Macédoine : une nouvelle étincelle dans la poudrière des Balkans

L’escalade de la situation politique en Macédoine

, par Marie Jelenka Kirchner, Traduit par Elodie Arrighi

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Macédoine : une nouvelle étincelle dans la poudrière des Balkans
La police interdit l’accès au siège du Parlement de la République de Macédoine ainsi qu’au parc attenant. © Marie Jelenka Kirchner

Ces derniers mois, la Macédoine s’est retrouvée dans une situation de crise gouvernementale en échouant dans la recherche d’un gouvernement, ce qui a mené le pays à une impasse. Hier soir la situation s’est intensifiée lorsque des centaines de manifestants nationalistes sont entrés dans le Parlement de force.

Après une année chargée en événements politiques pour la Macédoine, des élections se sont finalement déroulées en décembre 2016, offrant 51 sièges aux anciens gouverneurs du parti nationaliste VMRO-DPMNE et 49 sièges au parti social-démocrate SDSM. Afin de former un gouvernement, chacun de ces partis devait former une coalition avec un ou plusieurs partis d’Albanie également présents parmi les députés élus du Parlement. En raison de leur idéologie, VMRO-DPMNE n’a pas réussi à former une coalition avec un parti albanais en janvier. Gjorge Ivanov, le président de Macédoine, qui appartient à VMRO-DPMNE mais est sensé demeurer neutre, a depuis lors refusé de donner le mandat nécessaire à la constitution d’un gouvernement avec le SDSM. Il justifie cette décision anticonstitutionnelle par la protection de l’intégrité de la Macédoine et la souveraineté à l’égard de la menace étrangère. Par le biais de cette rhétorique il utilise et renforce les lignes de conflit qui opposent les deux principales ethnies en Macédoine : les Albanais et les Macédoniens slaves dans la perspective de s’accrocher au pouvoir de son propre parti.

La prétendue “plateforme albanaise”, formée après les élections de décembre, est utilisée pour représenter un risque apparent de menaces étrangères. Les représentants des partis macédoniens albanais se sont réunis pour réclamer certains droits des minorités comme l’introduction de l’albanais en tant que seconde langue officielle de la république de Macédoine. Un tel changement requiert une modification de la Constitution avec une majorité des deux tiers au Parlement. Le SDSM ne bénéficie pas d’une majorité des deux tiers avec les partis albanais, toutefois il continue d’appuyer la revendication de la plateforme et réclame davantage d’intégrité ethnique.

Pendant deux mois, les partisans de VMRO-DPMNE ont envahi chaque après-midi les rues de Skopje, contestant la destruction de leur pays à travers une menace albanaise. En prétendant que le SDSM supporterait les terroristes albanais et en ravivant les peurs d’un conflit inter-ethnique qui avait conduit la Macédoine au bord de la guerre civile en 2001, l’ “Initiative civique pour une Macédoine unie” alimente une atmosphère raciste et nationaliste.

Refus de tout progrès dans la création d’un gouvernement mené par l’opposition

La situation s’est aggravée lorsque des centaines de manifestants, plutôt que de s’arrêter devant le Parlement comme à l’accoutumée, ont violemment forcé l’entrée du Parlement à la fin de leur rassemblement jeudi 27 avril au soir. L’élément déclencheur a été l’élection du politicien Talaf Xharefi, d’origine albanaise, au poste de Président du Parlement. Dès lors qu’un président du Parlement est élu avec une majorité simple, il ou elle est en droit d’attribuer un mandat nécessaire à la formation d’un gouvernement avec n’importe quel parti et libère ainsi le Président de cette responsabilité. C’est le premier pas vers un nouveau gouvernement dirigé par le SDSM. 

Cet événement, dénoncé comme une décision anticonstitutionnelle par les médias nationaux et les activistes nationalistes, a déclenché une vague de violence. La police et les agents de sécurité présents étaient en sous-effectif et ont à peine essayé de retenir les intrus lorsqu’ils ont commencé à pousser en direction de la salle plénière. Les médias présents à ce moment-là pour couvrir la session plénière ont pris des images d’hommes prêts à se battre (certains d’entre eux portaient des masques noirs), et de députés essayant d’escalader les tribunes pour se protéger. Les délinquants ont vite ciblé les médias et les politiciens de l’opposition en les forçant à se cacher. Le chef de file du SDSM Zoran Zaev, entre autres, a été filmé avec du sang ruisselant sur son visage après qu’il ait été tabassé. Par la suite, la police a utilisé des grenades aveuglantes pour forcer les intrus à quitter la salle plénière.

Des voix critiques s’élèvent contre la gestion de la situation

Deux choses se sont rapidement propagées sur les médias sociaux à travers les comptes des citoyens progressistes de Macédoine. La police a été très critiquée pour son manque de réactivité lors de l’occupation. On peut lire sur plusieurs status : “Où est la police ?” et “Où est la protection de l’État ?” Par ailleurs, on s’est interrogé et on s’interroge toujours sur le rôle de VMRO-DPMNE dans l’attaque, VMRO-DPMNE ayant déclenché la manifestation nationaliste. Les activistes, les journalistes indépendants et les intellectuels semblent s’accorder sur le fait que cet événement est l’un des derniers à démontrer que la démocratie a cessé d’exister depuis longtemps en Macédoine, notamment depuis l’accès au pouvoir de VMRO-DPMNE en 2006.

La salle plénière du Parlement a été vidée avant minuit et la situation dans le pays était revenue à la normale le lendemain, hormis en ce qui concerne les théories du complot qui se sont répandues sur internet. L’incertitude plane, le souvenir du conflit de 2001 est encore très présent et la peur d’une nouvelle escalade est très importante.

La situation en Macédoine était sur l’agenda des ministres des affaires étrangères de l’UE, en réunion à Malte vendredi dernier, après que Johannes Hahn, commissaire chargé de l’élargissement de l’UE ait commenté la situation des jours précédents en félicitant le Président du Parlement nouvellement élu.

La question actuelle est de savoir comment débloquer la situation sans déclencher davantage de violence, dans une situation partagée par de multiples lignes de conflit sensibles à la fois inter et intra-ethnies, dans un pays qui a été terni par la corruption, une économie anémique et le crime d’État depuis une très longue époque.

À une période ou la région balkanique dans son ensemble est secouée par les instabilités causées par la contestation civile, la Macédoine remet le feu à la poudrière. Les observateurs internationaux ont exhorté les patriotes et les nationalistes au calme, afin d’éviter une escalade de la situation – la question qui demeure est celle de la démarche à suivre désormais, étant donné que les exhortations et les espoirs n’ont que peu d’effets.

Marie Jelenka Kirchner est diplômée en études européennes et elle est actuellement stagiaire au sein de la fondation Friedrich-Ebert à Skopje. Elle est facilitatrice pour des ateliers et coordine différents projets pour la jeunesse européenne.

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