de fuite massive des dépôts. D’autres facteurs sont également en mesure de dégrader la situation financière de la « Suisse de la Baltique ».

La troisième banque du pays dans la tourmente du blanchiment d’argent

Le blanchiment d’argent en fait effectivement partie. Tout commence le 13 février lorsque le département du Trésor américain annonce qu’ABLV, la troisième banque du pays avec près de 3.6 milliards d’euros d’actifs, est accusée de blanchiment massif d’argent et serait impliquée dans le financement du programme balistique de la Corée du Nord, via les nombreux dépôts étrangers (40% des dépôts d’ABLV sont détenus par des non-résidents). La nouvelle fait l’effet d’une bombe à la BCE qui a gelé les paiements d’ABLV le 19 février pour éviter une hémorragie. Finalement, le 24 février, l’institution de Francfort a déclaré la banque lettone en faillite. Après les révélations du département du Trésor américain, la situation d’ABLV s’est en effet subitement dégradée, et c’est pour éviter le risque de contagion que la BCE a imposé le gel des paiements en mesure préalable. La direction de la banque a quant à elle crié à la manipulation politique et assure avoir fait le nécessaire pour tenter de recapitaliser la banque.

Le gouverneur de la banque centrale de Lettonie limogé et interpellé

L’affaire ABLV intervient en même temps qu’un scandale politico-financier impliquant le gouverneur de la banque centrale lettone, Ilmars Rimsevics. Ce dernier aurait touché des pots-de-vin de la part d’un homme d’affaire russe. Le Premier Ministre letton Maris Kucinkis l’a relevé de ses fonctions en attendant les résultats de l’enquête. Ilmars Rimsevics était président de la banque centrale lettone depuis 2001 et à ce titre, membre du Conseil des Gouverneurs de la BCE depuis 2014 (lorsque la Lettonie a adhéré à la zone euro). Ilmars Rimsevics a donné une conférence de presse le 20 février pour exprimer son innocence et son refus de démissionner.

Le gouvernement letton n’exclut pas que cette affaire soit une volonté du Kremlin de mener une campagne de désinformation pour nuire à la crédibilité de la Lettonie, bien qu’aucune preuve ne soit disponible. Certains membres du Parlement letton réclament quant à eux la démission du gouvernement. Le lien avec l’affaire d’ABLV n’est pas avéré, mais la simultanéité des deux affaires fragilise grandement le système financier letton et entame la crédibilité de la Banque centrale européenne.

Les limites de l’union bancaire européenne mises à jour ?

Plus que l’affaire Ilmars Rimsevics, c’est la faillite d’ABLV qui pose la question de l’efficacité de l’union bancaire européenne. La BCE a en effet déclaré la banque lettone en faillite via le MRU (mécanisme de résolution unique) mais le MSU (mécanisme de supervision unique) n’a pas fonctionné car ce sont les autorités américaines qui ont donné l’alerte en premier. Le MSU est pourtant fondamental pour prévenir une prochaine crise financière systémique dans la zone euro, une crise qui pourrait alors emporter la fragile reprise économique du continent. Ce qui se passe en Lettonie est peut-être l’affaire de tous.

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