Un retard français qui exaspère les partenaires européens et italiens
“Nous sommes en retard sur le Lyon-Turin, et ces retards coûtent très cher. Il est temps de prendre des décisions claires, c’est crucial. Un tunnel sans accès, cela n’a pas de sens.” se lamentait Iveta RADIČOVÀ, le 28 juin dernier. La coordinatrice européenne à la Commission faisait explicitement référence à la section française du projet, bien en retard comparaiment aux sections italiennes et transfrontalières, en cours de réalisation.
Inscrite dans le corridor méditerranéen du réseau transeuropéen de transport, un programme soutenu par la Commission européenne et le Parlement européen, la nouvelle ligne du Lyon-Turin figure comme une liaison fondamentale et prioritaire à l’échelle de l’organisation continentale. À long terme, le corridor prévoit de relier par le rail Alméria, en Espagne, à Budapest, en Hongrie.
Mais côté français, le tracé entre Lyon et le tunnel transfrontalier attend toujours d’être précisé par le gouvernement. Sa réalisation avoisinerait 7 milliards d’euros, soit près d’un tiers du coût total du projet. Compte tenu de son absence de décision, la France ne peut faire la demande de subventions européennes pour sa section ; la date butoir de dépôt de dossiers s’étant clôturée le 18 janvier dernier pour l’année 2023. Par l’intermédiaire du ministre français des Transports, Clément Beaune, une demande de subventions sera formulée "au cours de l’année" pour un examen du dossier en 2024 par les instances européennes. Ce retard engendré, couplé aux manques de sécurisation financière côté français gênent l’ensemble des acteurs de la liaison, italiens comme européens. La section de l’autre côté de la frontière a, elle, déjà été lancée depuis 2011. Cette situation soulève des interrogations autour des engagements pris comme le soulignait Paolo FOIETTA, chef de la délégation italienne à la Commission Intergouvernementale Lyon-Turin, le 1er octobre 2021 : “Nous demandons respectueusement à la France de prendre rapidement les mêmes décisions.”
La défense de l’environnement : le coeur du projet comme celui des contestations
Conjointement, le projet soulève localement de plus en plus de contestations notamment sur les volets écologiques et socio-économiques. “Nous rejetons la logique du projet Lyon-Turin et de ses partisans, dont le bilan est la casse du fret ferroviaire dans notre pays depuis 30 ans.” peut-on lire dans la tribune signée par 150 élus, membres associatifs et syndicats français, postée en ligne sur le média Reporterre le 20 décembre dernier. Paradoxalement, l’argument écologique est mis en exergue par les fervents défenseurs de la future ligne, dans la mesure où celle-ci serait une option crédible de substitution des échanges de marchandises “de la route au rail” dans cette partie des Alpes. Actuellement, la France et l’Italie échangent 45 millions de tonnes chaque année principalement par voies routières (92% des cas) . Cela correspond à plus de 2,7 millions de poids lourds traversant la frontière chaque année. L’objectif d’accompagner un report modal dans l’échange de marchandises se concrétiserait par la substitution de 700 000 à 1 million de camions selon Jacques GOUNON, président de la Transalpine. La création d’une nouvelle ligne semble par conséquent, écologiquement primordiale pour soutenir les échanges transfrontaliers.
De l’autre côté, la nouvelle liaison est qualifiée de “déplorable” d’un point de vue écologique selon la tribune évoquée précédemment. Dans son rapport de 2020, la Cour des comptes européenne évalue que la liaison ne compensera les émissions CO2 issue de ses travaux qu’au moins 25 ans après son ouverture.
Fluidité et social : deux autres arguments en (dé)faveur de la nouvelle ligne
De même qu’il existe déjà une ligne ferrée entre les deux métropoles. Pour les défenseurs du projet, cette dernière est jugée inadaptée et inopérante face au trafic de fret actuel tandis qu’elle est à renforcer d’urgence selon les opposants. L’actuelle ligne cristallise donc les débats de la nouvelle. Cette liaison, inaugurée en 1870, a été progressivement délaissée du fait de plusieurs problèmes notamment une sinuosité forte ou encore une faible vitesse de circulation des trains sur certaines sections. Problèmes se devant d’être résolus par la nouvelle liaison.
D’un point de vue social, des litiges éclatent entre locaux et acteurs de la nouvelle liaison. L’exaspération des habitants est notamment provoquée par l’expropriation de certains d’entre eux : 6500 exploitations et propriétés sont concernées par le tracé de la section transfrontalière. De part et d’autre, des manifestations dénoncent le projet, comme en Italie avec par l’association active No Tav (No treno ad alta velocità, Non au train à grande vitesse).
La lenteur française dans le dossier concernant principalement sa section engendre une recrudescence des incertitudes et accentue l’opposition des positions de part et d’autre du massif alpin, tout acteur confondu. Alors ministre chargée des Transports au printemps 2019, Élisabeth Borne, s’exprimant au Sénat sur le projet de Loi d’Orientation des Mobilités, affirmait que « L’engagement de la France est très clair sur la section internationale du Lyon-Turin et naturellement, en cohérence, sur la réalisation des accès [section française] ». A titre de comparaison, les accès britanniques n’ont été achevés que 13 ans après la mise en service du tunnel sous la Manche. Une situation similaire que pourrait connaître le Lyon-Turin mais, cette fois-ci, côté français.
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