Imaginez-vous cette situation : vous voyez une bande d’amis suédois faire un barbecue, placé à la disposition de tous les résidents du lotissement. Au nombre de dix, ils rient, boivent une bonne bière et ne se tiennent pas à un mètre de distance. Les Danois les observent avec surprise au-delà de l’Øresundsbron, tandis que les Norvégiens se penchent par-dessus leur frontière avec étonnement, et les Finlandais n’en croient pas leurs yeux, à travers leurs jumelles pour observer au delà de la mer Baltique et du Golfe de Botnie.
Effectivement, on en parle de plus en plus : alors que la Norvège, le Danemark et la Finlande ont adopté une même stratégie, celle de confiner leur population chez eux, tout en fermant les lieux publics et en encourageant le télétravail, la Suède fait bande à part. Ce n’est qu’à partir du 18 mars que ce pays scandinave a décidé de recommander la distanciation sociale tout en ne fermant que les universités, et non les écoles ou crèches. Ce qui a également fait sourire ses voisins scandinaves ? Le fait que le gouvernement suédois préconise à ses habitants de tout de même entretenir leur forme physique, par une petite marche quotidienne, ou en allant à la salle de sport.
La Norvège a pris des mesures de confinement et de distanciation sociale dès le 12 mars, en fermant notamment tous les commerces non essentiels, tandis que le Danemark et la Finlande ont appliqué ces consignes respectivement le 13 et le 23 mars.
Plusieurs voix s’élèvent contre ce laxisme suédois, y compris au sein de la communauté scientifique suédoise, sur lesquelles je reviendrai plus bas. Or, les voisins scandinaves ne sont pas prompts à la critique : qu’ils soient Norvégiens, Danois ou Finlandais, tous estiment que la Suède teste une autre méthode pour endiguer l’épidémie. Le ministre norvégien a déclaré que seule l’Histoire déterminera quelle méthode a été la plus efficace (encore faut-il déterminer la définition de l’ “efficacité”, ainsi que les critères pour en juger…).
Partons d’un constat statistique, à l’image de ceux que Jérôme Salomon présente en France chaque soir : quel est le nombre de cas recensés en Suède et chez ses voisins ? Quel est le nombre de décès dans les quatre pays ? Au 13 avril, la Norvège recensait 6 551 cas, pour 6318 au Danemark, 3064 en Finlande… mais 10948 en Suède. Il est vrai que la Suède est le pays nordique le plus touché par le virus, presque 4 fois plus que la Finlande. Le 12 avril 2020, la Suède a dépassé la barre symbolique des 10 000 cas, alors que la progression est moindre pour les autres pays.
En outre, le 9 avril, la Norvège comptait 105 personnes décédées, 237 au Danemark, 40 en Finlande et 687 en Suède. Le 13, ces chiffres sont passé respectivement à 134, 285, 59 et 919. C’est donc en regardant les chiffres sur la mortalité du covid-19 que l’on peut comprendre les réserves et critiques à l’encontre de la stratégie suédoise. Il est vrai que la létalité est de presque 8,9% au 12 avril, alors qu’elle n’est que de 1% en Finlande.
Pour quelles raisons la Suède n’applique-t-elle pas les mêmes mesures que ses voisins ? Qu’en pensent les Suédois ? Cette absence de confinement est-elle critiquée ?
Pas de confinement en Suède : quelles sont les raisons invoquées par le Gouvernement de Stefan Löfven, le Premier Ministre suédois ?
Stefan Löfven a annoncé le 22 mars, lors d’une allocution télévisée, les recommandations faites par les scientifiques suédois, formulées dans une seule et même optique : ralentir la propagation du virus et non pas éviter la contagion, chose jugée impossible.
La presse suédoise et internationale a décrypté ce choix de ne recommander que la distanciation sociale. Plusieurs raisons sont avancées, parmi lesquelles la volonté de soutenir l’économie nationale pour limiter les dommages économiques des commerçants, artisans et entreprises. Cette raison a suscité l’indignation de la presse étrangère, qualifiant cette décision de néolibérale pure, indigne d’un gouvernement de coalition dirigé par les sociaux-démocrates.
Une autre raison est la peur des inégalités sociales engendrées par l’arrêt des écoles primaires (la maternelle n’existe pas mais est compensée par le Kindergarten). Les suédois ont une véritable confiance en l’école et respectent son rôle comme créateur d’égalité, de lien et de cohésion sociale. De plus, les soignants sur le front ont besoin de la prise en charge de leurs enfants, pour ne pas se retrouver en situation de devoir faire un choix entre travail et famille.
La parole aux Suédois : que pensent-ils de la situation dans leur pays ?
Afin de mieux contextualiser l’absence de confinement, j’ai décidé de mener un petit sondage informel auprès d’une quinzaine de jeunes étudiants suédois, dans quatre villes de Suède : Stockholm, Uppsala, Lund et Malmö. La question est simple et sans ambiguïté : quel est votre point de vue sur les mesures prises par le Gouvernement suédois pour endiguer l’épidémie de Covid-19 ?
Les témoignages nous enseignent deux choses. Premièrement, seuls deux d’entre eux sont partagés ou n’ont pas d’avis très tranchés sur la question. Ils sont sensibles aux paroles du gouvernement, qu’ils décrivent comme étant le reflet exact des préconisations des scientifiques suédois : ils ont donc confiance dans les choix de leurs leaders et dans leur stratégie d’immunité collective. Cependant, leurs doutes se multiplient, quand ils constatent que les cas et les décès se multiplient dans les « aldreboende » les EHPAD suédois. Ces doutes sont également renforcés par la lecture de presse étrangère, hautement sceptique du choix de non-confinement.
Le deuxième enseignement, et c’est là le plus précieux, est que tous les témoignages mentionnent la « responsabilité personnelle » de chacun, dans la tâche de freiner la propagation du virus. Tous le disent avec leurs mots : parce qu’ils font tous attention à moins sortir, respecter les distances et les gestes barrières, le confinement est superflu. Il n’imposerait donc qu’une restriction de liberté de mouvement, qu’ils respectent déjà de leur plein-gré.
Il est vrai que les images des Suédois dans les restaurants ont fait le tour du monde et pouvaient illustrer cette nonchalance, voire une prise de risque inconsidérée. Elles sont contredites par les témoignages provenant de Lund, Uppsala ou Malmö, indiquant que les Suédois ne s’attardent pas dans les lieux publics, mais consomment tout de même leur fika ou autres repas à emporter, pour véritablement soutenir les petits commerçants. Enfin, même si tous avouent être contents de ne pas être enfermés, ils saluent les efforts de leurs soignants, et sont rassurés de savoir que leur population vulnérable est bien confinée chez elle.
Poussée par la curiosité, j’ai observé la réaction des Français expatriés sur les différents groupes Facebook. Ceux-ci sont bien évidemment plus critiques : tous saluent l’effort spontané des Suédois de pratiquer leur auto-confinement, mais une mesure en particulier suscite leur indignation. En effet, seules les universités suédoises sont fermées (il y a des étudiants de tous les âges, les Suédois reprenant leurs études quand ils le veulent) et non pas les écoles.
Décision incompréhensible pour les Français expatriés, jugée déraisonnable et veulent s’inspirer de ce qu’ils voient en France, en pratiquant l’école à la maison. Certains ont retiré leurs enfants du système, mais la direction les juge hors-la-loi : ils doivent « mentir » et obtenir un certificat indiquant qu’un membre de leur famille a eu le coronavirus, ou alors obtenir l’exclusion de leurs enfants.
A contrario les suédois sont favorables à cette mesure : ils partent du principe que les enfants continuent à apprendre, tout en étant protégés, car ils sont jugés être les moins vulnérables.
Vers un durcissement des mesures ? Plongée au cœur des critiques de cette position
La voix des scientifiques est devenue discordante en Suède quant aux mesures à adopter : certains continuent de préconiser un non-confinement, comme l’épidémiologiste d’État, Anders Tegnell, alors que plus de 2 300 d’entre eux ont signé une pétition fin mars pour demander le confinement général de leur pays, comme Cecilia Soderberg-Naucler, immunologiste à l’institut Karolinska, situé à Stockholm.
Ces 2300 chercheurs affirment s’appuyer sur des faits et des nombres : les courbes de mortalité et de nombre de cas quotidiens déclarés sont croissantes, à l’instar des autres pays nordiques, mais les chiffres sont bien plus élevés, comme indiqué plus haut. Cela les a donc poussés à signer la pétition réclamant un confinement.
Or, nous sommes déjà le 14 avril et celle-ci est restée lettre morte, alors que d’autres pays comme la Finlande préparent leur stratégie de déconfinement. Cette pétition a tout de même de quoi semer le doute parmi les habitants, même s’ils restent confiants dans l’aptitude et la capacité de leur gouvernement à gérer la crise. Après tout, c’est le pays du compromis, des négociations et du consensus : que peut donc bien signifier cette discordance de voix ?
1. Le 16 avril 2020 à 01:11, par Olivier En réponse à : Modèle Nordique de confinement : quand la Suède fait bande à part
D’un point vue géographique c est avec le Danemark que la comparaison me semble la plus pertinente. La mortalité « covid » est effectivement 2 fois plus importante en Suède qu’au Danemark (qui fut aussi tres précoce avec le confinement). Mais il y a un autre paramètre pour l instant tout à fait ignoré, les confinés « malades non covid » ne consultent plus leur médecin et ne vont plus à l hôpital. Je ne sais pas ce qu il en est au Danemark, mais les médecins Français et Suisses sont très inquiets...
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