Une Union penchée à l’Ouest
Le choix de faire siéger les institutions, organes et organismes européens remonte aux racines même du projet continental : une union sans cesse plus étroite entre États souverains. La politique de consensus qui irriguait les négociations déjà à l’époque exigeait de satisfaire toutes les parties, y compris sur les aspects symboliques. Si Bruxelles a été choisie un peu par hasard, Strasbourg représentait un symbole idéal pour un projet transcontinental. Bruxelles, Strasbourg, Luxembourg et Francfort, les membres fondateurs étaient globalement satisfaits. Cette idée s’est maintenue dans l’attribution des sièges des multiples agences de l’UE (agences du travail, pour l’environnement, de la formation…) disséminées dans chacun des États européens (Tallinn, Turin, Thessalonique…).
Depuis, si le centre de gravité s’est peu à peu éloigné à l’Est au fur et à mesure des adhésions successives, ça n’a pas été le cas du centre décisionnel. Si aucun siège d’une institution n’est présent en Europe de l’Est, seulement deux personnalités politiques en ont dirigé : les Polonais Jerzy Buzek a présidé le Parlement européen entre 2009 et 2012 et Donald Tusk le Conseil entre 2014 et 2019. Aujourd’hui, toutes les institutions sont dirigées par des ressortissants de pays d’Europe occidentale et d’Allemagne, qui n’est pas située très loin de l’Ouest. Bilan médiocre pour une Union de Lisbonne à Helsinki et de Dublin à Nicosie.
Un rééquilibrage nécessaire à l’Est
Alors que les responsables politiques et les acteurs de la société civile sont de plus en plus nombreux à décrier les agissements d’une Union bureaucratique et technocratique et notamment en Europe centrale et de l’Est où certains gouvernements surfent sur l’euroscepticisme pour renforcer le contrôle de l’État sur les sociétés, l’Union européenne doit agir. Pour démontrer concrètement son attachement aux principes démocratiques et notamment à l’égalité, l’UE pourrait prendre un acte symbolique fort : déplacer le siège du Parlement européen à l’Est.
Aujourd’hui, la situation de l’Europe centrale et de l’Est est contrastée. Quand les gouvernements des États baltes et des Balkans affichent leur attachement à l’intégration européenne, le groupe de Višegrad (Slovaquie, Tchéquie, Pologne, Hongrie) et surtout ces deux derniers se montrent beaucoup plus sceptiques en critiquant notamment sa légitimité. En promouvant une société tournée sur les valeurs nationales traditionnelles et une identité catholique, Varsovie et Budapest posent la question du bien-fondé des politiques menées par les institutions de l’Union, la légitimité démocratique de l’UE. En déplaçant le siège de la démocratie directe européenne au sein d’un État au gouvernement sceptique, l’Union prouverait qu’elle peut se réformer et favoriser l’ancrage de l’Est du continent.
Plusieurs options s’offrent alors. Par souci pratique, il est nécessaire d’opter pour une grande ville, bien connectée en termes de réseaux de transport et proposant de nombreux lieux d’accueil et de travail pour les fonctionnaires, les représentants européens ainsi que les délégations du monde entier.
– Pourquoi pas Prague ? Capitale de la Tchéquie, 1,3 million d’habitants, la Ville aux cent clochers est le symbole de l’insurrection populaire contre les communistes et les soviétiques en mai 1968. De la quête du « socialisme à visage humain » promue par l’insurrection à celle de « l’Union européenne à visage humain » il n’y a qu’un pas. Prague a accueilli le sommet européen de 2009 inaugurant le Partenariat oriental, nouvelle étape dans les relations entre l’UE et six États de l’Est (Bélarus, Ukraine, Moldavie, Géorgie, Azerbaïdjan, Arménie).
– Pourquoi pas Budapest ? Capitale de la Hongrie, 1,7 million d’habitants, la Perle du Danube est un foyer de contraste. Symbole de l’insurrection démocratique contre le régime oppressif en 1956, Budapest est aujourd’hui le siège du gouvernement illibéral de Viktor Orbán, en conflit avec la Commission européenne sur l’État de droit. La fermeture de l’Université d’Europe centrale aura été plus qu’un symbole, alors que, fruit d’une alliance transpartisane contre-nature, l’opposition a arraché la municipalité des mains du Fidesz.
– Pourquoi pas Varsovie ? Capitale de la Pologne, 1,7 million d’habitants, la Ville-Phénix et son pays reviennent d’une histoire qui s’est acharnée à la division. Renée des cendres et des ruines de la Seconde Guerre mondiale, Varsovie est au carrefour entre Europe de l’Est et de l’Ouest. Sa situation est similaire a celle de Budapest : siège d’un gouvernement illibéral, dans la ligne de mire des procédures sur l’État de Droit de la Commission, détenu cependant par une opposition europhile et libérale au gouvernement.
Évidemment déplacer le siège d’une institution si démocratique soit-elle ne suffit pas, ni pour augmenter la confiance des Européens dans leurs institutions, ni pour réviser la politique d’un gouvernement national. Le symbole a une puissance aussi forte que limitée.
La concentration du pouvoir à Bruxelles représenterait assurément des économies en termes budgétaires et écologiques, mais également et surtout la renonciation à l’un des symboles de la construction européenne dont le coût politique difficilement quantifiable n’améliorerait certainement pas l’adhésion des citoyens européens au projet de « paix continentale », selon les mots de Victor Hugo.
Sources
Protocole n°6 sur la fixation des sièges des institutions et de certains organes, organismes et services de l’Union européenne, Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, signé le 13 décembre 2007.
BĒLINA Pavel, ČORNEJ Petr, POKORNŶ Jiři. Histoire des Pays tchèques. Points, 1995. FEJTÖ François. 1956, Budapest, L’insurrection. Éditions Complexe, 2006.
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